mercredi 31 octobre 2012

Parlez moi de restitution et je vous fous mon poing sur la gueule ...

Fi des chantres bêlant qui taquinent la muse érotique
Des poètes galants qui lèchent le cul d'Aphrodite
Des auteurs courtois qui vont en se frappant le cœur
Parlez-moi d'amour et je vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois
(Georges Brassens, Sauf le respect que je vous dois, 1972)

Le parc de Champs-sur-Marne  : Le jardin régulier de 1700 et le jardin irrégulier de 1825
Je sais, je suis pathologiquement anti-restitutioniste ... voire névrosé … Parlez moi de restitution et je vous fous mon poing sur la gueule, sauf le respect que je vous dois …oserais-je dire ... La question du jour ??? : Doit-on aussi restaurer les jardins ? La restauration est-elle compatible avec le jardin ? avec la grande histoire des jardins ... La meilleure réponse à toute question d’intervention sur un jardin ne serait elle pas le projet …? Vous savez ce projet qui à la fois redonne de la force aux structures, répare ce que nous voulons garder à jamais et emmène le jardin vers de nouveaux horizons … Parce que quand même ..  si l’on veut être très historique quand on intervient sur un jardin historique, il semble que seul le projet est historique et a le pouvoir de conserver les jardins … à plus, avec la preuve en image ...

vendredi 26 octobre 2012

Pourquoi un plan de jardin ...

C'est une chose d'aller à Versailles et de se dire que les allées sont vastes, les jeux d'eau impressionnants, les statues majestueuses et les parterres bien dessinés. C'en est une autre de comprendre l'ordre classique et la disposition de tout un paysage selon l'axe de l'infini. Il en va de même pour le Désert de Retz. Celui qui s'y rend sans savoir ce que cherchait à faire M. de Monville n'y verra que des espaces gazonnés, des fabriques et de beaux arbres au-dessus desquels une colonne colossale dresse sa tête couronnée de mines. C'est superbe. mais est-ce tout? On ne voit vraiment le Désert que si l'on se refait en imagination la promenade de l'homme sensible, du philosophe qui voit le temps à l'œuvre en lui comme dans la nature, et même dans des rêves de pierre qu'on peut croire éternels.
(Michel Baridon, Les jardins.  Paysagistes - Jardiniers - Poètes, 1999)

Le plan du domaine de Hauterive à Issoire
Pourquoi un plan de jardin ...? Pour montrer ce que l'on a dans le ventre ...? Que nous montre principalement le plan du jardin du Domaine d'Hauterive ?? Le dessin des allées représente, dans la partie colorée, les symboles maçonniques …  moyen efficace de montrer au visiteur sa propre philosophie … nous sommes au 18e siècle. Dans le jardin, bien évidement, pas de G de la Gnose ni de compas etc … Cela ne doit pas vous empêcher d’y faire un tour. Ce parc qui a été ravagé en 1999 renait peu à peu de ses cendres. Deux éléments sont peu courants, les parterres sont transformés en jardins partagés et un quinconce est planté d’Ormes de Lutèce … Partage et renaissance ... Du symbolique très concret … Pas mal ! Non?
Les parterres "jardins partagés" du domaine de Hauterive à Issoire

mercredi 24 octobre 2012

La Terre ...

Quand ma pauvre mère se tirait les cartes, elle chuchotait toujours en touchant un des petits paquets : « sur quoi je marche ». A cette époque, je ne pouvais comprendre pourquoi elle s'intéressait tant à ce sur quoi elle marchait. Ce n'est que de longues années après que je commençai moi aussi à m'y intéresser; c'est que je découvris alors que je marchais sur la terre.

C'est un fait qu'on ne se soucie pas de savoir sur quoi on marche: on se précipite comme un fou et on s'occupe surtout des beaux nuages qui sont là-haut et du bel horizon ou des belles montagnes qui sont là-bas; mais on ne regarde pas à ses pieds pour se dire que la terre sur laquelle on marche est belle. Il faudrait que vous ayez un jardin grand comme la main ou du moins une simple petite plate-bande, pour que vous vous rendiez compte de ce sur quoi vous marchez. Et alors, mon garçon, vous verriez que les nuages ne sont ni si divers ni si beaux ni si terribles que la terre qui est sous vos pieds. Vous verriez qu'il y a de la terre acide, gluante, argileuse, froide, pierreuse, et sale; vous distingueriez la terre levée comme du pain d'épices et la terre chaude, légère et bonne comme du pain et de cette dernière vous diriez qu'elle est belle comme vous le dites des femmes ou des nuages. Vous ressentiriez un plaisir étrange et sensuel a enfoncer d'un coude votre canne dans une terre meuble ou a triturer dans la main une poignée d'humus pour en goûter la chaleur légère et tiède.

