"Il faudrait de la
pluie.
— Oui, répond un autre citadin. L'autre jour, je suis allé à Letnà .
Tout y est sec au point que la terre se crevasse.
— Et moi, je suis allé l'autre jour à Kolin, en chemin de fer, reprend
le premier, et je crois qu'il fait une sécheresse terrible.
— Il faudrait qu'il tombe une bonne pluie, soupire le second.
— Et que ça dure au moins trois jours", ajoute le premier.
Mais en attendant, le soleil darde ses rayons; Prague peu a peu
commence a sentir la chair humaine échauffée; dans les tramways les gens sont
excites et quelque peu hargneux.
"Je pense qu'il va pleuvoir, dit un être couvert de sueur.
— Ce serait à souhaiter,
hâlette un autre.
— Il faudrait qu'il
pleuve au moins une semaine, reprend le premier, pour la campagne et tout.
— Il fait trop sec",
avance le second.
Pendant ce temps, la chaleur du soleil devient étouffante, on sent dans
l'air une tension extrême, les nuages roulent dans le ciel sans soulager ni la
terre ni les gens. Mais, tout à coup, l'orage éclate à l'horizon; un vent gorge
d'eau se met a souffler, et ca y est : la pluie, tombant comme des cordes,
ruisselle sur les paves, la terre respire d'une façon presque perceptible a
l'oreille, l'eau bruit, cliquette, jase, tambourine aux fenêtres, tapote avec
mille doigts dans les chéneaux, court en longs rubans et sonne dans les
flaques, et l'homme voudrait crier de joie; il met la tête a la fenêtre, pour
la rafraichir au contact de l'humidité céleste; il siffle, il fait du bruit et
voudrait se mettre tout nu dans les torrents jaunâtres qui se précipitent le
long des rues. Bienfaisante pluie, rafraichissante volupté de l'eau! Rachète
mon âme et lave mon cœur, scintillante et froide rosée! La chaleur m'avait déjà
rendu mauvais, mauvais et paresseux; j'étais paresseux et lourd, stupide,
matériel et égoïste; je me desséchais de sécheresse et je m'étouffais en
moi-même sous le fardeau de mon dégoût. Résonnez, baisers argentés avec qui la
terre altérée accueille le choc des gouttes de pluie; bruis, rideau de pluie
qui purifies tout. Aucun miracle du soleil ne se peut égaler au miracle de la
bienfaisante pluie. Cours, eau souillée, dans les ruisseaux, abreuve et
attendris la matière assoiffée qui nous emprisonne. Tous nous avons respiré,
l'herbe, moi, la terre, nous tous c'est ainsi que nous sommes bien.
L'averse bruissante a cessé, comme par enchantement; la terre brille à
travers une brume argentée ; dans les buissons, le merle éclate en chansons et
fait le fou; nous aussi nous ferions bien les fous, mais, en attendant, nous
sortons, tête nue, devant notre porte, pour respirer l'humidité étincelante de
l'air et du ciel.
"Il est tombé une bonne pluie, nous disons-nous.
—Oui, mais il devrait en tomber davantage encore.
— Il le faudrait, mais c'était déjà une bonne petite pluie."
Une demi-heure après, il recommence à pleuvoir, en longs fils ténus : c'est
la vraie pluie calme et bonne; c'est la moisson qui tombe du ciel, abondante et
calme. Ce n'est plus l'averse giclante et bruyante; c'est la douche légère et
tranquille qui murmure doucement. Pas une seule goutte de toi, douce rosée, ne
tombe en vain. Mais voici que les nuages se déchirent et que le soleil dissipe
les fils tenus; les fils se rompent, la douche s'arrête, et la terre exhale une
agréable tiédeur.
"C'était une bonne petite pluie de mai, nous félicitons-nous, tout va
maintenant verdoyer a souhait.
— Encore quelques gouttelettes, disons-nous, et ca sera suffisant."
Le soleil frappe a plein la terre, une sueur vaporeuse monte du sol
humide, on respire péniblement, on a une sensation d'étouffement comme après un
incendie. Dans un coin du ciel se prépare une nouvelle tempête, on respire une
vapeur humide, quelques lourdes gouttes tombent du ciel et de quelque part
ailleurs souffle un vent ivre, d'un froid pluvieux. On s'abandonne dans l'air imprègne
d'humidité comme dans un bain tiède; on respire des gouttelettes d'eau, on
marche a travers des rigoles, on voit dans le ciel s'amonceler des paquets de
vapeur blancs et gris c'est comme si le monde entier voulait fondre en une
pluie de mai, chaude et douce.
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Josef Čapek, 1929 |
" Il devrait bien pleuvoir encore un peu", disons-nous.
J'adore la pluie, j'adore ce texte,
RépondreSupprimermerci pour ce partage.