vendredi 30 novembre 2012

Souvenir de plantouilles ...


Mon intérêt pour les fleurs a commencé très tôt, ma famille ayant quitté Londres pour une maison à la campagne (à Bramley Park dans le Surrey), lorsque j'avais quatre ans et demi. Je n'avais connu que les marguerites du Square Garden et les pissenlits du Green Parc de Londres. Je fus émerveillée de découvrir les lys, les primevères, les campanules, les anémones des bois et les violettes sauvages disséminées dans ce jardin bien entretenu et, par-dessus tout, de pouvoir contempler les très belles plantations d'arbustes, soulignées, à l'arrière-plan, par d'imposants Rhododendron ponticum (la forme hybride n'était pas encore connue). Pour l'époque, ce jardin d'arbustes était exceptionnellement riche car on y trouvait, entre autres espèces, la douce Azalea pontica, les Vacciniums, les Andromedas et quelques rosiers anciens; la variété double Cinnamon aux fleurs roses de forme plate et Rosa virginiana, grimpant parmi les arbustes. Les plantes les plus grandes étaient des arbres à feuillage persistant de la classe des Arbor Vitae et des Cupressus, ainsi que des Ailanthus, des noyers blancs d'Amérique (Hickory), des hêtres et des Taxodium distichum et, pour finir, une haie épaisse de laurier commun, qui n'était pas sans intérêt, car chaque printemps, les grives venaient y faire leur nid.
(Gertrude Jekyll, Quelques souvenirs de jeunesse, Gardening  Illustrated, 27 août 1927)


Chez Ernest Hemingway à la Havane

Aux Châteaux de la Cosse et Montertreau

Château de Ligoure

Parc Yosemite

Villa Carlotta
Vous qui ne connaissez pas les végétaux... Vous qui essayez lamentablement et en vain de retenir des mots comme Ceratostigma plumbaginoïdes ... Au lieu de nous demander de mettre des étiquettes partout, qui enlaidissent les jardins et ne servent à rien, pourquoi ne pas essayer une nouvelle classification ? Donner aux plantes le nom du lieu où nous les avons rencontrées ... Bon! Comme toutes les nouvelles classifications, c'est assez limité, c'est assez perso et l'échange est difficile " Ce rose de Villa Calotta " "Mais non il était blanc" ... " Cet arbre gigantesque de Yosemite" "Mais non il était rabougri" ... Ne soyez pas complexé, personne ne connait, ne reconnaît toutes les plantes ? Même avec une flore, le seul outil efficace, que se passe t'il ? on reconnait, on est ravi puis généralement on oublie ... et on recommence ... le seul intérêt de connaître le nom des plantes est scientifique, même chez les amateurs ... En revanche, s'attarder devant une plante dans un lieu bien précis provoque toujours ce petit quelque chose que l'on oublie pas  ... un bon souvenir ... 


mercredi 28 novembre 2012

Plantouilles corsicus ...

Avec 131 végétaux strictement endémiques, la flore vasculaire de la Corse présente une originalité remarquable. Néanmoins, elle offre de nettes affinités avec celle de la Sardaigne (…)La flore endémique de la Corse comprend 296 taxons : les taxons endémiques strictement corses sont au nombre de 131 ; les corso-sardes sont 75 (auxquels on peut ajouter 14 corso-sardes/archipel toscan) les baléaro-corso-sardes 11 les autres endémiques (Corse-Sardaigne-Italie, Corse-Pyrénées. Corse Alpes. Corse-Sierra Nevada...) 65. (…)Selon cette étude, la répartition de cette flore endémique dans les étages de végétation (certaines espèces endémiques sont présentes dans plusieurs étages) montre une richesse maximale à l'étage montagnard (154 taxons présents), suivi, dans l'ordre, par les étages supraméditerranéen (141), mésoméditerranéen (115) et subalpin (98). Par contre, la comparaison, pour chaque étage, du nombre d'endémiques avec le nombre total de taxons présents à l'étage montre la très grande richesse relative en endémiques des étages alpin (43,97 %) et cryo-oroméditerranéen (47,4 %), dont presque la moitié des taxons présents sont des endémiques (mais la flore y est pauvre en nombre de taxons). L'étage mésoméditerranéen, dont la flore comporte, il est vrai, plus de 1 500 taxons, n'offre modestement que 6,31 % d'endémiques.

(Jacques Gamisans et Jean-François Marzochi, La Flore endémique Corse, 1996)


1)  Helleborus argutifolius,  Hellébore de Corse  --  2)  Paeonia mascula , Pivoine corse  --  3)  Euphorbia hyberna ,  Euphorbe insulaire --  ( photographies :  La Flore endémique Corse, 1996)