Et, si vous n'avez pas le sentiment de cette beauté particulière, puisse le destin vous assigner, en manière de châtiment, quelques pieds carres d'argile, d'une argile semblable au plomb, d'une argile crue et authentique qui sent le froid, qui s'étire sous la bêche comme du chewing-gum, qui rôtit au soleil et qui aigrit à l'ombre, d'une argile méchante, insoumise et pâteuse, gluante comme un serpent et sèche comme une brique hermétique comme le fer-blanc et lourde comme le plomb. Et maintenant, frappez avec le pic, coupez avec la bêche, cassez avec le marteau, bouleversez tout et travaillez en jurant et en vous lamentant a haute voix. Vous comprendrez alors ce que c'est que l'inimitié et l'obstination d'une matière morte et stérile qui s'est toujours refusée et se refuse encore a devenir une terre de vie; et vous prendrez conscience de l'effroyable lutte que la vie a du mener pied a pied pour s'implanter sur la terre, que cette vie s'appelle la plante ou l'homme.

Et ensuite vous vous apercevrez qu'il faut donner a la terre plus qu'on ne lui prend: faut la corroder, la bourrer de chaux et la réchauffer avec du fumier tout frais, la saupoudrer de cendres légères et l'abreuver d’air et de soleil. Et alors l'argile agglomérée commence à s'émietter, comme si peu a peu elle commençait a respirer; elle cède sous la bêche avec mollesse et une visible complaisance ; dans la main elle est chaude et soumise : la voila domptée. Croyez-moi, dompter quelques pieds carres de terre, c'est une grande victoire. La voila maintenant sous vos yeux, meuble, légère et tiède; on la voudrait toute entière émietter et broyer dans la main pour être sûr de sa victoire. On ne pense même plus à ce qu'on y sèmera. Le spectacle de cette terre sombre et légère n'est-il pas assez beau? N'est-il pas plus beau que n'importe quelle plate-bande remplie de pensées ou que n'importe quelle table de carottes? On a presque de la jalousie pour la végétation qui va prendre possession de ce noble fruit de l'industrie humaine, l'humus. 

Et à partir de ce moment, vous n'irez plus sur la terre sans savoir sur quoi vous marchez. Vous gouterez de la main et de la canne tous les tas de terre et tous les coins de champ, tout comme un autre regarde les étoiles, les gens ou les violettes; vous serez transports d'enthousiasme devant un humus bien noir, vous triturerez avec amour le mol humus de feuilles qui tapisse les forets, vous soupèserez la lourde terre a gazon ainsi que la tourbe légère.  "Mon Dieu, direz-vous plus d'une fois, cette terre-là, j'en voudrais avoir un wagon; et, tonnerre, un beau tas de cet humus de feuilles ferait bien mon affaire; et cette terre-là , je la répandrais a la surface. Et ces quelques bouses de vaches et un peu de ce sable de rivière et quelques rondelles de ces champignons d'arbre et un peu de cette vase de ruisseau et ces balayures du chemin, tout cela ne serait pas mauvais non plus, hein? et encore un peu de phosphate et de sciure de cornes; cette terre labourée m'irait fort bien aussi, Dieu du ciel! " Il y a des terres grasses comme du lard, légères comme du duvet, levées comme un gâteau, jaunes et noires, sèches et imprégnées d'humidité, qui sont toutes d'excellentes variétés de beauté, quoique très diverses : mais tout cela est laid et infâme qui est gluant, aggloméré, mouille, dur, froid, stérile et donne a l'homme pour qu'il maudisse la matière non rachetée, et tout cela est aussi laid que la froideur, l'opiniâtreté et la méchanceté des âmes humaines.

(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)




 Auguste Léon - La forêt vosgienne, autochrome 1930



lundi 22 octobre 2012

Etre Corse ... ?

Sans ami, sans appui, sans argent, sans armée, asservis à des maîtres terribles, seuls vous avez secoué leur joug. Vous les avez vus liguer contre vous, tour à tour, les plus redoutables potentats de l'Europe, inonder votre île d'armées étrangères : vous avez tout surmonté... Il s'agit moins de devenir autres que vous n'êtes, mais de savoir rester vous-mêmes. 
(Jean-Jacques Rousseau, Projet de constitution pour la Corse, 1763)
Carte postale
Etre corse et tenir un blog en ce moment et ne pas parler de la Corse et de la violence, non pas actuelle mais, qui continue inlassablement ... n’est pas chose facile … je me souviens, il y a quelques années, le 11 avril 2006 exactement, j’étais en Sicile. La police venait d'arrêter le capo des capi Bernardo Provenzano … une population courageuse s’était rassemblée à Parlerme, elle applaudissait la brigade anti-mafia ...
Bref ! ... On a encore du boulot … 



Pour mémoire, un extrait de la Constitution Corse du 18 novembre 1755.
   
