lundi 29 juillet 2013

La Pluie Bienfaisante ...

Il faut croire que chacun de nous a en lui par hérédité un peu d'âme paysanne, même lorsqu'il ne cultive pas de pélargonium dans un pot sur le bord de sa fenêtre. Dès qu'il fait soleil depuis une semaine, nous commençons à regarder le ciel d'un air inquiet et à dire à tout venant : 

"Il faudrait de la pluie.
— Oui, répond un autre citadin. L'autre jour, je suis allé à Letnà . Tout y est sec au point que la terre se crevasse.
— Et moi, je suis allé l'autre jour à Kolin, en chemin de fer, reprend le premier, et je crois qu'il fait une sécheresse terrible.
— Il faudrait qu'il tombe une bonne pluie, soupire le second.
— Et que ça dure au moins trois jours", ajoute le premier.

Mais en attendant, le soleil darde ses rayons; Prague peu a peu commence a sentir la chair humaine échauffée; dans les tramways les gens sont excites et quelque peu hargneux.

"Je pense qu'il va pleuvoir, dit un être couvert de sueur.
           Ce serait à souhaiter, hâlette un autre.
           Il faudrait qu'il pleuve au moins une semaine, reprend le premier, pour la campagne et tout.
           Il fait trop sec", avance le second.

Josef Čapek, 1929

Pendant ce temps, la chaleur du soleil devient étouffante, on sent dans l'air une tension extrême, les nuages roulent dans le ciel sans soulager ni la terre ni les gens. Mais, tout à coup, l'orage éclate à l'horizon; un vent gorge d'eau se met a souffler, et ca y est : la pluie, tombant comme des cordes, ruisselle sur les paves, la terre respire d'une façon presque perceptible a l'oreille, l'eau bruit, cliquette, jase, tambourine aux fenêtres, tapote avec mille doigts dans les chéneaux, court en longs rubans et sonne dans les flaques, et l'homme voudrait crier de joie; il met la tête a la fenêtre, pour la rafraichir au contact de l'humidité céleste; il siffle, il fait du bruit et voudrait se mettre tout nu dans les torrents jaunâtres qui se précipitent le long des rues. Bienfaisante pluie, rafraichissante volupté de l'eau! Rachète mon âme et lave mon cœur, scintillante et froide rosée! La chaleur m'avait déjà rendu mauvais, mauvais et paresseux; j'étais paresseux et lourd, stupide, matériel et égoïste; je me desséchais de sécheresse et je m'étouffais en moi-même sous le fardeau de mon dégoût. Résonnez, baisers argentés avec qui la terre altérée accueille le choc des gouttes de pluie; bruis, rideau de pluie qui purifies tout. Aucun miracle du soleil ne se peut égaler au miracle de la bienfaisante pluie. Cours, eau souillée, dans les ruisseaux, abreuve et attendris la matière assoiffée qui nous emprisonne. Tous nous avons respiré, l'herbe, moi, la terre, nous tous c'est ainsi que nous sommes bien.
L'averse bruissante a cessé, comme par enchantement; la terre brille à travers une brume argentée ; dans les buissons, le merle éclate en chansons et fait le fou; nous aussi nous ferions bien les fous, mais, en attendant, nous sortons, tête nue, devant notre porte, pour respirer l'humidité étincelante de l'air et du ciel.

"Il est tombé une bonne pluie, nous disons-nous.
—Oui, mais il devrait en tomber davantage encore.
— Il le faudrait, mais c'était déjà une bonne petite pluie."

Une demi-heure après, il recommence à pleuvoir, en longs fils ténus : c'est la vraie pluie calme et bonne; c'est la moisson qui tombe du ciel, abondante et calme. Ce n'est plus l'averse giclante et bruyante; c'est la douche légère et tranquille qui murmure doucement. Pas une seule goutte de toi, douce rosée, ne tombe en vain. Mais voici que les nuages se déchirent et que le soleil dissipe les fils tenus; les fils se rompent, la douche s'arrête, et la terre exhale une agréable tiédeur.

"C'était une bonne petite pluie de mai, nous félicitons-nous, tout va maintenant verdoyer a souhait.
— Encore quelques gouttelettes, disons-nous, et ca sera suffisant."

Le soleil frappe a plein la terre, une sueur vaporeuse monte du sol humide, on respire péniblement, on a une sensation d'étouffement comme après un incendie. Dans un coin du ciel se prépare une nouvelle tempête, on respire une vapeur humide, quelques lourdes gouttes tombent du ciel et de quelque part ailleurs souffle un vent ivre, d'un froid pluvieux. On s'abandonne dans l'air imprègne d'humidité comme dans un bain tiède; on respire des gouttelettes d'eau, on marche a travers des rigoles, on voit dans le ciel s'amonceler des paquets de vapeur blancs et gris c'est comme si le monde entier voulait fondre en une pluie de mai, chaude et douce.
Josef Čapek, 1929


" Il devrait bien pleuvoir encore un peu", disons-nous.

 (Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)

vendredi 19 juillet 2013

Une semaine avec Jean-Henri Fabre ... Le Papillon ...