Le casgile familial et pins de Corse (Pinus laricio) dans les montagnes du Niolo.
J’en reviens aux plantes préférées … OUI,  j’avoue que j’ai un faible pour certaines plantes, … je vous fais une liste bien significative … dans l’ordre je dirais … le Pin de Corse, l’Hellébore de Corse, l’Euphorbe de Corse, la Pivoine Corse et la Menthe de Corse… sans être grand psy vous devinez un léger problème régionaliste… Ces cinq plantes sont de chez moi … Ce "chez moi" se situe chez elles ...  là haut dans les montagnes du Niolo  … la menthe est fabuleuse, on la repère une fois piétinée … vous êtres enveloppé, contaminé par le parfum …une vraie drogue ...  … la pivoine  corse c’est le Graal …
Quand j’étais encore un vrai jardinier, c'est-à-dire avec un jardin, j’en ramenais de là-bas (ce n'est pas bien) et les plantais dans "mon" jardin (sauf la pivoine qui est quasi introuvable et heureusement protégée)… Un jour, j’avais sous le bras une hellébore et une euphorbe (helleborus corsicus et Euphorbia hyberna) Un vieux monsieur m’interpelle étonné "Mais qu’est-ce que tu fais avec ça ?" (il faut dire que là haut, c’est un peu les "mauvaises herbes" des sentiers) je vais les planter à Matignon … « A MATIGNON ??? » tu vas mettre ça à Matignon ??? S’ensuivit une série onomatopées dont on a le secret en Corse, du genre "oun bah ! pô pô pô ! é bèh ! … Tù sì scemu" … Ça aussi (l’euphorbe) tu la plantes à Matignon …?  je répondais un peu mollement "bah oui, peut être""tu sais, cette plante", me dit-il, "on s’en servait pour protéger les fromages contre les mouches" (la hantise du berger) "elles sont répulsives" … "elle était cultivée ? Parce que je l'ai trouvée près du casgile de mon grand père"  Il ne savait pas … dommage… je suis retourné voir … mieux voir. Ce casgile, une salle fraiche où l'on entrepose les fromages,  n’est pas isolé, le terrain autour est aménagé en  terrasses, il est au bord d’une rivière … on y trouve une concentration d’euphorbes... Je sillonne autour du terrain et là plus rien. Je me suis dit "c'est curieux, il faut étudier ça", malheureusement je n’ai pas encore gratté… mais un berger qui produit plusieurs dizaines de fromages par jour irait-il courir la montagne pour chercher une plante qu’il utilise tous les jours et de surcroit vitale pour son économie  … ? Cultivée ?? Favorisée ??  Ce n'est pas impossible ….   (la flore présentée ici apportera un début de réponse :  Cette euphorbe se comporte comme une nitrophile et constitue souvent des populations importantes et denses dans les clairières des forêts et près des bergeries (700 -  2 000 m).

Jacques Gamisans et Jean-François Marzochi, La Flore endémique Corse, 1996

lundi 26 novembre 2012

Et les plantouilles ? …

Une liste de plantes cultivées dans un jardin londonien au XIVe siècle révèle que l'on commençait à identifier les plantes d'une façon plus scientifique. À Stepney, près de la Cité de Londres, un moine dominicain, qui était docteur et vivait entre 1315 et 1385, frère Henry Daniel, créa un jardin botanique, probablement le plus ancien d'Europe du Nord. (La Huerta ciel Rey à Tolède, établie par Ibn Waficl et Ibn Bassal, le précède de trois cents ans.) Daniel cultivait 252 plantes différentes qu'il observait minutieusement. Son savoir pratique quant à leur comportement et son érudition concernant les drogues végétales (et celles tirées d'autres substances) étaient remarquables. Il traduisit presque en entier le Circa instans de Platearius et citait fréquemment les ouvrages des grands botanistes de l'âge classique et du Moyen Âge. Dans son herbier les plantes figuraient sous leur nom latin; pour chacune, il indiquait son habitat, en précisant les modes de culture des plantes indigènes ou des plantes introduites comme le cyprès, la germandrée, la marjolaine, le grenadier ou le romarin. Le grenadier ne portait pas de fruits. Le romarin avait été récemment introduit par la reine Philippa, épouse d'Édouard III, et elle le cultivait parmi de nombreuses plantes rares dans son jardin royal. Frère Daniel le cultivait dans son jardin avec des soins particuliers, précisant qu'il lui fallait beaucoup d'eau et une protection contre les gelées et le vent du nord. Il traduisit du reste un traité sur les vertus du romarin, rédigé à Salerne entre 1338 et 1342.
(Pénélope Hobhouse, L’Histoire des plantes et des jardins, 1994)

De haut en bas et de gauche à droite :
Villa Carlotta, Avrilly, Champs-sur-Marne, Valgenceuce, Lagoy, Les Bordes
Presqu' un an que ce blog existe et je n’ai quasiment pas parlé des plantes de nos jardins. Mon entourage est convaincu que je n’aime pas les arbustes, les fleurs etc. ... les plantouilles quoi !!  … Je réponds difficilement à la question : "quelle est ta plante préférée ?"  Entre nous, question de nase … le jardinier se devrait-il d’avoir une plante préférée ?   Bon OK, c'est vrai que je n’ai pas une grande passion pour les plantes horticoles. je reste insensible aux "obtentions de l'année" je reste toujours perplexe devant la classification non botanique  des producteurs ... "plantes à massif" " plantes pour balcon" et la pire de toutes, les  "plantes de TB" (mais qui a trouvé ce terme ??? )... J’aime les arbres …  Les grands …  Les verts … J’aime les jardins avec des grands arbres verts, des milliers de nuances de vert… J'aime ces ambiances ombre et vert ... Après, que ce soit un Liriodendron tulipifera ou un Aesculus hippocastanum ... peu importe ( là, je me moque de ces gens qui utilisent le latin à tort et à travers)  Bref ! Une fois n’est pas coutume, des conseils aux amateurs : Planter des arbres qui deviennent grands ... se souvenir pendant quelques deux cents ans que l'arbre la chose la plus fragile de votre jardin, la plus sensible au changement de milieu et ne pas oublier que le vert (ça peut paraitre idiot) est la première couleur à traiter dans un jardin...
Pour vous mettre le moral à zéro lire l'article de David Larousserie -Le Monde: Les deux tiers des arbres dans le monde sont menacés de dépérissement

vendredi 23 novembre 2012

Pourquoi un plan de jardin 2 ...