Magistrature Suprême (rédigé à Caccia les 21 et 22 juillet 1755)

Art. 10 - La vie d'un homme est souvent en danger par vil intérêt, suspicion ou caprice. Les conséquences en sont funestes à l'ordre et au bon renom de la nation, les champs et le commerce sont délaissés, l'éducation des enfants négligée, les familles détruites, la dépopulation et la désolation son partout. Pour soigner une maladie, il faut en découvrir l'origine et y adapter le remède. Les homicides en Corse sont favorisés par une mentalité spéciale qui taxe de lâche celui qui ne se venge pas ; le point d'honneur est en jeu: laver l'outrage dans le sang. La seconde cause est dans l'impunité ; la vendetta devient ainsi un mal nécessaire. Les crimes restent impunis par le gouvernement génois qui tient à ce que les Corses soient divisés. La Vendetta n'est, au fond qu'une justice personnelle, à défaut de celle de l'Etat. Mais le pardon des injures n'est pas lâcheté, c'est une grandeur d'âme. Celui qui pardonne, triomphe de la haine qui est la plus déréglée des passions et se montre ainsi un Homme réellement fort. 
La persuasion n'étant pas suffisante pour avoir raison d'un mal si profondément enraciné, nous avons jugé d'y suppléer par une loi. Tous ceux qui se rendront coupables d'homicides, seront cloués au pilori du déshonneur et de l'infamie, jugés incapable d'obtenir un emploi public, ainsi que leurs enfants; leurs biens seront confisqués ou détruit et la peine de mort sera prononcée contre eux, sauf le cas de légitime défense. Les coupables d'assassinat seront attachés à la queue d'un cheval, leur maison rasées et les arbres leur appartenant, coupés. La même peine sera appliquée aux sicaires, a ceux qui attentent à la vie d'un chef ou qui exercent une vengeance transversale.

vendredi 19 octobre 2012

Un jardinier, un squelette et une ombre ...

Back to the trees!

(Roy Lewis, Pourquoi j'ai mangé mon père,1960)

Photographie A. Roussell, 1903
Squelette de jardin à Bourges ...
Ombre de Jardin à Albert Kahn ...

Je suis allé au jardin Albert Kahn l'autre jour et je me suis bien ennuyé ... la forêt vosgienne est sympa mais le reste, qu'est-ce qu'on s'emmerde ... c'est d'un propret redoutable … Pour tout vous dire je me suis bien plus amusé dans le jardin de l’Archevêché de Bourges qui n’est plus qu’un squelette avec des sycomores et des Aucuba japonica d'un autre âge… mais ce jardin décharné à garder cet âme qu’on ne trouve plus dans les jardins d’Albert Kahn … Je n’aime pas critiquer ici, d’ailleurs je ne critique pas, je suis triste … triste aussi parce que je sais les jardiniers très compétents … Alors quoi !! Qu’est-ce que vous attendez pour sortir ce jardin de l'ombre …

mercredi 17 octobre 2012

Le jardinier est un bienveillant …

La nature peignée, mise en culture, s'oppose à la pureté sup­posée des étendues vierges. Le rapport de l'homme avec la terre est sentimental, économique, possessif, passionnel. Aujourd'hui, on est un peu plus conscient des dommages que L'action de l'homme a causés à la nature. Comment réparer les dégâts ? Le problème est complexe et urgent, car l'urbanisation s'accroît et la population augmente.Comment corriger, comment prévenir ? Le traitement des sols pollués peut être entrepris de diverses manières qui font appel à la botanique, à la microbiologie, à la chimie, à l'électrochimie. Une technique est la phytoremédiation. Pour débarrasser un ter­rain d'un excès de métaux, on peut y faire pousser des plantes qui vont les absorber préférentiellement et permettre de les recy­cler. D'autres pratiques de « réparation végétale » sont utilisées pour, par exemple, freiner l'avancée du désert. Étant assujetties au rythme lent du végétal, ces méthodes exigent de la patience et une continuité dans l'action. IL s'agit d'investissements à long terme, d'actions civiques dans l'intérêt des futurs habitants de la planète. Réparer et ménager la terre sont désormais des devoirs : nous devons tenter de laisser derrière nous des sols propres, d'autant plus que nous savons encore comment et pour­quoi ils ont été pollués.
(Gilles Clément, Le Jardin Planétaire, 1999)

