lundi 31 décembre 2012

Préparatifs ...

Rien ne sert de parler; voilà déjà tous les signes qui indiquent que la nature, comme on dit, s'apprête pour son sommeil d'hiver. Les feuilles de mes bouleaux tombent l'une après l'autre d'un mouvement beau et triste à la fois; ce qui croissait, se retire dans la terre ; de tout ce qui bouillonnait de vie, il ne reste plus qu'un bâton dénudé ou un trognon suintant, un rameau ratatiné ou une tige desséchée; et la terre elle-même exhale une odeur de pourriture. Rien ne sert de parler, c'est fini pour cette année. Chrysanthème, ne recherche plus la richesse de la vie; et vous autres, ne confondez pas le dernier soleil avec le soleil joyeux de mars. Il n'y a rien à faire, mes enfants, la parade est terminée; mettez-vous bien à votre aise pour votre sommeil hivernal. 

Quoi? Quoi? Qu'est-ce qui vous prend? Ne me racontez pas d'histoires. Vous appelez ça un sommeil? Toutes les années nous disons que la nature se couche pour son sommeil d'hiver mais nous n'avons jamais observé ce sommeil de près, ou, pour mieux dire, nous ne l'avons pas encore observé de dessous. Renversons les choses sens dessus dessous, pour les observer mieux; mettons la nature à l'envers pour la mieux voir, mettons-la, racines en l'air. Mon Dieu, on appelle ça un sommeil? C'est ça que vous appelez du repos? On pourrait dire que la végétation a cessé de croître à la surface parce qu'elle n'en a pas le temps; car elle a retroussé ses manches pour croître par en bas; elle s'est craché dans les mains et elle creuse dans la terre. Regardez cette chose claire dans la terre, ce sont de nouvelles racines; regardez jusqu'où elles atteignent, allez, allez. N'entendez-vous pas la terre frapper avec cette violence enragée et massive? « Mon général, la première ligne des racines a pénétré très avant en territoire ennemi; les avant-gardes des phlox ont déjà pris contact avec les avant-postes des campanules. - Bien, qu'ils s'accrochent au terrain conquis, nos objectifs sont atteints. » 

Et là, ces choses blanches, tendres et grosses, ce sont de nouveaux germes et de nouvelles pousses. Regardez comme il y en a. Comme tu t'es étoffée, immortelle fanée et desséchée; comme tu te portes bien, comme tu regorges de vie. Et c'est ça que vous appelez un sommeil? 

Le diable emporte feuilles et fleurs. Quelles blagues! C'est en bas, c'est sous la terre que se fait le véritable travail; c'est ici, ici, ici que poussent les nouvelles tiges; c'est d'ici à là, du premier au dernier jour de novembre, que jaillit la vie qui apparaîtra en mars; c'est ici, sous la terre, que se dessine l'immense programme du printemps. Il n'y a pas encore eu une seule minute de repos; voilà le plan, voilà les fondations déjà creusées et les canalisations en place; et nous pénétrerons encore plus avant dans la terre avant qu'elle ne gèle et durcisse. Que le printemps pose ses voûtes vertes sur le travail de pionnier de l'automne. Nous, forces automnales, nous aurons fait notre devoir. 