Pour ce qui est du traitement graphique des plans de jardins à proprement parler, le XVIIe et les premières années du XVIIIe siècle innovent peu. L'épure quasi mathématique sied aux grandes ordonnances «à la Le Nôtre ». Parmi les artistes qui dessinèrent les jardins dans le style irrégulier au XVIII` siècle, on trouve parfois des peintres, des «jardiniers» (au sens anglais), mais le plus souvent des architectes. Il était indispensable, tant pour permettre au commanditaire de se faire une idée globale du projet que pour servir de guide aux différents corps de métier intervenant dans sa réalisation, d'établir de vastes plans d'ensemble très détaillés ; d'où cette vogue de la « cartographie jardinière ou horticole ». Elle utilise, bien sûr, les conventions graphiques habituelles de la technique du levé de cartes (l'indication assez poussée du relief par le système des ombres, entre autres), mais en même temps elle les niet en scène avec une volonté esthétique particulière. Si l'on regarde les plans de Bélanger pour la Folie Saint James ou Bagatelle, ceux de Brongniart ou encore de Bergeret pour l'Isle-Adam, on reste frappé par la part de rêve qu'ils suscitent immédiatement. En même temps que l'œil découvre les détails, l'imagination anticipe ces paysages futurs. Les conventions s'accumulent, les arbres grandissent démesurément et se mirent dans le cours de la rivière, les plus belles fabriques figurent en vignettes aux coins de la carte. Et l'on retrouve dans cette cartographie poétique une sorte de parenté avec les pays fantasmatiques et utopiques de la littérature, entre Houyhnhnms et l'île de Prospero.

(Monique Mosser et Georges Teyssot, Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours, 1991)


Le parc de Digoine vers 1775-1778



Ce plan de Digoine montre beaucoup de choses ... En premier lieu un château, son parc, la composition et l'organisation du domaine … mais aussi une composition ancienne (les quinconces en haut à gauche), une économie : l'étang et le moulin au milieu à droite, des cultures à droite du château et les vignes en bas à gauche ... Il montre aussi le plus important "la source" symbole de Digoine à la pointe haute de l'étang ... que montre t-il encore ce plan ? ... et bien le père Digoine (si je peux l'appeler ainsi) nous montre qu'il n'est pas un ringard de province ... Le plan du jardin est la pour montrer à tous qu’il est de bon goût, qu'il est à la mode ... à la mode anglo-chinoise ... comme les grands jardins des Cahiers de Le Rouge (je vous laisse apprécier les formes) ... On peut même dire que Digoine est un jardin anglo-chinois-agricole® (est-ce que je viens d'inventer la formule ?)... Anglo-chinois donc, du moins sur le papier, sur le plan, car en vrai, c'est à dire sur le terrain aux alentours de 1775, c'est loin d'être prouvé ... Les jardins me passionnent !!! ...

mercredi 21 novembre 2012

Martin col rouge ...

Ce faisant, Claire Bretécher redéfinit à sa façon la sorte de genre pictural qu'elle a nommé portrait sentimental. Il est possible qu'en France le genre se soit inauguré sans le savoir avec Mme Vigée-Lebrun peignant ses filles, avec sentiment précisément, et qu'on le croise chez bien des peintres majeurs du XIXe siècle, par exemple dans le portrait que fait Manet de sa belle-sœur, Berthe Morisot, saisie dans le deuil noir de son père ; on le suit, bien sûr, dans les portraits des enfants de Renoir et dans ceux de Pablo Picasso par leurs peintres de pères glissés entre mille autres toiles, dans les années d'enfance où ils les regardaient encore. Et sans doute le retrouverait-on, indépendamment de tout jugement de valeur, chez nombre de peintres amateurs. Mais, pour ma part, j'ai dû attendre Claire Bretécher pour rencontrer un peintre qui interroge le visage de son enfant plusieurs fois par an, des premiers jours à l'âge adulte, et qui borne son œuvre de peinture à ce genre de portrait. Les dix-sept portraits de Martin réunis ici, où l'auteur inscrit au long du temps dans l'image qu'elle en donne ce que les mots ratent et que la main sait retenir, forment un ensemble rare, hésitant entre l'appartenance au pictural ou au littéraire, ou plutôt ouvrant une voie à leur conciliation.
(Pierre Encrevé, Portraits sentimentaux, 2004)


Claire Bretécher, Martin col rouge, 1988 - Pastel
Pourquoi Claire Bretécher ? un jour, sur sa terrasse de Montmartre, je lui conseille d'enlever  quelques plantes afin de dégager une vue sur Paris ... Elle me répond : "Les vues sur Paris m'emmerdent" ... 

lundi 19 novembre 2012

Entre-deux-Monts, un jardin dans la brume ...

L’on attribue généralement les jardins de Cordès, près d'Orcival en Auvergne, à Le Nôtre. Peut-être, sur la fin de sa vie —étant décédé en 1700— en donna-t-il les plans au maréchal d'Allègre, acquéreur du domaine en 1695, mais, dans tous les cas, ce ne fut que dans le premier tiers du XVIIIe siècle qu'ils furent aménagés.
Quoi qu'il en soit, la disposition de ces jardins est extrêmement ingénieuse. Car la situation de cet antique château — du XVe siècle — placé au point bas d'un plateau ne permettait d'abord de jardins un peu étendus que du côté de l'arrivée, et cette arrivée elle-même descendait du plateau, ce qui fait que la déclivité augmentait la difficulté. Et voici la solution du problème. L'avenue d'accès fut établie dans une tranchée creusée à cet effet, que cantonnèrent deux longues terrasses portant les jardins. Bien plus, afin de ménager la surprise des parterres aux visiteurs, ils furent bordés de hautes charmilles qui en dérobèrent la vue. L'entrée dans la cour du château se fait par un portail d'architecture ouverte, qui n'est couronné que par une traverse de pierre moulurée, horizontale; les jambages sont faits de deux massifs de pierre à refends, creusés de niches. Un peu en retrait de ces niches, au sommet des massifs s'accrochent deux culs-de-lampe, disposés, semble-t-il, pour supporter quelque tourelle ou autre décoration - nous ne savons. — La tour du château comporte une décoration qui parait plus moderne : deux bassins chantournés entourés de gazon découpé sur lequel se dressent ifs, taxus, etc. Un mur de soutènement, circulaire, agrémente d'arcades aveugles, entoure la cour, appuyé aux deux terrasses hautes, auxquelles montent des degrés de chaque cote du portail de l'entrée de la cour.
Comme nous l'avons dit, de hautes charmilles taillées en palissades enferment les parterres des terrasses, d'une élévation de 6 à 8 mètres ; elles sont percées de regards. Ces charmilles offrent autour des compartiments des parterres une promenade ombragée ; les parterres coin-portent des pièces de gazon régulières, agrémentées de bassins. Ce qui pourrait faire croire que ces dispositions sont de l'invention de Le Nôtre, c'est que ces hautes palissades de charmille doubles sont semblables a celles que l'on voyait aux allées de Versailles au temps de Louis XIV, lesquelles donnaient ainsi une promenade ombragée entre ces deux hautes murailles de verdure, disposition qui fut changée sous Louis XV pour faire place aux lignes de tilleuls fibres qu'on y voit de nos jours.
Ces jardins offrent donc un aspect louisquatorzien qui devient précieux pour l'histoire de l'art a cette époque (cf. de Montarnal, Châteaux et Manoirs, Auvergne; Planchenault, Le Château de Cordes, Beaux-Arts, ancienne série).
(Ernest de Ganay, Beaux Jardins de France,1950, à propos de Cordès)