L'autre jardinier planétaire ...
J'entends des trucs ... Le jardinier est-il le créateur du jardin ? Le jardinier de Versailles partage-t-il la signature de l'œuvre avec André Le Nôtre ? Peut-on réellement parler de double signatures paysagiste/jardinier … ? A-t-on déjà entendu dire ne serait-ce qu’une seule fois n’importe où dans le monde " jardin créé par ??? et interprété par le célèbre jardinier ???" Moi ! Jamais entendu. Certes, on a entendu parler de célèbres jardiniers comme notre ami Jules-Alexandre Hardy au Luxembourg... mais il s'agit là d'un jardinier botaniste et non d'un créateur de jardin ...  Regardez à Champs, nous avons Claude Desgots, Henri et Achille Duchêne… on peut  parler ici de double voire triple signatures … A aucun moment on associe les deux derniers jardiniers en chef Pierre Harmel et Jean-Luc Dargent et pourtant, ils ont ni plus ni moins sauvé, redessiné et reconstruit le jardin. Peut-on associer le jardinier non pas comme individu mais comme profession dans le style "grâce au travail des jardiniers le jardin etc. ..." Non ! Non et non !!...  "le jardinier n'est pas un numéro" dirait alors Patrick McGoohan ( Numéro six)  dans Le Prisonnier … Le jardinier parano serait tenté de dire que tout ça c’est du politiquement correct, qu'on ne peut exister que si et seulement  si on est dans le processus de la création du jardin … Foutaise… C’est de l'ignorance et  méconnaitre le rôle du jardinier …  Le jardinier n'est pas un créateur, il est le bienveillant du jardin ...  à l’image de ce Jardinier Planétaire cher à Gilles Clément qui en aucun cas ne revendique une part dans la Création mais veille à la conservation à l'évolution à la transmission de la planète ou du jardin... comme on veut,  puisque visiblement c’est pareil …

lundi 15 octobre 2012

Phénologie ...

On donne le nom de phénologie à l'étude des rapports qui existent entre le climat et les différents stades de développement des plantes. Il s'agit simplement de l'évolution de la vie chez les végétaux et non pas de l'amélioration des espèces, qui relève de la génétique, ni de la recherche du rendement en fonction du milieu, qui relève de l'écologie. C'est une étude plus modeste, qui touche à ces deux sciences et en même temps à la météorologie ou, plus exactement, à la climatologie, puisque la phénologie tend à caractériser biologiquement le climat local, à le définir par quelques chiffres qui tiennent compte, en réalisant une sorte d'intégration naturelle, des différents facteurs entrant dans la définition d'un climat. Aussi est-elle beaucoup plus simple que ces diverses sciences et peut-elle être pratiquée dans n'importe quelle exploitation, verger, jardin ou grande culture. Le but que se propose l'horticulteur, de même que l'agriculteur, consiste à obtenir de bons rendements, beauté pour les fleurs, quantité et qualité pour les fruits. Ce n'est pas par des méthodes routinières qu'il y parvient, mais par la surveillance du développement de la plante. Celle-ci ne peut être poursuivie que dans des installations particulières et même des laboratoires spécialisés, mais les observations les plus élémentaires peuvent être faites par tous les horticulteurs; telles sont les observations phénologiques, puisqu'elles se bornent à noter les dates où apparaissent les modifications végétatives importantes. On pourra envoyer ces relevés à des centres d'étude, tels que les stations de météorologie agricole ou les commissions météorologiques départementales, siégeant dans chaque préfecture, qui en tireront parti pour caractériser les climats locaux et les écarts de l'année en cours. En même temps que le météorologiste, le botaniste trouvera aussi à étudier l'action propre des divers facteurs climatiques sur les différentes plantes. Mais l'observateur doit aussi en retirer quelques avantages, et nous allons voir que ce n'est pas impossible.
Il pourra essayer de déterminer les périodes critiques pour chaque espèce et se tenir prêt à appliquer au bon moment les traitements défensifs (lutte contre les gelées, contre le développement des maladies cryptogamiques); en séparant les périodes de développement des différentes espèces, il pourra prévoir les invasions des parasites et des mauvaises herbes et lutter plus facilement contre ces fléaux, car il démêlera l'action des facteurs climatiques, contre lesquels il ne peut rien ou peu de chose, de celle des facteurs dont il peut disposer (époque des semailles, sulfatations, travail du sol, etc.). Il pourra surtout choisir les formes végétales ou les variétés les mieux adaptées aux probabilités climatologiques de sa région, et rejeter celles dont la culture y est pratiquement impossible. Pour cela une longue continuité des observations phénologiques est nécessaire.
(L. Eblé, La phénologie en horticulture -  le Bon jardinier, 1947)

Régénération par le feu réalisée par les gardes forestiers du Bosquet de Mariposa en Californie

La phénologie est une science bien intéressante ...