Ce germe gros et dur sous terre, cet abcès sur le sommet des bulbes, c'est la bombe dont l'éclatement produira le printemps. On dit que le printemps est l'époque du bourgeonnement; en réalité l'époque du bourgeonnement c'est l'automne. Si nous regardons la nature, il est vrai que l'automne est la fin de l'année; mais il est presque encore plus vrai que l'automne est le début de l'année. C'est une notion commune que les feuilles tombent en automne et je ne puis vraiment pas le nier; je me contente de soutenir que, dans un certain sens, plus profond, l'automne est, à proprement parler, le moment où les feuilles poussent. Les feuilles se dessèchent parce que l'hiver arrive; mais elles se des sèchent aussi parce que le printemps arrive, parce que de nouveaux bourgeons se forment, petits comme des capsules explosives qui libéreront le printemps. C'est une illusion d'optique qui nous fait voir les arbres et les arbustes dénudés, car ils sont parsemés de tout ce qui se révélera et se développera en eux au printemps. C'est une illusion d'optique que de voir les fleurs fanées en automne, car elles sont, au contraire, en train de naître. Nous disons que la nature se repose alors qu'elle va de l'avant sans voir ni entendre. Seulement elle a fermé sa boutique et tiré les rideaux; mais derrière cette façade, elle déballe de nouvelles marchandises et les rayons se remplissent, jusqu'à plier sous le poids. Bonnes gens, c'est maintenant le vrai printemps ; ce qui. n'est pas à point maintenant ne le sera pas non plus en avril. L'avenir n'est pas devant nous, car il est déjà sous les espèces de ce germe; il est déjà parmi nous, et ce qui n'est pas à présent parmi nous, n'y sera pas non plus dans l'avenir. Nous ne voyons pas les germes parce qu'ils sont sous la terre; nous ne connaissons pas l'avenir parce qu'il est en nous. Parfois, il nous semble que nous sentons la pourriture, encombrés que nous sommes de vestiges desséchés du passé; mais si nous pouvions voir tous les rejets gros et blancs qui se frayent un chemin à travers cette vieille terre de civilisation qui s'appelle « aujourd'hui », toutes les graines qui germent en secret, tous les vieux plants qui se rassemblent et se ramassent pour former un germe vivant, qui un jour éclatera pour créer une fleur vivante, si nous pouvions voir ce fourmillement caché de l'avenir au milieu de nous, il est sûr que nous dirions que notre mélancolie et notre scepticisme sont de grandes sottises et que le meilleur de tout, c'est d'être un homme vivant, je veux dire un homme qui croit.

(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)


(Josef Čapek L’année du jardinier, 1929)


vendredi 28 décembre 2012

Un Ballet de verre à Versailles ...

Il faut avoir entendu Louis Benech évoquer le rythme ternaire qui ponctuera la composition du Bosquet du Théâtre d’Eau et Jean-Michel Othoniel décrire les pas de la « belle danse » qui en inspireront les fontaines pour mesurer combien l’esprit du roi Louis XIV est omniprésent dans cette création contemporaine.
(Catherine Pégard, Aménagement paysager du bosquet du Théâtre d’Eau, 2012)

Notation de Ballet
Notation de Ballet
On peut se demander si Louis Benech et Jean-Michel Othoniel se sont laissé influencer par Le Boléro de Maurice Béjart en évoquant "les pas de la belle danse"… En fait non !! ... Jean-Michel Othoniel s'est inspiré des notations de ballet pour concevoir une fontaine de fer et de verre reproduisant ainsi une partition en trois dimensions. Peut-on dire alors que la Danse et le Jardin sont ici enfin réunis ? Je ne le pense pas ... Est-ce une évocation de la danse comme au Grand Siècle ? Je ne le pense pas non plus … Si un plan de jardin n'est pas le Jardin ... il me semble alors, en toute logique, que la notation de ballet ne soit pas le Ballet ... "Autant vaudrait il qu’un peintre, pour avoir tracé le plan des pieds de son modèle, voulût persuader qu’il en a fait le portrait" nous disait à propos du plan de jardin Jean-Marie Morel dans la Théorie des jardins (1776) … Mais bon ne soyons pas chichiteux … L'idée de faire un bosquet contemporain à Versailles sur l'ancien emplacement du Bosquet du Théâtre d'Eau est de loin la meilleure idée qu'on ait eue depuis bien longtemps ...

mercredi 26 décembre 2012

Comme un Bosquet de Versailles ...

(Maurice Béjart, Le Boléro, 1960 - interprété par Sylvie Guillem)

Si Le Jeune Homme Et La Mort est plus difficile à rapprocher du jardin, (je tenterais bien, si j'avais le temps, un rapprochement avec la rupture des jardins anglo-chinois du 18e siècle … Mais un autre jour … ) Le Boléro de Béjart est sans conteste une composition de jardin,  c’est un Bosquet de Versailles. A se demander si Le Nôtre n'a pas copié ...  Mais ce n’est pas tout … Le Boléro, la Danse en général se rapproche de l'art des jardins par la notion de confrontation ... la confrontation du végétal et de l'architecture, la confrontation des arts, la confrontation du paysage et de la sculpture ... la confrontation du contemporain et du passé ... et le jardinier qui est-il dans cette affaire ? Peut-il être un jardinier étoile ? ... 


Eugène Atget, Versailles 1924

lundi 24 décembre 2012

Mettre en scène le Vivant ...