Le jardin d'Entre-deux-Monts dans la brume et le vivier à sec

Les allées dans la partie boisée

Un jardinier ? avec une houe ? par sur ... 

L'ancien verger, reste un noyer


Sacré Ernest ... il a tout faux ou presque ... je soupçonne l'historien de ne pas avoir mis les pieds à Cordès, enfin je l’espère pour lui ... Car s'il y est allé, il n'a rien vu, c'est-à-dire l'immense et véritable jardin de Cordès composé de bassins et cascade … il n’a vu, comme tous les visiteurs moyens les fameuses palissades composées dans sa majeure partie de hêtres (hêtrille). … Mais je ne veux pas parler de Cordès ... Je veux rappeler que, pour connaitre, pour juger de la valeur patrimoniale d'un jardin, il faut y aller, il faut l'arpenter de long en large et au-delà ... le regarder, le regarder, le regarder ... Ernest de Ganay est-il allé à Entre-deux-Monts ? Je ne crois pas qu'il en parle ... J'y suis allé et je peux vous dire que c'est un jardin extraordinaire, d'une beauté surprenante, un jardin authentique vrai de vrai, ... La partie boisée est composée d'un système d'allées labyrinthiques rappelant (bizarrement d’ailleurs) les compositions de Louis-Martin Berthault ... J'étais tout retourné ... Était-ce le jardin dans la brume ? La perspective agréable de boire du bourgogne le midi avec le propriétaire ? Je ne sais pas trop... allez le voir. Ce jardin a fait l'objet d'une belle étude réalisée en 2011 par deux étudiantes du Master 2 "Jardins historiques, Patrimoine et Paysage": Christelle Stahl et Marie-Caroline Thuillier. Devenues maintenant professionnelles, elles continuent à étudier Entre-deux-Monts ... Je pense que ce jardin va les tenir en haleine pendant quelques temps, quelques années ... visiblement, il n'est pas du genre à se livrer tout de suite à deux inconnues ... même très sympathiques ...



vendredi 16 novembre 2012

Analyse de plan et humeur joyeuse ...

C'est à l'influence acquise par Chambers dans notre pays que l'on doit l'étiquette «anglo-chinois » souvent attachée aux jardins de la sensibilité. II publia en 1757, à la fois en anglais et en français, ses Dessins édifices, meubles, habits, machines et ustensiles des Chinois gravés sur les originaux dessinés à la chine par M Chambers, architecte. Cet ouvrage contient l'embryon des thèses qui seront développées dans Dissertation sur le jardinage de l'Orient de 1772. Il parle du jardin chinois en homme qui sait l'apprécier et il voit bien qu'il a besoin de termes autres que ceux employés par Edmund Burke (le «beau» et le «sublime») pour les décrire. D'où son emploi de catégories comme le «terrible» et le « surprenant» qui lui semblent nécessaires pour décrire des effets inconnus en Europe.
(Michel Baridon, Les Jardins.  Paysagiste – Jardiniers – Poètes, 1998)
Projets pour le Nouveau jardin de Trianon par Richard fils, jardinier de la Reine

Il est drôle ce plan... il est extrait des Cahiers de Le Rouge, on y comprend absolument rien, à part que ce sont des détails pour le nouveau Trianon. Il y a un, détail, très curieux qui rend ce dessin bien sympathique et un peu naïf ... Pour montrer la forme des arbres, Antoine Richard les dessine en perspective axonométrique. Mais pourquoi ajoute t-il l’ombre ?? Pour indiquer l’Ouest me direz-vous…  Alors il a oublié de donner l’heure... Il aurait dû nommer son dessin « Projets pour le Nouveau jardin de Trianon au crépuscule » et là, pas de problème, on savait que le Nord était en haut. Mais non  ... rien ... juste des ombres pour faire jolie ... c'est vrai qu'il est sacrément beau ce plan ! Mais pourquoi ne serait-ce pas l'aube ajouterez-vous ? Là, je me gausse... Non et non!! impossible !! … A l'aube on devrait entendre les oiseaux de la volière chanter … Vous les entendez ? Vous les voyez ? regardez bien, ils dorment …  A part ça ? Aujourd’hui pas grand chose ... simplement vous dire que j'aime bien ce plan et le dessin un peu naïf de notre cher Antoine Richard ... le jardinier oublié de la Reine ...






mercredi 14 novembre 2012

Le réchauffement climatique c'est sacrément la merde !! ...