Le lendemain, Émile et Jules étaient en admiration devant les papillons qui voletaient sur les fleurs du jardin. Oh! Qu’ils sont beaux! se disaient-ils; oh! Mon Dieu! Qu’ils sont beaux". Il y en a dont les ailes sont barrées de rouge sur un fond grenat; il y en a d'un bleu vif avec des ronds noirs; d'autres sont d'un jaune de soufre avec des taches orangées; d'autres sont blancs et frangés d'aurore. Ils ont sur le front deux fines cornes, deux antennes, tantôt effilées en aigrette. Tantôt découpées en panache. Ils ont sous la tète une trompe, un suçoir aussi mince qu'un cheveu et roulé en spirale. Quand ils s'approchent d'une fleur, ils déroulent la trompe et la plongent au fond de la corolle pour y boire une goutte de liqueur mielleuse. Oh! Qu’ils sont beaux Oh! Mon Dieu! Qu’ils sont beaux! Mais si l'on vient à les toucher, leurs ailes se flétrissent et laissent entre les doigts comme une fine poussière de métaux précieux.
L'oncle vint. — Celui-ci, disait-il, dont les ailes sont blanches avec une bordure et trois taches noires, s'appelle la piéride du chou. Cet autre plus grand, dont les ailes jaunes et barrées de noir se terminent par une longue queue a la base de laquelle se trouvent un grand ail couleur de rouille et des taches bleues, se nomme le machaon. Ce tout petit, d'un bleu de ciel en dessus, d'un gris argenté en dessous, parsemée de taches noires cerclées de blanc, avec une rangée de points rougeâtres bordant les ailes, s'appelle l'argus. Et l'oncle continua ainsi le dénombrement des papillons qu'un beau soleil avait attires sur les fileurs.
JULES. - Et le papillon de notre chenille?
PAUL. - Je vais le chercher.
L'oncle revint bientôt. Il apportait une grande boite en carton dans laquelle étaient fixes avec des épingles, sur un fond de liège, des papillons et des scarabées de toutes sortes. Il y avait la les insectes qui font du tort aux récoltes, aux fruits, aux plantations. L'oncle les avait peu à peu recueillis, pour sa propre instruction et pour celle des autres. Il sortit de la boite le papillon que voici.
PAUL. - La chenille du lilas de Jules serait devenue ce papillon superbe, qu'on nomme Zeuzère du marronnier. Les ailes sont d'un beau blanc avec de nombreuses taches d'un bleu fonce presque noir; le corps est également d'un blanc soyeux; six gros points bleus sont ranges en deux lignes sur le dos a la naissance des ailes. La femelle diffère du male par une taille moitie plus grande et par un long conduit jaunâtre et pointu qui termine le ventre et sort introduire les œufs dans les fines rides de l'écorce des arbres.
EMILE. — Et ce papillon provient de cette laide chenille?
 PAUL. – 0ui, mon enfant. Tout papillon, avant d'être la gracieuse créature qui vole de fleur en fleur avec de magnifiques ailes, est une misérable chenille, qui rampe péniblement. Ainsi la zeuzère, avec ses ailes de satin blanc tigre de bleu, provient d’une chenille pareille a celle que nous avons prise dans le lilas de Jules; ainsi la piéride, que vous voyez voler dans le jardin, est d'abord une chenille verte, qui se tient sur les choux et en ronge les feuilles. 


Jacques vous dira toute la peine qu'il prend pour garantir de la vorace bête sa plantation de choux, car, voyez vous, elles ont un terrible appétit, les chenilles. Vous en saurez bientôt le motif.
La plupart des insectes se comportent comme les papillons. Au sortir de l’œuf, ils ont une forme provisoire qu'ils doivent remplacer plus tard par une autre. Ils naissent en quelque sorte deux fois : d'abord imparfaits, lourds, voraces, laids; puis parfaits, agiles, sobres, et souvent d'une richesse, d'une élégance admirables. Sous sa première forme, l’insecte est un ver que l’on désigne par le nom général de larve. Retenez bien ce mot, qui reviendra souvent. 

Vous connaissez la jardinière, ce bel insecte d'un vert doré que vous voyez si souvent vagabonder dans le jardin. Avant d'avoir sa riche cuirasse plus brillante que le bronze poli, la jardinière était une fort laide bestiole, toute noire, vivant dans la terre. Vous connaissez la jolie petite bête du bon Dieu, d'un rouge vif avec sept points noirs. 




Elle a été d'abord un ver fort laid, une larve couleur d'ardoise, hérissée de piquants. Le hanneton, le bonasse hanneton, qui, la patte retenue par un fil, gonfle gauchement ses ailes, compte ses écus et part au chant de : « Vole, vole! » est d'abord un ver blanc, une larve dodue, grasse a lard, qui vit sous terre, s'attaque aux racines des plantes et ravage nos cultures. Le grand cerf volant, dont la tète est armée de pinces  menaçantes, semblables pour la forme aux cornes du serf, est au  début un gros ver qui vit dans les vieux troncs d'arbre. Il en est de même du capricorne, si curieux par ses longues antennes. Et le ver que Von trouve dans les cerises trop mûres, que devient-il, lui si répugnant? Il devient une belle mouche dont les ailes sont parties de quatre bandes de velours noir. Ainsi des autres.

Eh bien, ce premier état de l'insecte, ce ver, forme provisoire du jeune âge, s'appelle du nom de larve. Le merveilleux changement qui transfigure la larve en insecte parfait se nomme métamorphose. 