(Roland Petit, Le Jeune Homme Et La Mort, 1946 - Interprété par Nicolas Le Riche and Marie-Agnes Gillot)



Quand j'étais élève de Monique Mosser, elle nous répétait souvent que la Danse était le seul art avec celui des Jardins à mettre en scène le vivant ... 
Joyeux Noël ...

vendredi 21 décembre 2012

Un vieux jardinier ... dont il faut se méfier ...

A vingt ans un trouble nouveau,
Sous le nom d'amoureuses flammes,
M'a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m'ont pas trouvé beau.
(Paul Verlaine, Gaspard, Sagesse, 1881)

Jules Adler, Fleurot jardinier, 20e siècle
"Le jardinier plait au femme" disait Orsenna  … Le jardinier, cet homme viril au regard doux, ce mâle aux mains rugueuses qui raconte des histoire d'arbres … qui offre des fleurs aux passantes … cet homme est un séducteur En tant que jardinier, je n’ai jamais eu de chance avec les femmes … Un jour, un triste jour ...  j’étais alors un très jeune jardinier,  je me souviens d’une très jolie femme m’accostant en tout bien tout honneur … Je taillais des rosiers … "Quelles jolies roses etc. etc"  … "est-ce possible d'en avoir une ou deux ? "… "Évidement pour vous etc. etc." "j’ai une course" me dit-elle,  "je repasse … vous êtes très gentil etc. etc. "… le "une ou deux" se transforme en un bouquet d'une quinzaine de roses, je le pose sur le gazon ...  Je guette … elle ne revient pas … je m’éloigne … un peu trop loin … Un vieux jardinier passe à coté des rosiers et, à ce moment exact, la très très jolie jeune femme réapparait. J’assiste à la scène … De loin … Impuissant … Idiot "Un jeune homme (c’était moi) a dit qu’il me donnerait une rose" "Ce doit être ça" Répond le très horrible et très vieux jardinier, comme s’il s’agissait d’un kilo de pomme de terre, il lui tend … Elle s’exclame " ooh ! OOH !! AAAHH !!! Elles-sont-ma-gni-fi-ques !!! Je vous embrasse" … Des fois, dans les jardins, il se passe des choses vraiment injustes … 

mercredi 19 décembre 2012

Séduction dans un jardin parisien ...


Jean-Luc Godard, scénario Eric Rohmer
 "Charlotte et Véronique" ou "Tous les garçons s'appellent Patrick"  
 1959

"Alors on y va ? Bon alors quoi, on y va ? ... "

"Vous devriez vous habiller en bleu, le vert vous va très mal ..."

"Vous êtes idiote, les garçons faut jamais les attendre, ça leurs fait les pieds ..."

Pour voir le film ...  "Charlotte et Véronique" ou "Tous les garçons s'appellent Patrick"

lundi 17 décembre 2012

Je suis un jardinier hot ...



Amis jardiniers, les jardins sont menacés !!! Il nous arrive une catastrophe bien pire que le Graphium ulmi, le Cameraria ohridella et le Cylindrocladium buxicola réunis... L'élimination physique du jardinier ... Jusqu'à maintenant nous étions tranquilles ... Depuis ce triste vendredi 14 décembre 2012, des centaines de milliers de lectrices de Elle ont jeté aux ordures leur palfrenier du dimanche, leur garde-chasse de lady et leur plombier polonais ... Depuis cette date qui restera dans l'Histoire comme un jour d’infamie, ces lectrices hystériques de Elletoutes les unes plus belles que les autres, parcourent les jardins (tels des scolytes, Myelophilus piniperda, à la recherche de Pins) avec un seul mot d'ordre "Se trouver un jardinier hot"... Ce métier devient de plus en plus passionant ... 

vendredi 14 décembre 2012

Mon papa il était super fort ...

Mais je sais qu'un enfant perdu,
Sans vergogne,
A de la corde de pendu,
De pendu,
A de la chance quand il a,
Sans vergogne,
Un père de ce tonneau-là,
Ce tonneau-là.