L'arabica, à la saveur fine et à la culture délicate, ne sera-t-il qu'un lointain souvenir pour le palais des amateurs de café ? C'est ce que laisse présager une étude réalisée par la Royal Botanic Gardens de Kew (Royaume-Uni), en collaboration avec des experts éthiopiens, et publiée mercredi 7 novembre dans la revue américaine PloS One. Leur conclusion : le café arabica pourrait disparaître avant la fin du siècle en raison du changement climatique.
Les chercheurs ont mené deux types d'analyses en fonction de trois des scénarios d'émissions de gaz à effet de serre et d'augmentation des températures établis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (+ 2,4 °C., + 2,8 °C. et + 3,4 °C.). La première, par localité (349 étudiées), conduit à une chute de 65 % à 99,7 % des lieux propices à la culture d'arabica d'ici 2080, comme le montre le graphique suivant. La seconde, par région, conclut à une réduction de 38 % à 90 % sur la même période.

La raison ? Le café, et en particulier l'arabica, s’avère une culture très dépendante du climat : les graines poussent dans une fourchette de températures restreinte, entre 19 et 25°C. Quand le thermomètre grimpe, la photosynthèse s’en voit affectée et dans certains cas, les arbres s’assèchent. Les caféiers pâtissent en outre de la hausse des périodes de fortes précipitations et de sécheresses prolongées, entraînée par le réchauffement de la planète.
"La disparition du café arabica est une perspective effrayante", s'inquiète Aaron Davis, qui a dirigé l'étude. D'autant que ces résultats pourraient être sous-estimés."Les modèles supposent une végétation naturelle intacte, alors que les forêts montagneuses de l'Ethiopie et du Soudan du Sud sont très fragmentées en raison de la déforestation, écrivent les chercheurs. D'autres facteurs susceptibles de s'avérer aggravants, tels que les parasites et les maladies, les changements dans les périodes de floraison, et peut-être une réduction du nombre d'oiseaux (qui dispersent les graines de café), ne sont pas inclus."
En réalité, la production de café pourrait se poursuivre sous serres, aux bonnes conditions de températures. "Mais l'arabica est considéré comme important pour la durabilité de l'industrie du café en raison de sa formidable diversité génétique", expliquent les auteurs de l'étude.
Au final, la menace de sa disparition met en péril les moyens de subsistance de millions de personnes qui le cultivent et le produisent. Les cultures d'arabica représentent un peu plus de 60 % de la production mondiale de café, avec 4,86 millions de tonnes produites cette année pour un montant de 16 milliards de dollars. Les exportations de cette variété s'avèrent cruciales pour les économies de pays comme le Brésil, le Soudan ou l'Ethiopie.
Depuis quelques années toutefois, l'arabica a perdu du terrain au profit du robusta. Ce dernier, moins prestigieux mais bien moins cher, s'avère notamment très présent dans les pays émergents asiatiques, où la demande de café explose depuis une dizaine d'années et où les budgets sont plus serrés qu'en Europe. A la Bourse de New York, le prix de l'arabica a ainsi perdu 32 % depuis le début de l'année.

Domaine de La Grivelière en Guadeloupe cultive du café depuis le 17e siècle
Extrait des Listes de Léré du domaine de Compiègne - 1827

Pour être une mauvaise nouvelle c'est une bien mauvaise nouvelle ... il ne manquait plus que ça ... on ne boit plus, on ne fume plus et bientôt exit le café arabica !! ... Souvent on me pose la question de la prise en compte du réchauffement climatique dans les jardins ... je dois dire qu'en France c'est un sujet un peu zappé... On assiste bien à des renouvellements de plantes exotiques par des plantes indigènes ... c'est un autre sujet et une manœuvre, comme vous le savez, que je condamne fermement ... en fait la réponse à la question devrait être plus simple que prévue ... l’acclimatation c'est notre truc dans les jardins, ça fait quelques siècles que les jardiniers acclimatent des plantes ... Rappelez vous des bâches à Ananas au domaine de Compiègne, l’acclimatation des arbres exotiques au Jardin des Plantes de Nantes ou bien les travaux d’acclimatation de plants forestiers exotiques de l’Arboretum d’Harcourt … les exemples ne manquent pas ... L'avenir sera-t-il jardinier ? Le jardin aura t-il encore la possibilité d'être ce laboratoire pour l'agriculture de demain ? Aujourd’hui, je ne le pense pas du tout mais en revanche pour demain, il serait bien de lui donner ce rôle ... 

lundi 12 novembre 2012

Quand il n'y a plus rien ... ou presque

Au terme d'une restauration lourde et complexe intervient la réinstallation du tableau, qui s'inscrit dans le droit fil des dispositions observées jusqu'alors. Les ultimes précautions s'appuient sui- les principes établis de la conservation préventive, avec sécurisation adaptée à une œuvre de grand format, contrôle continu de l'ambiance climatique du local, éclairement mesuré des surfaces peintes, remise en situation et bonne lisibilité permise en toutes circonstances. Bénéficiant des dernières avancées technologiques, le triptyque a été installé clans une chapelle entièrement restaurée qui lui est spécifiquement dévolue. Une cloison l'isole du mur nord, sa sécurité est assurée de manière mécanique et électronique, un réseau de capteurs climatiques intègre les différents paramètres, un dispositif d'éclairage puise dans les toutes récentes innovations en matière d'éclairement fin - recours notamment à des diodes électroluminescentes. Soumis à un protocole précis de manipulation des volets et à des dispositions calendaires alternant temps d'ouverture et de fermeture, le triptyque du Buisson Ardent est désormais en mesure d'assurer durablement sa préservation. Inscrit dans des visées très actuelles, laïques et religieuses, patrimoniales et touristiques, il se voit en capacité de relever tous les défis ordinaires. S'il en va ainsi des œuvres monuments historiques, confrontées aux incertitudes et aux aléas de conservation car délibérément maintenues dans l'édifice qui les présente et les légitime à cet endroit précis, elles se nourrissent du regard que désormais nous leur portons. Qu'il soit admiratif pour les uns, dévotionnel pour les autres, il est nécessaire d'en ménager la distance et la permanence, tout autant qu'il s'impose aux conservateurs et restaurateurs de s'abstraire derrière cette émotion suscitée par la réémergence d'une histoire ainsi réapprivoisée.
(Yves Cranga,  Le triptyque du Buisson Ardent, 2011)