Les chenilles sont des larves. Par la métamorphose, elles deviennent ces magnifiques papillons dont les ailes parées des plus riches couleurs nous ravissent d'admiration. L'argus, si beau maintenant avec ses ailes d'un bleu céleste, était d'abord une pauvre chenille velue; le splendide machaon a débute par être une chenille verte rayée de noir en travers, avec des points roux sur les flancs; l'élégante zeuzere, si bien parée que les jardiniers la nomment la coquette, est en débutant la misérable chenille que vous savez. De cette abjecte vermine, la métamorphose fait les papillons, ces délicieuses créatures avec lesquelles les fleurs peuvent seules rivaliser d'élégance.
Vous savez tous le conte de Cendrillon. Ses sœurs sont parties pour le bal, bien fières, bien pimpantes. Cendrillon, le cœur gros, surveille la marmite. Arrive la marraine. « Va, dit-elle, au jardin querir une citrouille. » Et voila que la citrouille évidée se change, sous la baguette de la fée marraine, en un carrosse dore. « Cendrillon, fait-elle encore, levé la trappe de la souricière. » Six souris s'en échappent, aussitôt touchées de la magique baguette, aussitôt métamorphosées en six chevaux d'un beau gris pommelé. Un rat a maitresse barbe devient un gros cocher doué d'une triomphante moustache. Six lézards qui dormaient derrière l'arrosoir deviennent des laquais tout de vert chamarres, qui montent aussitôt derrière le carrosse. Enfin les méchantes nippes, les nippes crasseuses de la pauvre fine sont changes en habits de drap d'or et d'argent semés de pierreries. Cendrillon part pour le bal, chaussée de pantoufles de verre. Mieux que moi, vous savez apparemment le reste. Ces puissantes marraines pour qui c'était un jeu de changer des souris en chevaux, des lézards en laquais, de 'aides nippes en habits somptueux, ces gracieuses fées qui vous émerveillent de leurs fabuleux prodiges, que sont-elles, mes chers enfants, en comparaison de la réalité, la grande fée du bon Dieu, qui, d'un ver impur, objet de dégout, sait faire une ravissante créature ! Elle touche de sa divine baguette une misérable chenille, un ver abject qui bave dans le bois pourri, et le miracle est fait : la dégoutante larve est devenue un scarabée tout reluisant d'or, un papillon dont les ailes d'azur auraient fait pâlir la toilette princière de Cendrillon.

(Jean-Henri Fabre, Les Ravageurs, 1870)









mercredi 17 juillet 2013

Une semaine avec Jean-Henri Fabre ... La Chenille ...

Le dégât fut raconté à l'oncle, qui, pour les consonler, leur promit un autre lilas tout aussi beau que le premier. Puis, réfléchissant un instant :
Ce n'est pas possible, fit-il, le vent n'a pas été assez fort pour casser un arbuste de cette grosseur; quelque ravageur a commencé le mal, que le vent de cette nuit a achevé.
JULES. — Un ravageur, un ravageur?... Mais il n'y a pas dans le village de méchant qui prenne plaisir à faire de la peine aux autres en venant de nuit saccager leur jardin.
PAUL. — Je le sais, mon enfant; aucun ici ne se permettrait une aussi laide action. Le ravageur dont je parle doit être un ver, une chenille. Allons voir le lilas.
L'oncle avait rencontré juste. La tige de l'arbrisseau était percée d'un trou rempli de bois mâché ; et de ce trou partait un conduit tortueux qui paraissait remonter bien haut, presque jusqu'aux branches. Sur tout le trajet de ce long canal, allant tantôt un peu d'ici, tantôt un peu de là, le bois était réduit en une sorte de sciure brune, de sorte que la tige ne tenait guère que par l'écorce.
 JULES. - Cela ne m’étonne plus si le vent a cassé mon beau lilas; voyez, la tige est toute creuse.
PAUL. - Aussi l'arbuste n'aurait pas tardé  a périr, même sans l’accident de cette nuit. A peine aurait-il eu le temps d'épanouir ses fleurs. Le coup de vent n'a fait qu'accélérer sa perte.
EMILE. - Je vois bien le ravage, mais où  est le ravageur?
PAUL. - Il est dans sa cachette, tout au fond du conduit.
Et, prenant sa grosse serpette, l'oncle Paul fendit la tige en deux. Un gros ver apparut à l'extrémité du canal bourre de grossiers tampons de sciure. Voila le coupable, fit l'oncle, et it secoua la tige. Le ver tomba à terre.
EMILE. - Fi! L’affreuse bête, qui tue les lilas! Emile levait déjà le pied pour écraser la chenille, quand l'oncle l'arrêta.