(Georges Brassens, Les Quatre Bacheliers, 1966)


Le fameux parterre dans les jardins de l’Élysée. (1975)
Au fond, Jean-Claude Marty dirigeant le chantier, il deviendra par la suite jardinier en chef du domaine national de Versailles
Première esquisse


Mon père (et Giscard) surveillant la première installation des orangers à l'Elysée (1975-76)


Mon père avec Giscard en 1975 dans le parc de l'Elysée

Alors que la première année de ce blog se termine, le besoin de vous parler de mon père se fait sentir … Mon père était jardinier … mais pas n’importe lequel … un soir, à l’heure du diner, le téléphone sonne… bizarrement mon père répond … " Le Président de la République souhaite vous parler " dit une voix … Je n’avais pas entendu mais j’ai tout tout de suite senti en voyant mon père au garde à vous que ce n’était pas un coup de fil ordinaire "Mes respects Monsieur le Président de la République " dit mon père quelques instants plus tard … ( mon père, je l’ai toujours admiré pour ça .. il était capable de dire "Mes respects Monsieur le Président de la République" au Président de la République sans trébucher … assez cool même … ) Un silence un peu pesant se fait … Nous, mon frère ma mère et moi, on se regarde .. on se questionne du menton, du regard … mon père ponctue d’un "Entendu Monsieur le Président de la République … je m’en occupe Monsieur Etc … mes respects Monsieur Etc …" Mon père raccroche, nous regarde avec son œil malin et nous dit un peu à la façon de Bernard Blier "C’était le patron ... il veut un parterre sous ses fenêtres " Je ne sais pas exactement comment il s’est débrouillé … Le parterre est toujours là, mon père n’est plus, … et malgré tout le respect et l’amour que j’ai pour lui … Papa, ton parterre il est sympa ... mais quand même ! Ou es tu allé chercher ça ?

mercredi 12 décembre 2012

Pourquoi un plan de jardin ...le projet

La nature a cette double supériorité sur l'art: elle produit en plus grand (ou en plus difficile) ce que l'art doit refaire à sa mesure, par transposition, avec des moyens originaux; sa sauvagerie témoigne d'une force primitive, archaïque, que l'art doit retrouver en retravaillant les éléments selon une nouvelle "caractéristique ". Transposer la sauvagerie dans le jardin exige la maîtrise de certains artifices et, surtout, l'invention d'un alphabet et d'une syntaxe appropriés à l'échelle de la transposition.
 (Jean-Paul Larthomas,  Le jardin selon Shaftesbury : Une origine possible du romantisme - Histoire des jardins, 2001)




Le plan projet ? ... ça parle ça parle ! Le plan projet ? Il nous raconte sa vie ...et je tourne à droite et je tourne à gauche, là il y a une vue, ici des sapins, ici des fleurs ... une vraie pipelette ... et un vrai généreux. Il y a toute la générosité du paysagiste dans le plan projet. Mais le plan projet n'est qu'un projet … Le jardin une fois réalisé ne ressemble plus au projet ou du moins plus tout à fait …  qui décide de ça ? Le propriétaire souvent …  mais aussi le paysagiste qui une fois sur le terrain remanie le projet pour le faire devenir une Œuvre d’art.  Rien que ça ... 

lundi 10 décembre 2012

Les jardiniers sèment des guitaristes ...

Ou encore on travaillait ensemble au petit potager qui nous avait été alloué."Fais ci, fais ça""D'accord, p'pa.""Prends la brouette, bêche par là, dégage ces mauvaises herbes." Ça me plaisait de voir les choses pousser, et je savais qu'il connaissait son affaire : "Faut pas qu'on tarde à mettre en terre ces plants de patates." Pas de prouesses, rien que du basique: "Les haricots donnent bien, cette année." Il était assez distant. On n'avait pas le temps de devenir vraiment proches mais ça me suffisait. Pour moi, c'était un type super : mon père, quoi.
(Keith Richards, Life, 2010)




Je suis guitariste ... enfin ! Ca me prend beaucoup de temps. Si un jour je devais vendre mon âme au diable, je ne lui demanderais pas d'être un Le Nôtre ou un Duchêne ... même pas un Jean-Charles Moreux ... NON ! et loin de là,  je veux être Jimi Hendrix ... avec qui d'ailleurs j'ai un point commun ... Nos pères étaient jardiniers ... Avec Keith Richards aussi ... il jardinait avec son père ... Tout comme moi ...Bon! ça s'arrète là ... pas de bol ... Certains ne manqueront pas de se demander ce que font Rodrigo et Gabriela parmi ces monstres sacrés de la guitare ... n'en déplaise à Rodrigo et à certains ... Gabriela je l'aime ... Elle a un rythme, une manière de jouer et de jouer avec sa guitare ... bref! elle provoque en moi un je ne sais quoi qui me rend tout chose ... 

vendredi 7 décembre 2012

Boussard par Marrast et le temps passé ...

