S'il (le Roi) s'aperçoit que les gouverneurs lui présentent un territoire bien peuplé, une terre en pleine production, remplie des arbres et des récoltes qui lui sont propres, il leur confie un autre territoire en plus, les gratifie de présents, leur attribue en récompense des places d'honneur. S'il en voit, au contraire, dont le territoire est improductif et mal peuplé par suite de leur dureté, des violences commises, de leur incurie, il les châtie, les dépose et nomme d'autres gouverneurs.
Si le phrourarque (chef militaire) ne défend pas le pays comme il faut, le gouverneur chargé des civils et qui veille aux travaux agricoles accuse le phrourarque parce que, faute de protection, le travail aux champs est impossible. Mais si, malgré la sécurité assurée par le phrourarque, le gouverneur laisse le pays mal peuplé et improductif, c'est au tour du phrourarque de l'accuser. En général, ceux qui travaillent mal la terre ne nourrissent plus les garnisons et ne peuvent pas s'acquitter des tributs. Partout où il y a un satrape (Gouverneur), c'est lui qui a la haute main sur les deux domaines, civil et militaire.
Alors Critobule dit : «Eh bien, si c'est vraiment ainsi qu'agit le Grand Roi il ne donne pas moins de soins, il me semble, aux travaux de l'agriculture qu'à ceux de la guerre.
Qui plus est, dit Socrate, partout où il séjourne, partout où le conduisent ses voyages, il veille à ce qu'on y trouve de ces jardins appelés "paradis", remplis de tout ce que la terre a coutume de produire de beau et de bon et il y passe lui-même la plus grande part de son temps lorsque la saison ne l'en chasse pas.
— Par Zeus, dit Critobule, il faut bien, Socrate, puisqu'il y passe son temps. que l'on veille à ce que les paradis soient pourvus autant que possible des plus belles plantations d'arbres et de tous les plus beaux produits de la terre.
— Certains racontent aussi, Critobule, dit Socrate, que lorsque le roi offre des présents, il appelle d'abord ceux qui se sont montrés braves à la guerre, car rien ne sert de labourer de vastes champs s'il n'y a personne pour les défendre; ensuite ceux qui travaillent le mieux leurs champs et les font produire : car, dit-il, les plus vaillants ne pourraient vivre s'il n'y avait personne pour travailler la terre.
«On dit aussi que Cyrus, jadis, ce roi illustre entre tous, a déclaré à ceux qu'il avait appelés pour les récompenser qu'il mériterait lui-même de recevoir les deux sortes de récompenses : il s'entendait très bien, disait-il, à cultiver la terre, tout comme à défendre les cultures.
— Eh bien, Socrate. dit Critobule, Cyrus, s'il tenait ces propos, ne se glorifiait pas moins de faire produire ses terres et de les cultiver que d'être un homme de guerre.
— Par Zeus, dit Socrate, Cyrus le Jeune aussi, s'il avait vécu, aurait fait, je crois, un souverain excellent. Il en a donné bien des preuves, en particulier quand il marchait contre son frère pour lui disputer la royauté: aucun déserteur n'est passé, dit-on, de Cyrus au Grand Roi, mais des milliers et des milliers sont passés du Grand Roi à Cyrus.
«Or c'est à mes yeux une grande preuve de la valeur d'un chef qu'on lui obéisse volontiers et qu'on consente à rester auprès de lui dans le danger: les amis de Cyrus ont combattu avec lui tant qu'il a vécu, et, quand il a été tué, ils se sont tous fait tuer avec lui en combattant sur son corps sauf Ariée. Eh bien, dit-on, comme Lysandre venait lui apporter les présents des alliés, ce Cyrus, entre autres témoignages d'amitié lui a fait visiter lui-même, selon le récit de Lysandre, son "paradis" de Sardes. Lysandre admirait comme les arbres en étaient beaux, plantés à égale distance, les rangées droites, comme tout était ordonné suivant une belle disposition géométrique, comme tant d'agréables parfums les accompagnaient dans leur promenade; rempli d'admiration, Lysandre s'écrie: "Vraiment, Cyrus, je suis émerveillé de toutes ces beautés, mais j'admire encore davantage celui qui t'a dessiné et arrangé tout ce jardin."
Charmé d'entendre ces paroles, Cyrus répond: "Eh bien, c'est moi qui ai tout dessiné et arrangé, il y a même des arbres, ajoute-t-il, que j'ai plantés moi-même." Alors, suivant son récit, Lysandre tourne ses regards vers Cyrus, il voit la beauté des vêtements du roi (dont il sent le parfum), la beauté des colliers, des bracelets, de toute la parure qu'il porte, et il s'écrie : "Que veux-tu dire, Cyrus? C'est toi qui as planté une partie de ce jardin de tes propres mains?"«Cyrus répond: "Tu t'en étonnes, Lysandre? Je te jure par Mithra, que lorsque je me porte bien, je ne vais jamais dîner sans m'être mis en sueur à peiner à quelque travail guerrier ou champêtre, ou sans me mettre toujours de tout cœur à quelque autre exercice." A ces paroles Lysandre raconte qu'il lui a pris la main en disant: "C'est à bon droit, Cyrus, que tu me sembles heureux, car c'est à ta vertu que tu dois ton bonheur."
«Ce récit, Critobule, dit Socrate, te montre que les personnages les plus opulents ne peuvent se passer de l'agriculture : tu le vois, cette occupation est à la fois une source d'agrément, un moyen d'accroître sa maison, un moyen d'entraîner son corps à tout ce qu'il sied qu'un homme libre soit capable de faire.»
(Xenophon - Économique - Le Paradis du Grand Roi - vers 362 av. J.C)
Reconstitution du palais de Pasargades et ses Jardins (Plan de D. Stronach, Journal of Garden History) |
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