PAUL. - Attendez, mon petit ami. Je vous ai promis un autre lilas. Si vous désirez le conserver longtemps, ne convient-il pas de connaitre la chenille qui pourrait un jour ou l'autre le faire périr comme le premier? ne convient-il pas de savoir l'histoire du détestable ver pour lui faire avantageusement la guerre et débarrasser le jardin de cette engeance?
Chacun fut de l'avis judicieux de l'oncle. Au lieu d'écraser niaisement la bête, ii valait bien mieux l'examiner d'abord pour savoir comment elle est faite, comment elle vit, et comment elle s'introduit dans le bois. On pourrait ainsi plus tard prévenir ou arrêter ses dégâts. Un ennemi dont on connait les moyens d'action est à demi vaincu. Paul prit donc la chenille et la mit dans le creux de sa main. Les enfants paraissaient étonnes du sans-façon avec lequel l'oncle maniait l'affreuse chenille.
JULES. - Elle vous mordra, mon oncle.
EMILE. - Sans compter qu'elle vous jettera du venin.
PAUL. - Vous venez l'un et l'autre de dire une sottise. Mettez-vous bien dans l'esprit qu'aucune chenille, ce qui s'appelle aucune, n'a du venin. On peut les manier toutes sans le moindre inconvénient. J’en excepte quelques-unes hérissées de poils piquants, et encore tout ce qui peut arriver de pire c'est une démangeaison produite par les poils aigus. Quant à me mordre, la pauvre bête est bien loin d'y songer. D'ailleurs que pourrait-elle me faire? Me pincer un peu la peau, comme le feraient, du bout des on les, les petits doigts d'Emile. La belle affaire
JULES. - Cependant on dit que les chenilles font venir du mal quand on les touche.
PAUL. - On le dit, il est vrai, mais sans raison aucune. Les neveux de l'oncle Paul ne doivent pas avoir de ces ridicules appréhensions et redouter une chenille inoffensive.
Rassures par les paroles de l'oncle, Emile et Jules passèrent et repassèrent le doigt sur le dos de la bête. En outre, l'histoire affirme en toute sincérité qu'ils ont depuis manie bien des chenilles pour les examiner de près, et qu'au grand jamais le moindre désagrément n'est résulté de ce contact.
PAUL. - Maintenant que vous voila rassures prenons le signalement de la bête. La chenille est de la grosseur d'une forte plume. Sa couleur est d'un jaune pale, excepté sur la tête et les pattes, qui sont d'un noir luisant. Au premier coup d'œil, on la reconnait aux petites verrues noires hérissées chacune d'un poil et régulièrement disposées sur toute la surface du dos.
JULES. - Ce signalement n'est pas difficile, je le retiendrai; et si jamais je rencontre la maudite bête courant a terre, je vous réponds qu'elle n'aura plus envie de ronger les lilas.
PAUL. - Vous oubliez, mon petit ami, que ces chenilles ne courent point a terre, qu'elles se tiennent dans l'intérieur du bois, a l'abri de nos regards.
JULES. - C'est juste. Et alors?
PAUL. - Alors, il faut connaitre toute leur histoire pour savoir l'époque propice de leur faire la chasse. Je vous apprendrai d'abord quo toute chenille devient papillon. Celle que j'ai là, dans la main, serait devenue un magnifique papillon blanc, tigre de taches bleues, si elle était restée quelques mois encore dans la tige du lilas.
EMILE. - Oncle Paul, je vous en prie, remettez la bête dans le bois sans lui faire du mal; comme cela nous verrons tous le beau papillon.
PAUL. - Ce serait imprudence, nos arbres pourraient en souffrir. Nous la déposerons provisoirement dans un verre, car je veux vous montrer sa structure avec plus de détail. Quant au papillon, je l'ai dans ma boite à insectes; vous le verrez demain. (A suivre vendredi)

(Jean-Henri Fabre, Les Ravageurs, 1870)