Mais, s’il y a bien un truc bien différent et dont j’ai toujours eu en horreur, c'est le dicton qui prévoit le temps ... je mets dans le même sac le quidam qui me demande, parce que je suis jardinier, le temps qu’il va faire … du genre "Alors, ça va durer ce beau temps ? " Qu’est-ce que j’en sais ? … Un jour, il y a une bonne vingtaine d’années,  je déjeunais avec le haut de gamme des jardiniers en chef des domaines nationaux … Et voilà un des types qui commence à affirmer que l’hiver sera froid parce que la peau des oignons est épaisse … Ce n’est pas possible ! L’aristocratie des jardiniers tombe dans ce traquenard … Une bonne fois pour toutes … Non, le jardinier ne connaît pas l’avenir météorologique du territoire … A l’époque j’étais un petit peu "rentre dedans", je ne sais pas ce qu’il m’a pris, il a fallu que je la ramène … "Vous me rappelez l’histoire du colon américain qui va chercher du bois" Étonnement général … Je raconte ...
C’est un américain qui revient de la forêt avec un chargement de bois, il passe devant un indien, stoïque comme il se doit, qui lui dit sèchement "Hiver froid" L’américain continue son chemin en se disant qu’il n’a peut-être pas assez de bois "je décharge et  j’y retourne" Au retour avec son nouveau chargement, il repasse devant l’indien "Hiver très froid" Le visage pâle se dit que l’indien doit savoir ce qu’il dit … "Je décharge et  j’y retourne" se dit-il encore une fois … L’américain repasse devant l’indien avec un chargement de bois débordant du chariot … "Alors ? Cet hiver ? Toujours froid ?" "Hiver très très rigoureux" rétorque l’indien … Le doute envahit le colon américain "Mais comment sais-tu  que l’hiver sera froid ?"  "Très vieux proverbe indien" répond le peau rouge "Quand visage pâle couper du bois, hiver très froid"
Curieusement, ils n’ont pas trouvé mon histoire drôle … Moi ! j’en ris encore ...

vendredi 12 octobre 2012

Cézanne le faussaire ...

La ville n’était pas jolie. Ses bâtisseurs, pour la plupart, avaient choisi le tape-à-l’œil. Peut-être avec un certain succès au début. Le temps passant, les hauts fourneaux, dont les cheminées de brique se dressaient au sud, devant une montagne morne, avaient tout rendu uniformément crasseux en le recouvrant d'une suie jaunâtre. Le résultat était une ville laide de quarante mille habitants, nichée dans une gorge laide, entre deux montagnes laides entièrement souillées par l'exploitation de la mine. Tendu au-dessus de la ville, un ciel brouillé semblait monter des hauts fourneaux. Le premier policier que je vis avait une barbe de trois jours. Le deuxième portait un uniforme défraîchi auquel manquaient deux boutons. Le troisième, planté au milieu du carrefour principal, à l'intersection de Broadway et de Union Street, réglait la circulation, cigare au bec. Je cessai ensuite de les passer en revue.
(Dashiell Hammett, Red Harvest, 1927)
Malagar - "paysage le plus beau du monde"

Jas de Bouffant aujourd'hui et peint par Cézanne

Je vous le dis tout net! Paul Cézanne est un faussaire ... Non seulement un faussaire mais en plus, il démolit sans vergogne une théorie qui m’est chère … le jardin est l’oeuvre et non le plan ou le tableau qui le représente … Or, au Jas de Bouffant, Cézanne nous démontre, avec ce génie incomparable, exactement le contraire … La représentation devient l’oeuvre … A moins que ce soit le fait du propriétaire … Mauriac dit à propos de Malagar "Tant pis ! J’oserai dire ce que je pense : paysage le plus beau du monde, à mes yeux... " Nul ne peut se substituer au regard amoureux du propriétaire … propriétaire avec des souvenirs d'enfances … Alors comment intervenir ou bien même visiter un tel lieu ? … Comment ressentir la beauté absolument pas évidente du Jas de Bouffant ? Se mettre dans la peau et les yeux de Cézanne ?? Mission impossible pour un simple mortel … Que ce soit à Malagar, au Jas de Bouffant, nous ne sommes que des spectateurs aveugles se débattant dans une ignorance visqueuse face à une oeuvre qui n’appartient qu’au regard d'un seul ...

mercredi 10 octobre 2012

Sisley le jardinier ...