Décidément, il est temps que j'arrête ce blog, j'ai l'impression de me répéter ... encore des jardins en ruines ... mais sacrément riches. Je ne sais plus si je vous ai raconté la première fois que je suis allé à Méréville ... J'interroge Monique Mosser "Mais! À Méréville? Il n'y a plus rien !!!" elle me répond cette phrase qui me marque encore "A Méréville? Il y a tout" ... Monique est souvent critiquée mais là vingt dieux, elle avait diablement raison... elle avait raison pour Méréville mais aussi pour beaucoup d'autres jardins ... je vous en montre trois autres, au hasard ... tout semble être en ruine, disparu, oublié ... en regardant bien "Il y a tout"...

vendredi 9 novembre 2012

Abel Carlevaro ...

Abel Carlevaro - Preludios Americanos n°3 - Campo 

Abel Carlevaro ? On ne le connaît pas beaucoup en France … Dommage!! parce que c'est un très grand musicien guitariste uruguayen, créateur d'une nouvelle école de technique instrumentale … d’une nouvelle guitare avec la table d’harmonie sans rosace et en forme de piano à queue … très classique et très novateur ...  Certains, que je ne nommerai pas ici  d’andouille, ne rangent pas la guitare dans les grands instruments …ce sont les mêmes d'ailleurs, que je refuse ici de traiter d’ânes bâtés, qui considèrent que le jardin n’est ni de l’art ni de la grande architecture … On ne peut rien y faire … Faut vivre avec …

lundi 5 novembre 2012

Champs forever ...

The stuff that dreams are made of
(John Huston, The Maltese Falcon, 1941)

Le parc en 1885 - Henri Duchêne

Le parc en 1935 -  Achille Duchêne

Champs dans les années 1920 après 220 ans d'histoire et de projet
Bah oui! encore Champs ... Avouez que le cas n'est pas banal ... Champs est surement l'une des compositions les plus interessantes du territoire ... Champs est également un cas d'école, un cas pédagogique... le jardin d'Henri Duchêne devient régulier mais laisse une grande part à l'irrégulier ... pour moi le bel exemple du jardin mixte, c'est à dire mélangé, les styles s'articulant entre eux ... Par la suite Achille Duchêne tranchera ... s'affirmera dans le régulier et l'art déco... Il semble éloigner l'irrégulier ... mais attention pas trop vite ... quand vous irez parcourir Champs, vous serez surpris de constater que les deux styles s'aticulent encore admirablement ... Pourquoi cette dernière photographie à vol d'oiseau ? Je suis persuadé que le grand Claude Desgot serait fier du destin de Champs ... En tout cas moi, je le suis et bien content qu'il en soit ainsi ... pour finir une question où plutôt un dernier rêve ... à quand un Desgot-Henri-Achille-Duchêne pour écrire la  suite ? ici ou ailleurs ... 

vendredi 2 novembre 2012

¡Viva la revolución! ...

Nous avons proposé à la place un type de parc nouveau, distinct et inventif, représentant un changement, par son programme, par son organisation architecturale et si possible par son contexte urbain. Développant les innovations implicites au programme donné, notre ambition allait au-delà de la production d'une variation d'un type existant. Nous avons donc refusé de changer de style en conservant un contenu traditionnel, ou d'insérer le programme donné derrière une façade conventionnelle, qu'elle soit néo-classique, néo-romantique ou néo-moderniste. Au contraire, notre projet est motivé par les principes les plus constructifs avant régi l'histoire de l'architecture, dans laquelle de nouveaux développements programmatiques ont résulté en de nouvelles typologies. Notre ambition est de créer un nouveau modèle dans lequel programme, forme et contexte jouent un rôle complémentaire.
Le développement du projet  est déterminé par le fait que le site ne se trouve pas dans la nature, mais dans un quartier populeux et semi-industriel, incorporant des édifices considérables, la Cité des sciences et de l'industrie, la Grande Halle, et aujourd'hui le Zénith et la Cité de la musique. Rejetant l'idée d'une masse supplémentaire, même linéaire, sur un terrain déjà encombré, et respectant d'autre part les importantes demandes du programme, nous avons propose une solution structurelle simple : distribuer les exigences programmatiques a travers le site tout entier dans un arrangement replier de points d'intensité variable, désignés comme « Folies ». En déconstruisant le programme en une série d'activités placées selon les caractéristiques d'usage et de contexte, le projet permet le mouvement maximal à travers le site, encourageant les découvertes et présentant aux visiteurs une diversité de programmes et d'événements.
Les développements en architecture sont généralement lies a certains développements culturels motives par de nouvelles fonctions, de nouveaux rapports sociaux ou de découvertes techniques : nous avons pris ce constat comme le principe de base du projet, cherchant à le constituer comme image,  modèle structurel et exemple paradigmatique d'une organisation architecturale. Dans une période qui a vu l'avènement de la production de masse et des séries répétitives, le concept du nouveau parc consiste en un ensemble d'objets semblables et neutres, dont la similarité, loin rare un désavantage, leur permet toute variation et qualification programmatique. Ainsi, dans sa structure de base, chaque Folie est nue, indifférenciée,  et « industrielle », dans son image. Cependant, a travers la spécialisation de son programme, elle devient complexe, articulée et connotée. Chaque Folie constitue un signe autonome tout en suggérant, à travers une structure de base commune, l'unité du système global. Ce jeu de thème et variation permet une lecture à la fois symbolique et structurelle du Parc, tout en autorisant un maximum de flexibilité programmatique et d'invention.
(Bernard Tschumi, « Combinatoire », in textes parallèles, 1985)