lundi 15 juillet 2013

Une semaine avec Jean-Henri Fabre ... Le Lilas cassé

Pendant la nuit, il s'était levé un grand vent qui sifflait dans les trous des serrures et grondait dans le canal de la cheminée; quelques volets non retenus par leurs agrafes battaient contre le mur. Jules s'éveilla. Il dormait cependant du calme sommeil du jeune âge, niais un fâcheux pressentiment vint peut-être en rêve lui traverser l'esprit. Jules écouta; il entendit dans le jardin de l'oncle un bruit de feuillage froissé et de branches entrechoquées. « Ah! Mes pois de senteur, se disait-il à lui-même, mes pauvres pois de senteur, en quel état vous trouve¬rai-je demain La ramée qui vous soutient sera couché à terre. Et mes belles capucines qui commençaient à fleurir, et mes touffes de réséda, et mes giroflées toutes jaunes de fleurs! Ah! Mon pauvre petit jardin'. » Il lui fut impossible de se rendormir. Plus jeune que lui de quelques années, Émile n'entendit rien de ce qui se passait dehors. Laissons-le dormir jusqu'a ce qu'un rayon de soleil vienne caresser ses joues roses, et disons un mot des gens de la maison.
L'oncle Paul est Bien dans le village celui de tous qui sait le mieux conduire un jardin. Quand le temps des cerises est venu, on s'arrête émerveillé devant sa rangée de cerisiers, dont les branches luisantes fléchissent sous la charge des fruits. Puis il y a des poires plus grosses que les deux poings, dont la chair sucrée se fond dans la bouche; des pommes parfumées, colorées de rouge sur une moitie, de jaune sur l'autre; des prunes enfarinées d'une fine poussière bleue et qui pour la douceur valent presque le miel; des raisins blancs dont les grains a peau fine laissent voir le jour a travers; des fraises qui vous embaument, des pêches exquises et même des noisettes, si savoureuses Quand elles sont fraiches. Que de belles et bonnes choses il va  dans le jardin de l'oncle Paul ! Il est vrai, personne ne le conteste, que, de tout le village, c'est lui qui sait le mieux conduire un arbre a fruit. Il greffe, il taille mieux que pas un il connait a fond ce qui peut nuire aux arbres et ne manque jamais d'y porter remède de tout son pouvoir. Aussi son jardin est-il cite comme modèle deux lieues a la ronde. II conduit avec le même succès ses blés, ses orges, ses luzernes, ses vignes, ses pommes de terre, car il est très entendu sur tout ce qui a rapport aux travaux des champs. Souvent on vient le consulter sur les choses de l'agriculture, parfois d'assez loin, et c'est toujours avec une parfaite borne qu'il met son savoir au service des autres. En reconnaissance et pour l'honorer, les gens du village lui disent : maitre Paul. Ce savoir, il le doit beaucoup à l’expérience, et beaucoup aux livres, qu'il a de tout temps aimes.
Ses deux neveux sont avec lui, Jules et Emile. Jules, l’ainé, lit couramment; il  écrit même sa page en fin, non sans se barbouiller les doigts d'encre et quelquefois aussi la figure ; tout cela par trop de précipitation, car il sait que, la page faite, il lui sera permis d'aller au jardin arroser le semis d'œillets. Pour prendre patience en disant la leçon, Emile caresse sa toupie dans la poche, sa belle toupie qui ne le quitte guère. Mon Dieu! qu'il est pénible d'écrire sa page, de dire sa leçon quand on a une toupie qui ronfle, un semis d'œillets qui lève. Mais aussi quel affreux malheur pour nous si, devenus grands, nous ne savions écrire ni lire!
Dans le jardin de l’oncle, Emile et Jules ont chacun leur petit carre, cultivent comme bon leur semble. Jardiner est pour eux le plus grand des plaisirs. Quand ils manient la bèche, un peu lourde pour leurs jeunes bras, ils s'échauffent et deviennent rouges comme des pivoines, tant ils mettent de l'entrain au travail. Puis, c'est le tour du râteau ; puis, le tour de l'arrosoir ; puis, on dépote, on transplante, on émonde, on fait des boutures qu'on abrite sous un verre fêlé en guise de cloche, des semis qu'on Ma pas toujours la patience de laisser venir a bien. Depuis avant-hier, Emile a seine six haricots. Il les a déterrés déjà trois fois pour voir si les racines poussent. Ce n'est pas Jules qui aurait commis cette étourderie : il sait trop bien que les graines doivent être laissées en pair dans la terre si l'on veut qu'elles germent.
 L'oncle voit de bon œil ces délassements agricoles, les encourage même par le don de quelques fleurs, de quelques arbustes, persuade qu'il est que ces jeux enfantins tourneront avec Faye en occupations sérieuses. Or, parmi les arbustes donnes
Jules, il faut compter avant tout un magnifique lilas, dont les grappes s'épanouissaient depuis quelques jours. Hier l'arbuste embaumait l’air de ses parfums, les abeilles et les papillons lui faisaient fête : ce matin il git tout de son long a terre, le feuillage flétri, les grappes de fleurs fanées. Les pressentiments du pauvre enfant ne se sont que trop réalisés. Le petit jardin a été bouleverse par le vent, la ramée des pois de senteur est dispersée, et, pour comble de malheur, le lilas est cassé. On pleurerait pour moins. Jules accourut vers l'oncle les yeux gonflés de pleurs; Emile le suivait, prenant part a sa peine. (A suivre mercredi)

(Jean-Henri Fabre, Les Ravageurs, 1870)




jeudi 11 juillet 2013

Corsica Sempre Corsa ...

Le diable avait établi sa forge au bout du lac de Nino, entre le lac et l'épaulement qui domine le ruisseau de Colga. L'endroit s'appelle encore Stazzona. Il était bien choisi puisque le diable avait ainsi à proximité le bois de la forêt de Valdoniello pour chauffer sa forge et l'eau pour tremper son fer. II avait ainsi forgé une superbe charrue avec laquelle il entendait transformer en labours les pâturages de la contrée. 
Aussi ce ne fut pas sans ennui, ni sans colère qu'il voyait tous les jours Saint Martin faire paître ses troupeaux aux alentours du lac. Une discussion s'éleva un matin entre le saint et lui. Le saint lui soutint qu'il était dans l'incapacité de tracer un sillon droit. Le diable riposta naturellement que ce n'était qu'un jeu pour lui et attelant ses deux gros bœufs à sa charrue, il se mit en mesure de prouver son affirmation. Pendant ce temps le saint en prière égrenait son chapelet. Au début le sillon était merveilleusement droit et l'on pouvait croire que le diable allait gagner son pari, quand, rencontrant une grosse pierre dont rien ne pouvait déceler la présence, le soc se brisa. De dépit, ne pouvant se maîtriser, le diable lança de toutes ses forces son marteau en l'air et l'effort fut si violent que l'outil en sifflant alla s'enfoncer dans la montagne d'en face qu'il troua de part en part. C'est de ce jour que le capu Tafonatu a mérité le nom sous lequel il est connu aujourd'hui. 
Mais quelle ne fut pas la stupéfaction du diable en se retournant de constater que Saint Martin avait disparu et pétrifié les deux bœufs qui avaient traîné la charrue. Désespéré le diable se précipita dans les eaux du lac et ne reparut plus jamais dans le canton. 
On montre à Stazzona deux gros rochers qui s'appellent les boeufs et les débris de la forge du diable.
 (Une légende du Niolu racontée par Charles de la Morandière, Le Niolo, 1933) 
Ceux qui ont la bonne idée de partir en Corse pour les vacances et de faire une randonnée du coté du Lac de Nino doivent savoir et prendre au sérieux cette histoire ... Quand on allait au Lac de Nino avec mes copains, ma grand-mère, après quelques signes de croix, nous suppliait de ne pas se baigner dans le lac ... Chers touristes (hem! hem!) prenez garde, on ne rigole pas du tout avec ces histoires ... Vous risquez de rejoindre le diable ce qui n'est jamais drôle ...enfin, on le dit ...
Corsica Sempre Corsa en Guyane 
(Photographie et commentaire qui suit de Marie-Blanche Potte : Le graffiti en creux d'un gardien du bagne, au XIXe siècle, qui avait le mal du pays... Ils sont partout -  L'Ile du Salut (Ile Saint Joseph)
Le non-Corse restera de marbre ... mais les Corses comme moi ne manqueront pas d'être  émus ni de s'interroger devant cette Corse gravée au 19e siècle sur un rocher de l'Ile du Salut... C.S.C ? CorSiCa ? ou Corsica Sempre Corsa ??? Je pensais que ça datait des années 1960 ... Elle a raison ma copine Marie-Blanche ... Nous sommes partout ... et partout où il y a un Corse, il dessine, il grave, il sculpte la Corse ... Une vraie obsession et une bien curieuse manie ... qui visiblement ne date pas d'hier ...