Mais la sur surface et la ligne extérieure ne doivent pas seules fixer ici notre attention. Quoiqu'un bocage soit beau en tant qu'objet de perspective. il est encore délicieux comme lieu de promenade ou de repos. Le choix et la disposition des arbres pour les effets intérieurs doivent donc entrer principalement en considération. L'irrégularité toute seule n'y saurait plaire. La parfaite symétrie serait encore à préférer au chaos, et il vaut mieux que l'art se montre que s'il n'y en avait point du tout. Des arbres plantés régulièrement ne sont pas absolument privés de beauté : niais cette beauté donne peu de plaisir. parce que nous savons que ces mêmes arbres pourraient être disposés dune manière beaucoup plus belle, et plus agréable. Cependant une disposition telle qu'il n'v eût que des lignes de rompues, sans que les distances fussent variées, est la moins naturelle; nous ne trouvons point à la vérité de lignes droites ou continues dans une forêt, mais les haies que nous voyons si fréquemment dans les champs nous y ont accoutumés : au lieu que nul terrain, ni sauvage ni cultivé. ne nous offre jamais des arbres plantés à une égale distance : cette régularité est l'ouvrage de l'art seul. Les distances doivent donc ici varier prodigieusement. Les arbres seront rassemblés en groupes, ou seront plantés sur des lignes variées et irrégulières, qui décriront diverses figures. Leurs intervalles seront contrastés, tant dans les formes que dans les dimensions.

(Thomas Whately, L'Art de former les jardins modernes, 1770)

Alfred Sisley
Le rapport d'Alfred Sisley avec le paysage et la nature est connu ... En regardant ses tableaux, il y a une organisation qui plait au paysagiste, au jardinier ... Oui! il y a du jardinier chez Sisley … Regardez comment Sisley structure les paysages ... des alignements d'arbres, des clôtures, des arches... Il confronte ces rythmes  à des lignes fuyant vers l'infini … il joue avec les perspectives, les cadrages … pas de doute, Sisley aurait fait un grand paysagiste …Bon ! il a préféré être un peintre génial … c'est son droit …

lundi 8 octobre 2012

André le bâtisseur ...

Un terrain dont le niveau général ou moyen Serait presque horizontal ou en faible pente, mais qui comporterait une série d'ondulations irrégulières s'harmonisant avec le caractère du paysage tout entier, permettrait à l'art d'aider la nature pour placer l'habitation. On pourrait choisir l'une de ces éminences les plus caractérisées, celle par exemple lui permettrait la série la plus complète d'embellissements vus de ce point. On en augmenterait sensiblement la hauteur ; ainsi l'œil plongerait (les appartements clans les dépressions diverses du sol ondulé, où des eaux pourraient prendre place. Les dimensions de l'habitation doivent toujours être appropriées à celles du tertre où elle sera placée. Si cette éminence est allongée suivant la pente d'une colline, la façade aura une assez grande longueur relative, et l'épaisseur du bâtiment sera diminuée. Si, au contraire, le sommet du tertre est régulier, assez étroit, et que le terrain descende également de tous les côtés, la silhouette se rapprochera de la forme carrée, avec quelques décrochements pour varier les ombres et égayer l'ensemble. Si la façade était trop longue pour le tertre, l'espace environnant serait trop étroit; l'habitation semblerait placée sur un maigre piédestal,  L’approche en serait difficile, et les proportions seraient manquées.
(Edouard André, Traité général de la composition des parcs et jardins, 1879)



Il y a ici toute la maitrise d'Edouard André... que dire de plus ? Ces deux croquis sont tout à fait parlant  ... repérage et utilisation des anciennes structures, vues guidées par le relief ... tout est dans l'observation du terrain, du territoire ... Ensuite, le jardin se construit comme par magie, avec juste ce qu'il faut de ... génie ... quand même!!!

vendredi 5 octobre 2012

Camille Pissarro et Edouard André ...

La forme du plan de la maison est donc motivée par la forme du terrain. Une allée d'arrivée, tracée en montant vers l'habitation, produira un effet excellent, surtout si les ondulations du sol sont variées en restant douces, et fournissent des oppositions de lumière et d'ombre par la projection des plantations sur les pelouses.