Le très pédagogique parc de Champs-sur-Marne  : Le jardin régulier de 1700 et le jardin irrégulier de 1825

Depuis le temps que je vous parle de Champs sur Marne, j'espère que vous êtes allés le visiter ... Donc je disais que le projet conserve répare et emmène le jardin vers d"autres aventures ... Ici, après une centaine d'années de jardin régulier créé par Desgot en 1700, Champs passe au début du 19e siècle à l'irrégulier ... On ne connait pas l'auteur de ce jardin ... Tout est transformé et pourtant tout est encore là ...  Si c'était pour tout réutiliser à quoi bon un projet ? et pourquoi ne pas restaurer à l'identique me direz vous ... ? certes ... mais le jardin ne s"arrète pas en 1825 et il est parvennu jusqu'à nos jours ...  La qualité d'un jardin ancien n'est elle pas dans cette succession de projets réalisés??

jeudi 1 novembre 2012

Novembre ...

Je sais bien qu'il existe une foule de belles professions, comme d'écrire dans les journaux, de voter au Parlement, de siéger dans un conseil d'administration ou de signer des paperasses officielles; mais bien que tout cela soit beau et méritoire, on ne fait pas dans ces professions cette figure, on n'a pas cette posture, si monumentales, plastiques et véritablement sculpturales, qui sont celles de « l'homme à la bêche ». Monsieur, lorsque vous êtes debout dans votre plate-bande, un pied appuyé sur votre bêche et que vous vous essuyez le front en disant « ouf », vous avez tout l'air d'une statue allégorique; il suffirait que l'on vous déterre avec vos racines et que l'on vous pose sur un socle, portant une inscription comme « le Triomphe du Travail» ou « le Maître de la Terre », ou quelque chose dans ce goût-là. Je dis cela parce que c'est justement le moment, je veux dire le moment de bêcher.


Oui, en novembre il faut retourner le sol et l'ameublir. Prendre la terre à pleines bêches, c'est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de prendre de la nourriture à pleines louches ou à pleines cuillères. La bonne terre, comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse, ni trop lourde, ni trop froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni trop gluante, ni trop dure, ni trop crue: elle doit être comme du pain, ou du pain d'épices, comme un gâteau, comme une pâte levée; elle doit s'émietter mais non pas se dissoudre; elle ne doit pas former des blocs ni des mottes, mais quand vous la retournez à pleines bêches, elle a loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en grains de gruau. Et alors ce sera une terre appétissante et comestible, cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée et tendre, bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes qu'ils sont bons; et dans cette vallée de larmes, il n'y a rien de meilleur, comme on le sait.
Sache, homme jardinier, que durant ces journées d'automne, on peut encore transplanter. Pour cela il faut commencer par creuser avec la bêche, autour de l'arbuste ou de l'arbre, un trou, le plus profond possible; puis, on enfonce la bêche par dessous et on appuie sur le manche, ce qui a d'ordinaire pour résultat de casser le dit manche en deux.

Il y a des gens, les critiques en particulier, et aussi les orateurs publics, qui aiment bien parler de racines; ils proclament, par exemple, que nous devons retourner à nos racines, ou que tel ou tel mal doit être déraciné complètement, ou bien qu'il nous faut pénétrer jusqu'aux racines de quelque problème. Eh bien, je serais heureux de les voir, s'il leur fallait déraciner, disons un cognassier de trois ans.
Josef Čapek

Je voudrais voir 
M. Arne Novak pénétrer jusque dans les racines d'un arbuste même tout petit, un ruscus, par exemple. Je souhaiterais observer M. Zdenek Nejedly occupé â déraciner, mettons un vieux peuplier. Je pense qu'après de longs efforts ils se mettraient debout, s'étireraient et ne prononceraient qu'un mot. Et je donne ma tête à couper que ce mot serait : « Sacredié! ». J'en ai fait l'épreuve avec des cydonies et je confirme que travailler sur des racines est chose fort pénible et qu'il vaut mieux laisser les racines où elles sont : elles savent bien pourquoi elles veulent aller si profond; je dirais volontiers qu'elles ne tiennent pas à l'attention que nous avons pour elles. Il vaut mieux quitter les racines et se mettre à amender la terre.
Je sais bien qu'il existe une foule de belles professions, comme d'écrire dans les journaux, de voter au Parlement, de siéger dans un conseil d'administration ou de signer des paperasses officielles; mais bien que tout cela soit beau et méritoire, on ne fait pas dans ces professions cette figure, on n'a pas cette posture, si monumentales, plastiques et véritablement sculpturales, qui sont celles de « l'homme à la bêche ». Monsieur, lorsque vous êtes debout dans votre plate-bande, un pied appuyé sur votre bêche et que vous vous essuyez le front en disant « ouf », vous avez tout l'air d'une statue allégorique; il suffirait que l'on vous déterre avec vos racines et que l'on vous pose sur un socle, portant une inscription comme « le Triomphe du Travail» ou « le Maître de la Terre », ou quelque chose dans ce goût-là. Je dis cela parce que c'est justement le moment, je veux dire le moment de bêcher.