lundi 8 juillet 2013

Calendrier du Bon Jardinier de 1947 : Juillet ...


Le Calendrier du Bon Jardinier de 1947 est signé Eugène Laumonnier et Maurice Marcel 


Le mois de juillet est souvent le mois qui présente la moyenne thermique la plus élevée de l'année; mois de la moisson, c'est aussi le mois de la grande production au potager et le début des fruits.
Deux plantes caractérisent bien le mois : La floraison du Soleil multiflore (Helianthus multiflorus Linné) vers la mi-juillet et dans la dernière décade celle de la Ketmie en arbre (Hibiscus syriacus Linné) plus connue sous le nom d'Althéa.
On enregistre souvent dans le courant de juillet des chutes de grêle très importantes; le jardinier doit prendre toutes les précautions utiles en cas d'orages. Au moment de la moisson, on note une grosse apparition d'insectes rayés de Doryphores.
Ernst Heinrich Philipp August Haeckel Kunstformen der Natur , 1899-1904

Potager.
Tavaux généraux
Taille des Aubergines, Melons, Concombres. Tenir toujours près des coffres et cloches abritant ces plantes une réserve de paillassons ou de litière pour couvrir en un tour de main en cas d'orage avec menace de grêle.
Commencer à blanchir sur place le Céleri plein blanc. Butter les Oxalis. Plantation des Choux-fleurs d'automne et des Brocolis.
Plant Seed Company Seeds for the Garden, Farm, and Field , 1899



Coucher ou tordre les tiges des Oignons à conserver l'hiver. Récolte de l'Ail et de l'Échalote. Arrachage des Pommes de terre hâtives à fanes jaunissantes. Brûler les fanes au fur et à mesure du travail. Surveiller attentivement l'apparition du Mildiou de la Pomme de terre pour pratiquer immédiatement une pulvérisation de bouillie bordelaise; pratiquer le même traitement sur les Aubergines, Tomates et Fraisiers. Enlever les coulants des Fraisiers ainsi que le paillis placé entre les rangs. Continuer la récolte des graines.


John Gerard, The herball, or, Generall historie of plantes , 1636



Semis en plein terre
 Dernier semis de Chicorées frisées et de Scaroles pour la conservation hivernale. Vers le 15, semis de Pois hâtifs et de Fèves à petites cosses pour la récolte automnale. Dernier semis de Haricots flageolets. Semis de la première saison de Mâches et de Persil pour la culture abritée. Semis d'Asperges pour l'obtention du plant dit "de 18mois".
Forçage.
Ebourgeonnage et pinçage des Vignes. Paillage au fumier gras des serres à Vignes et à Pêchers, arrosage copieux sur ce paillage. Soufrage des Vignes par une belle journée.
Récolte des Pêchers de culture hâtée. Palissage, ébourgeonnage et pincement des Pêchers. Sortie des derniers arbres en pots et mise en plein carré abrité. Paillage au fumier gras de la surface du carré et des pots. Nettoyage des pépinières de plants de Fraisiers et placement des filets dans les planches. Labour et préparation de terrain pour plantations de Fraisiers. Vers le 15, plantation des premiers filets de Fraisiers pour les cultures en pots de première saison et les cultures hâtées. Bassinages copieux de ces filets jusqu'à reprise complète. Dans les bâches à Ananas mêmes soins que le mois précédent.
Pour favoriser la floraison, pratiquer le soir un enfumage avec des vieux chiffons. Pendant les périodes très chaudes, mise en état du matériel, peinture et vitrerie.
Fruitier et verger.
Continuer les pincements et tailles en vert. Greffage en approche pour garnir les vides. Bassinage et effeuillage des Pêchers. Soigner la récolte des Poires précoces. Ciselage du Raisin. Continuer les traitements anticryptogamiques et insecticides. Visiter les fruitiers et la chambre à raisin, les nettoyer à fond et gratter le matériel à la brosse en fils d'acier pour enlever les œufs et les cocons d'insectes. Blanchir les murs au lait de chaux à 3 %. Avant de rentrer les premiers fruits désinfection par vaporisation à froid de formol pendant 24 heures.
Pépinières.
Ébourgeonnage et accolage des Vignes. Ébourgeonnage et palissage des jeunes greffes de Poiriers et Pommiers. Pose de bambous et de baguettes pour le palissage des arbres farinés. Début du greffage en écusson. Derniers arrosages à l'engrais liquide des jeunes arbres en pots. Binage et irrigation des Oseraies et des plantations de Jonc à palisser.
Continuation des binages et sarclages.
Jardin d'agrément.
Travaux du sol
Le jardin est en ordre, les plantations étant terminées depuis le mois précédent, l'activité ne diminue pas au jardin : arrosages, binages, désherbages, tuteurages se succèdent. Avec la chaleur et les arrosages les gazons poussent vite, il faudra peut-être y passer la tondeuse deux fois par semaine; en terrains sableux s'ils ont tendance à jaunir répandre du nitrate de soude et donner ensuite un copieux arrosage. L'herbe sera détruite dans les allées à l'aide d'un désherbant.
Les arbustes fleurissant sur le bois de l'année précédente : Amandiers, Boule de neige, Forsythia, Lilas, Pêchers de Chine à fleurs doubles, Pruniers à fleurs, Ribes, Spirées à floraison printanière sont nettoyés et taillés.
je ne voudrais pas contredire l'excellent Bon jardinier mais ici, il se laisse aller à l'intervention systématique ... n'oubliez jamais que toute action dans un jardin répond à un objectif paysager et non à un objectif de propreté ... ni horticole ...