(Edouard André, Traité général de la composition des parcs et jardins, 1879)

Camille Pissarro, La Brouette, verger, 1881 -  Edouard André,  jardin de Montertreau 


Camille Pissarro, Les Coteaux de l'Hermitage, Pontoise,1867 -  Edouard André,  jardin de Montertreau 

Camille Pissarro m'émeut ...  Devant Pissarro je suis là ... tout chose ... rien d'original me direz-vous ...  Certes ... Passons ...  Pissarro est aussi un constructeur de paysage, comme Edouard André...  qui a influence qui ? le peintre ou le paysagiste ? je ne sais pas (je pencherais pour le peintre mais pas convaincu...) Regardez les deux tableaux de Pissarro et le jardin de Montertreau réalisé par André ... même construction ... même émotion ...  Pourtant, bizarrement, je suis loin d'être certain que l'un provoque l'autre ... il y a autre chose... 

mercredi 3 octobre 2012

J'aime Pissarro ...

Il a eu la veine de naître aux Antilles, là il a appris le dessin sans maîtres.
(Paul Cézanne à propos de Camille Pissarro)



Camille Pissarro, Le Jardin de Mirbeau aux Damp , 1891
Camille Pissarro, Le Jardin de Pontoise,1877

lundi 1 octobre 2012

Octobre ...

On dit « Octobre »; on dit que «la nature se prépare au sommeil»; le jardinier, lui est mieux renseigné et il vous dira qu'octobre est un mois aussi bon qu'avril. Pour tout vous dire, octobre est le premier mois du printemps, le mois de la germination et du bourgeonnement souterrains, de l'éclosion cachée, des bourgeons qui se gonflent. Creusez un peu, très peu, le sol et vous trouverez une foule de germes formés, gros comme le pouce, et de frêles bourgeons... c a beau dire, c'est le printemps qui est là. Allons, jardinier, sors de chez toi et plante (mais attention de ne pas couper avec ta bêche un oignon de narcisse en végétation). 

Ainsi donc, entre tous les mois, octobre est le mois des plantations et des repiquages. Au printemps, le jardinier est près d'une plate-bande où quelques pointes sortent çà et là et il se dit, d'un air absorbé : « Ici c'est un peu nu et vide, il faudra que j'y plante quelque chose. » Un mois après, il se trouve de nouveau devant la plate-bande, dans laquelle ont poussé de grandes tiges de pieds d'alouette, une jungle de fleurs, une forêt vierge de campanules et le diable sait de quoi encore et il se dit, d'un air absorbé « Ici c'est peu trop fourni et touffu, il va falloir que je déterre quelques plantes pour les disperser.»En octobre, le jardinier est près de la même plate-bande, d'où sort çà et là quelque feuille sèche ou quelque tige fanée et il se dit, d'un air absorbé : « Ici c'est un peu nu et vide, je vais y planter une demi-douzaine de phlox ou quelque aster de la grande espèce.» Et il y va et fait ainsi. La vie du jardinier est pleine de changements et de volonté créatrice. En octobre, le jardinier, grondant avec un contentement caché, trouve dans son jardin des places vides. « Bigre, se dit-il, quelque plante a dû périr ici; voyons, il faut que je plante quelque chose à la place, par exemple une verge d'or — je n'en ai pas encore — mais c'est une astilbe qui irait le mieux; il est vrai que pour l'automne un pyrethrum uliginosum ferait très bien, mai; pour le printemps quelque plante alpestre ni ferait pas mal; halte, j'y mettrai une monarda soit une Sunset soit une Cambridge Scarlet mais une hémérocalle irait tout aussi bien. 

Josef Čapek

Ensuite, plongé dans une profonde méditation il rentre chez lui, se disant, en chemin, que lE coréopsis est aussi une bonne plante et que la bétoine mérite de n'être pas négligée. Puis il fait aussitôt une commande de verges d'or; d'astilbes, de pyrethrum uliginosum, de plantes alpestres, d'hémérocalles, de coréopsis, de bétoines et il y ajoute encore la bourrache et la sauge. Puis il enrage pendant quelques jours de ce que ses fleurs n'arrivent pas. Le facteur lui apporte enfin un grand panier, avec lequel il se précipite vers la place vide, emportant sa bêche. Au premier coup de bêche qu'il donne, il extirpe un grumeau de radicelles au-dessus desquelles se trouve toute une touffe épaisse de gros bourgeons! « Mon Dieu, halette le jardinier, c'est là que j'avais planté mon trolle. » 

