Juin est le grand moment de la fenaison; mais, pour ce qui est de nous, jardiniers citadins, n'allez pas croire, je vous prie, qu'un beau matin nous allons taper notre faux pour nous mettre, la chemise ouverte sur la poitrine, à faucher avec de grands gestes l'herbe scintillante de rosée, en chantant des refrains populaires. La réalité est quelque peu différente. D'abord, nous autres, jardiniers, nous voulons avoir une pelouse anglaise, verte comme un billard et touffue comme un tapis, une pelouse parfaite, un gazon sans tache, semblable à du velours, une prairie comme une table. Au printemps nous nous apercevons que notre pelouse anglaise se compose de plaques dénudées, de trèfle, de pissenlits, de terre, de mousse et de quelques touffes d'herbe dures et jaunies. Il faut d'abord sarcler tout cela; nous nous asseyons donc sur nos jambes et nous arrachons de la pelouse toutes sortes de mauvaises herbes, laissant derrière nous un sol nu et ravagé, comme si une bande de maçons ou un troupeau de zèbres y avait dansé. Puis il faut arroser tout cela et le laisser se crevasser au soleil. Enfin nous décidons qu'il faut tout de même faucher cette pelouse.
L’époque de la fenaison, comme chacun sait, est aussi celle des orages. Pendant quelques jours cela se prépare dans le ciel et sur la terre :
le soleil est ardent, et, en quelque sorte, antipathique; la terre se crevasse et les chiens sentent mauvais; le cultivateur regarde le ciel avec inquiétude et dit qu'il faudrait de la pluie. Puis apparaissent des nuages sinistres, comme on dit, et un vent sauvage se lève, qui entraîne avec lui la poussière, les chapeaux et des feuilles arrachées aux arbres; le jardinier se précipite alors dans son jardin, tout échevelé, non pas pour défier les éléments comme un poète romantique, mais pour attacher tout ce qui plie sous le souffle du vent, emporter ses instruments de jardinage et ses chaises, bref pour parer aux catastrophes. Tandis qu'il essaye vainement d'attacher des tiges de « pied d'alouette », les premières gouttes, grosses et chaudes, commencent à tomber; une minute étouffante passe, et boum! au son du tonnerre, une lourde averse s'abat. Le jardinier court s'abriter sur son seuil et regarde, le cœur gros, son jardin s'agiter sous les coups de la pluie et de la tempête; au plus fort de la tourmente il bondit, comme quelqu'un qui tente de sauver un enfant qui se noie, pour attacher un lis brisé par le vent.
Mon Dieu, que d'eau! Les grêlons viennent faire leur partie dans ce vacarme, ils rebondissent sur le sol et sont balayés par des ruisseaux d'eau sale. Dans le cœur du jardinier se livre une lutte entre sa sollicitude pour ses fleurs et cette espèce d'enthousiasme que provoquent en nous les phénomènes de la nature. Puis le vacarme diminue, l'averse se change en une pluie froide, qui elle-même se raréfie peu à peu pour finir par cesser. Le jardinier court dans son jardin rafraîchi, jette un regard navré sur sa pelouse recouverte de sable, sur ses glaïeuls cassés et ses plates-bandes ravinées, et, tandis que le premier merle se met à chanter, il crie par-dessus la palissade à son voisin: « Eh, voisin, il faudrait bien encore un peu de pluie; pour les arbres, ce n'est pas suffisant. »
Le lendemain, les journaux parlent d'une tempête catastrophique qui a causé de terribles dégâts, en particulier aux moissons; mais ils ne disent pas qu'elle a causé de grands dégâts aux lis ou qu'elle a ravagé les « Papaver Orientale ». Nous autres jardiniers sommes toujours tenus à l'écart.
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)
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