Les plantes herbacées à floraison printanière sont pincées ou rabattues pour favoriser la sortie de rameaux axillaires qui donneront une nouvelle floraison.
Procéder au dernier rempotage et pincement des Chrysanthèmes, tuteurage des exemplaires à la grosse fleur et arrosages à l'engrais.
Les Rosiers sarmenteux non remontants doivent être dépalissés; les vieilles tiges défleuries sont supprimées, les jeunes tiges destinées à assurer la floraison de l'année suivante sont ensuite palissées. Les Rosiers nains remontants ont leurs branches florales taillées à 1 ou 2 yeux.
A partir du 15 juillet semer : Myosotis, Pâquerettes, Pensées, Silènes puis terreauter et bassiner.
En fin de mois plantation du Lis candide.
Serres, Bâches et orangerie.
Mois de calme relatif à part les soins découlant de l'ardeur du soleil. Les semis indiqués en juin doivent être terminés, cependant pour une saison tardive semer encore des Primula obconica et sinensi. En fin de mois semer les Cyclamens de Perse dont les graines sont arrivées à maturité. Une couche chaude est utile pour y faire des semis de plantes tropicales ou pour y enterrer quelques plantes de serres chaudes délicates ou malades. Les Cyclamens passant l’été sur couche sont dépanneautés et ombrés dans la journée.
Le matériel de châssis et de coffres inutile est mis à l'abri sous un hangar. L'état des chaudières est vérifié, les murs des serres sont chaules.


Orangerie et serres enterrées, Domaine Royal de Randan







jeudi 4 juillet 2013

Paradis ...

S'il (le Roi) s'aperçoit que les gouverneurs lui présentent un territoire bien peuplé, une terre en pleine production, remplie des arbres et des récoltes qui lui sont propres, il leur confie un autre territoire en plus, les gratifie de présents, leur attribue en récompense des places d'honneur. S'il en voit, au contraire, dont le territoire est improductif et mal peuplé par suite de leur dureté, des violences commises, de leur incurie, il les châtie, les dépose et nomme d'autres gouverneurs. 
Si le phrourarque (chef militaire) ne défend pas le pays comme il faut, le gouverneur chargé des civils et qui veille aux travaux agricoles accuse le phrourarque parce que, faute de protection, le travail aux champs est impossible. Mais si, malgré la sécurité assurée par le phrourarque, le gouverneur laisse le pays mal peuplé et improductif, c'est au tour du phrourarque de l'accuser. En général, ceux qui travaillent mal la terre ne nourrissent plus les garnisons et ne peuvent pas s'acquitter des tributs. Partout où il y a un satrape (Gouverneur), c'est lui qui a la haute main sur les deux domaines, civil et militaire. 
Alors Critobule dit : «Eh bien, si c'est vraiment ainsi qu'agit le Grand Roi il ne donne pas moins de soins, il me semble, aux travaux de l'agriculture qu'à ceux de la guerre. 
Qui plus est, dit Socrate, partout où il séjourne, partout où le conduisent ses voyages, il veille à ce qu'on y trouve de ces jardins appelés "paradis", remplis de tout ce que la terre a coutume de produire de beau et de bon et il y passe lui-même la plus grande part de son temps lorsque la saison ne l'en chasse pas. 
— Par Zeus, dit Critobule, il faut bien, Socrate, puisqu'il y passe son temps. que l'on veille à ce que les paradis soient pourvus autant que possible des plus belles plantations d'arbres et de tous les plus beaux produits de la terre. 
— Certains racontent aussi, Critobule, dit Socrate, que lorsque le roi offre des présents, il appelle d'abord ceux qui se sont montrés braves à la guerre, car rien ne sert de labourer de vastes champs s'il n'y a personne pour les défendre; ensuite ceux qui travaillent le mieux leurs champs et les font produire : car, dit-il, les plus vaillants ne pourraient vivre s'il n'y avait personne pour travailler la terre. 
«On dit aussi que Cyrus, jadis, ce roi illustre entre tous, a déclaré à ceux qu'il avait appelés pour les récompenser qu'il mériterait lui-même de recevoir les deux sortes de récompenses : il s'entendait très bien, disait-il, à cultiver la terre, tout comme à défendre les cultures. 
— Eh bien, Socrate. dit Critobule, Cyrus, s'il tenait ces propos, ne se glorifiait pas moins de faire produire ses terres et de les cultiver que d'être un homme de guerre. 
— Par Zeus, dit Socrate, Cyrus le Jeune aussi, s'il avait vécu, aurait fait, je crois, un souverain excellent. Il en a donné bien des preuves, en particulier quand il marchait contre son frère pour lui disputer la royauté: aucun déserteur n'est passé, dit-on, de Cyrus au Grand Roi, mais des milliers et des milliers sont passés du Grand Roi à Cyrus. 
«Or c'est à mes yeux une grande preuve de la valeur d'un chef qu'on lui obéisse volontiers et qu'on consente à rester auprès de lui dans le danger: les amis de Cyrus ont combattu avec lui tant qu'il a vécu, et, quand il a été tué, ils se sont tous fait tuer avec lui en combattant sur son corps sauf Ariée. Eh bien, dit-on, comme Lysandre venait lui apporter les présents des alliés, ce Cyrus, entre autres témoignages d'amitié lui a fait visiter lui-même, selon le récit de Lysandre, son "paradis" de Sardes. Lysandre admirait comme les arbres en étaient beaux, plantés à égale distance, les rangées droites, comme tout était ordonné suivant une belle disposition géométrique, comme tant d'agréables parfums les accompagnaient dans leur promenade; rempli d'admiration, Lysandre s'écrie: "Vraiment, Cyrus, je suis émerveillé de toutes ces beautés, mais j'admire encore davantage celui qui t'a dessiné et arrangé tout ce jardin."
Charmé d'entendre ces paroles, Cyrus répond: "Eh bien, c'est moi qui ai tout dessiné et arrangé, il y a même des arbres, ajoute-t-il, que j'ai plantés moi-même." Alors, suivant son récit, Lysandre tourne ses regards vers Cyrus, il voit la beauté des vêtements du roi (dont il sent le parfum), la beauté des colliers, des bracelets, de toute la parure qu'il porte, et il s'écrie : "Que veux-tu dire, Cyrus? C'est toi qui as planté une partie de ce jardin de tes propres mains?" 
«Cyrus répond: "Tu t'en étonnes, Lysandre? Je te jure par Mithra, que lorsque je me porte bien, je ne vais jamais dîner sans m'être mis en sueur à peiner à quelque travail guerrier ou champêtre, ou sans me mettre toujours de tout cœur à quelque autre exercice." A ces paroles Lysandre raconte qu'il lui a pris la main en disant: "C'est à bon droit, Cyrus, que tu me sembles heureux, car c'est à ta vertu que tu dois ton bonheur." 
«Ce récit, Critobule, dit Socrate, te montre que les personnages les plus opulents ne peuvent se passer de l'agriculture : tu le vois, cette occupation est à la fois une source d'agrément, un moyen d'accroître sa maison, un moyen d'entraîner son corps à tout ce qu'il sied qu'un homme libre soit capable de faire.» 
(Xenophon -  Économique - Le Paradis du Grand Roi - vers 362 av. J.C)