Oui, il y a des maniaques qui veulent avoir dans leur jardin tout ce qui appartient aux soixante-huit familles de plantes dicotylédones, aux quinze familles monocotylédones, aux deux familles gymnospermes, et parmi les cryptogames au moins toutes les fougères, car les lichens et les mousses sont d'une culture difficile. Par contre il y a des maniaques plus maniaques encore, qui consacrent leur vie à une seule espèce, et qui veulent absolument posséder toutes celles de ses variétés qui ont été cultivées et dotées d'un nom jusqu'à présent. Par exemple, il y a les amateurs d'oignons adonnés au culte des tulipes, des jacinthes, des lis, des chionodoxes, des narcisses et autres plantes à oignons; il y a aussi les spécialistes des primulacées et des auricules,qui n'ont d'yeux que pour les primevères, les anémones et les cyclamens; il y a les spécialistes des iris et des glaïeuls, qui mourraient de chagrin s'ils n'avaient pas tout ce qui se rattache aux groupes Apogon, Pogoniris, Regelia, Onocyclus, Juno et Xiphium, sans compter les hybrides; il y a les spécialistes des delphiniums, il y a les spécialistes des roses, qui ne fréquentent que Madame Druschki, Madame Herriot, Madame Caroline Testout, M. Wilhelm Kordes, M. Pernet et les nombreuses personnalités qui se sont incarnées dans les roses; il y a les phloxistes fanatiques ou philophloxes, qui, au mois d'août, lorsque fleurissent les phlox, méprisent hautement les chrysantémomanes, lesquels le leur rendent bien en octobre, au moment de la floraison du chrysanthemum indicum; il y a les mélancoliques amateurs d'asters qui de toutes les voluptés de cette vie préfèrent les asters tardifs. Mais de tous ces fanatiques, les plus sauvages — si on met à part les amateurs de cactus — sont les spécialistes des dahlias, qui, pour avoir un nouveau dahlia américain, payent des sommes astronomiques — jusqu'à des vingt couronnes. Parmi tous ces gens-là, les spécialistes des oignons sont les seuls qui aient une certaine tradition historique et même un patron, lequel n'est autre que Saint-Joseph, parce que, comme on sait, il tient à la main un lilium candidum (lis blanc), bien qu'il lui soit possible aujourd'hui de se procurer un lilium Brownii leucanthum qui est encore beaucoup plus blanc. Par contre aucun saint ne se présente avec un phlox ou un dahlia : la conséquence en est que les gens adonnés au culte de ces fleurs sont des sectaires et que, parfois même, ils fondent des églises particulières.
 Pourquoi ces cultes-là n'auraient-ils pas aussi leur « Vie des Saints »? Par exemple, imaginez un peu la vie de Saint Georginus de Dahlia. Georginus était un homme vertueux et pieux, qui avait obtenu, grâce à de longues prières, de faire pousser les premiers dahlias. Lorsque l'empereur païen Phloxinien l'apprit, il fut saisi de fureur et envoya ses séïdes pour s'emparer du pieux Georginus : «Vilain marchand de légumes, gronda l'empereur Phloxinien, tu vas t'incliner devant ces phlox fanés. — Non, répondit fermement Georginus, parce que les Dahlias sont les dahlias et que le phlox n'est pas autre chose que le phlox. — Coupez-le en morceaux », s'écria le cruel Phloxinien, et on coupa en morceaux saint Georginus de Dahlia, on ravagea son jardin et on y répandit du vitriol vert et du soufre. Mais des morceaux du corps de saint Georginus naquirent les bulbes de tous les futurs dahlias pivoines et anémones, simples et composés, étoilés et lilliputiens, et de leurs hybrides. L'automne est une époque d'une extraordinaire fécondité ; en comparaison, le printemps est, si j'ose dire, une bagatelle; l'automne aime travailler sur une grande échelle. Avez-vous jamais vu une petite violette printanière atteindre trois mètres de hauteur ou une tulipe pousser plus haut que les arbres? 
Josef Čapek
Vous voyez bien. Mais par contre si vous plantez au printemps quelque aster d'automne, vous aurez en octobre une forêt de deux mètres de haut dans votre jardin et vous n'oserez pas vous y aventurer, parce que vous ne retrouveriez plus le chemin pour en sortir; ou bien vous enterrez en avril une racine d'hélénium ou de tournesol, et, en octobre, des fleurs jaunes que vous ne pouvez même pas attraper en vous dressant sur la pointe des pieds vous font d'en haut des signes ironiques. Il arrive souvent au jardinier de sortir un peu de la mesure. C'est pourquoi, à l'automne, il transporte ses plantes de place en place comme une chatte ses petits. Chaque année il se dit avec contentement : «Bon, maintenant tout est planté et à sa place. L'année prochaine je me reposerai. » Le jardin n'est jamais fini. En ce sens, le jardin ressemble au monde et à toutes les entreprises humaines.

(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)