Oui, en novembre il faut retourner le sol et l'ameublir. Prendre la terre à pleines bêches, c'est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de prendre de la nourriture à pleines louches ou à pleines cuillères. La bonne terre, comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse, ni trop lourde, ni trop froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni trop gluante, ni trop dure, ni trop crue: elle doit être comme du pain, ou du pain d'épices, comme un gâteau, comme une pâte levée; elle doit s'émietter mais non pas se dissoudre; elle ne doit pas former des blocs ni des mottes, mais quand vous la retournez à pleines bêches, elle a loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en grains de gruau. Et alors ce sera une terre appétissante et comestible, cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée et tendre, bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes qu'ils sont bons; et dans cette vallée de larmes, il n'y a rien de meilleur, comme on le sait.
Sache, homme jardinier, que durant ces journées d'automne, on peut encore transplanter. Pour cela il faut commencer par creuser avec la bêche, autour de l'arbuste ou de l'arbre, un trou, le plus profond possible; puis, on enfonce la bêche par dessous et on appuie sur le manche, ce qui a d'ordinaire pour résultat de casser le dit manche en deux.

Il y a des gens, les critiques en particulier, et aussi les orateurs publics, qui aiment bien parler de racines; ils proclament, par exemple, que nous devons retourner à nos racines, ou que tel ou tel mal doit être déraciné complètement, ou bien qu'il nous faut pénétrer jusqu'aux racines de quelque problème. Eh bien, je serais heureux de les voir, s'il leur fallait déraciner, disons un cognassier de trois ans. Je voudrais voir

M. Arne Novak pénétrer jusque dans les racines d'un arbuste même tout petit, un ruscus, par exemple. Je souhaiterais observer M. Zdenek Nejedly occupé â déraciner, mettons un vieux peuplier. Je pense qu'après de longs efforts ils se mettraient debout, s'étireraient et ne prononceraient qu'un mot. Et je donne ma tête à couper que ce mot serait : « Sacredié! ». J'en ai fait l'épreuve avec des cydonies et je confirme que travailler sur des racines est chose fort pénible et qu'il vaut mieux laisser les racines où elles sont : elles savent bien pourquoi elles veulent aller si profond; je dirais volontiers qu'elles ne tiennent pas à l'attention que nous avons pour elles. Il vaut mieux quitter les racines et se mettre à amender la terre.

Dieu de leur parfum, si agréable qu'il ne peut pas se décrire. Eh bien, c'est ce parfum que le jardinier sent par avance dans ce tas de fumier fumant mêlé de paille : il renifle d'un air gourmand et il distribue attentivement ce don de Dieu à tout son jardin, comme qui étend de la confiture sur du pain pour donner à un enfant. « Tiens, petite fleur, et bon appétit. A vous, Madame Herriot, je donnerai un gros tas en récompense des jolies fleurs bronzées que vous eûtes; pour ne pas faire de jaloux, je to donnerai ce crottin; et a toi, phlox impétueux je to ferai un lit avec cette paille grise »
Pourquoi serrez-vous le nez, braves gens? Trouveriez-vous que ca ne sent pas bon?
Encore un peu de temps et nous rendrons a notre jardin le dernier service; nous laisserons passer quelque petite gelée d'automne puis nous le recouvrirons de branchages verts; nous courberons les rosiers pour les rapprocher du sol, nous les chargerons d'odorantes branches de pin, et bonne nuit. D'ordinaire ces branchages recouvrent aussi des tas de choses comme des couteaux de poche et des pipes; au printemps, quand nous enlèverons la couverture, nous retrouverons tout cela.
Mais nous n'en sommes pas encore la, nous n'avons pas encore fini de fleurir; l'aster de la Toussaint cligne encore de ses yeux lilas, la primevère pousse ses dernières fleurs ainsi que la violette, pour montrer que novembre est aussi une manière de printemps, et le chrysanthème des Indes (ainsi nomme parce qu'il vient de Chine) ne se laisse arrêter par aucune difficulté météorologique ou politique dans son effort pour produire son infinie richesse de frêles fleurs rousses et blanches, rouges et dorées, et le rosier se manifeste encore par ses dernières fleurs. Reine des fleurs, tu as fleuri pendant six mois; noblesse oblige.
Et puis, il y a les feuilles encore; les feuilles d'automne, jaunes et pourpres, roussâtres, orangées, rouges comme des piments, sombres comme du sang; et les baies rouges, orangées, noires, givrées de bleu et le bois jaune, rougi et clair, des branches nues; nous n'avons pas encore fini. Et lorsque tout cela sera recouvert de neige, il y aura encore le houx de couleur vert sombre avec ses petits fruits d'un rouge incandescent et les pins noirs et les cyprès et les ifs; cela n'a jamais de terme.
Je vous le dis la mort n'existe pas; il n'y a même pas de sommeil. Seulement nous croissons par périodes. Il faut être patient avec la vie car elle est éternelle.
Mais vous qui ne possédez pas un seul morceau de terre dans l'univers, vous pouvez rendre votre hommage a la nature en cette époque d'automne, en plantant dans des pots des oignons de jacinthes et de tulipes, afin qu'au cours de l'hiver ils gèlent ou se développent. Cela se fait de la façon suivante : on achète lesdits oignons et on prend chez le jardinier le plus voisin un sac de jolie terre de compost; puis on recherche dans la cave et au grenier tous les vieux pots de fleurs et dans chacun on plante un oignon. A la fin on s'aperçoit qu'on a encore quelques oignons, mais pas de pots. On achète alors des pots et puis on se rend compte qu'on n'a plus d'oignons mais qu'il y a des pots et de la terre qui reste. On achète quelques oignons de plus, mais comme on n'a pas suffisamment de terre, on achète un nouveau sac de compost. Puis, c'est la terre qui est en excédent, et, comme on ne veut pas la jeter, on aime mieux payer quelques pots de fleurs et quelques oignons de plus. Et on continue de cette façon, jusqu'à ce que les autres membres de la famille s'y opposent. Enfin on remplit de pots de fleurs les fenêtres, les tables, les buffets, l'évier, la cave et le grenier et on attend avec confiance l'arrivée de l'hiver.


 (Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)