Reconstitution du palais de Pasargades et ses Jardins 
 (Plan de D. Stronach, Journal of Garden History)
 Le palais de Pasargades et ses Jardins de nos jours (Google Earth)
Jardin Persan 1398, Musée d'art musulman, Istambul

lundi 1 juillet 2013

Arbres ...

Si l'on s'en rapporte à la seule nature, les arbres ne doivent pas être disposés à des distances égales, et sur des lignes régulières : c'est au hasard qu'ils se reproduisent. Ce sont des graines jetées au gré des vents, ou des rejetons qui les multiplient. 
Par le premier moyen ils se trouvent placés sans symétrie ; par le second ils se groupent : et c'est se rapprocher du modèle qu'on ne doit point perdre de vue, que de le disposer le plus souvent ainsi. Cette manière de les présenter est aussi bien plus favorable à l'effet et à la variété. Les peintres la saisissent avec empressement ; et s'ils n'y sont absolument contraints, ils ne représentent point des palissades, et des allées bien alignées. 
C'est ici le lieu de dire que la pierre de touche de la plupart des scènes pittoresques qu'on dispose dans les jardins ou dans les parcs, est le sentiment qu'ils inspirent aux artistes. 
Si la scène est digne d'être avouée par la nature, le peintre se récrie. Il désire de l'imiter ; et s'il l'imite, la représentation devient piquante et agréable. 
La disposition des arbres est cependant soumise à certains égards aux circonstances, et à la destination des lieux où on les emploie. Le bon goût s'attache à certaines règles ; le meilleur admet des exceptions et n'est point exclusif; mais soit qu'on emploie les arbres symétriquement, soit qu'on les dispose et qu'on les groupe d'une manière pittoresque ; il est nécessaire de bien prévoir l'effet qu'ils produiront, lorsqu'ils auront atteint leur grosseur et leur 616vation moyenne. Cette prévoyance indispensable pour la réussite des effets exige encore une habitude de réfléchir sur les proportions, et un tact qui a une grande liaison avec les idées de composition dans l'art de peinture, puisqu'il s'agit de rapports et de contraste. 
II n'est pas moins nécessaire, même en variant les espèces d'arbres et d'arbustes, de les choisir convenables a la qualité du terrain. Ce soin contribue a l'effet, mais encore plus a la promptitude de la jouissance ; il ajoute aussi beaucoup a l'impression qu'on a dessein de faire naitre. Une végétation facile, prompte et animée donne une idée de mouvement qui manque, comme je l'ai dit, le plus ordinairement aux scènes ; elle rappelle aussi les sentiments attaches a l'abondance, a la richesse, a. la force, a la beauté.
(Claude-Henri Watelet, Essai sur les Jardins, 1774)
Arbre pieuvre ...

Arbre mort ...

Arbre fatigué ...

Arbres fiers ...