Ayant ainsi, dans la propriété, distribué toutes choses suivant une ordonnance constante et manifeste, nous nous trouverons fort éloignés de la réalité ; nous nous serons efforcés d'atteindre l'idéal, en traçant un jardin où fleurisse le bonheur et où s'épanouisse la sérénité. Pour exprimer de tels sentiments, nous nous appliquerons à faire dominer les lignes grandes et continues : car, il est incontestable que les dimensions importantes impressionnent toujours favorablement. Il ne s'agit point, ici, d'étonner le visiteur, ni de tromper son regard par de fausses perspectives. Nous nous efforcerons de réaliser cette apparence majestueuse, qui en impose à l'homme, qui exalte ses sentiments, et qui élève son esprit au-dessus de la mesure habituelle.
(André Vera, Le Nouveau Jardin, 1911)
Le Parc Boussard par Marrast -  L'illustration 28 mai 1932

 Le dallage et les pergolas du Parc Boussard -  L'illustration 28 mai 1932
Le parc Boussard- 28 novembre 2012 
-Ne cherchez pas les pergolas, elles n'y sont plus -
Le parc Boussard- 28 novembre 2012

Le parc Boussard- 28 novembre 2012

Je suis allé voir le jardin Boussard en région parisienne … C’est un jardin Art déco de 1927/29 déssiné par Marrast … Vous le savez,  j'aime les jardins vieillissant, ces jardins qui doivent autant au paysagiste qu’au temps passé. Pour les jardins Art déco j’avais franchement un doute … J’aime les jardins Arts déco .. mais ces jardins tellement architecturés peuvent-ils se magnifier avec le temps comme un Méréville ou un Valgenceuse ??? Et bien Boussard oui ! on peut même dire qu'il s'est métamorphosé avec le temps devenant végétal et gardant ce qu'il faut d'architecture ...  C’est la leçon de cette visite… Certes, certains diront qu’il s’est un peu amolli, les proportions ne sont  plus toujours là … Mais qu’est-ce que c’est beau ! … sur les photographies de 1932 regardez le dallage semé de gazon … Ah si j'étais le jardinier de Boussard, je serais bien tenté de reproduire … mais juste  ça … 

mercredi 5 décembre 2012

New York ...


À New York, tout le monde cherche quelque chose. Des hommes cherchent des femmes, et des femmes cherchent des hommes. Au Trucks, des hommes cherchent des hommes, tandis que chez Barbara et au MLF, des femmes cherchent des femmes. Des épouses d'avocats devant Lord & Taylor cherchent des taxis, et les maris des épouses d'avocats dans Pine Street cherchent des échappatoires. Les prostituées devant le Americana Hotel cherchent des clients, et les gosses qui ouvrent les portières des taxis devant la Gare centrale des bus cherchent des pourboires. Tout comme les chauffeurs de taxi, les garçons d'étage et les serveurs. Les agents des stups infiltrés cherchent des tuyaux.
Les jeunes diplômés cherchent du boulot. Des types avec une cravate cherchent une meilleure situation. Des types en veste en daim cherchent une occasion. Des femmes en tailleur strict cherchent une occasion équivalente. Des types avec des ceintures en croco cherchent une combine. Des types aux poignets de chemise élimés cherchent dix dollars jusqu'à mercredi. Des syndicalistes cherchent de nouveaux bénéfices et un joli pavillon individuel dans New Hyde Park.
De gentils garçons de Fordham cherchent des filles. Des groupes de rock de St Louis logeant au Chelsea cherchent des filles faciles. Dans la 3° Avenue, de jeunes cadres, hommes et femmes, cherchent des relations constructives. À Washington Square Park, des Noirs de Harlem cherchent de la viande blanche. Dans les bars de Colombus, des buveurs de bière en bras de chemise cherchent des ennuis.
La Commission des parcs cherche des arbres à abattre et à transformer en petit bois pour des politiciens du cru. Des habitants du quartier cherchent des politiciens qui empêcheront la Commission des parcs de couper tous les arbres. Bonne chance.
Des clochards du Bowery munis de serpillières crasseuses cherchent un pare-brise à nettoyer. Des voitures avec des plaques minéralogiques de Floride cherchent le West Side Highway. Des voitures avec des macarons de médecin cherchent une place pour se garer. Des camions de United Parcel cherchent une double place pour se garer. Des camés cherchent des voitures avec des macarons de presse, car les journalistes laissent parfois des appareils-photo dans la boîte à gants.
Dans les salons de massage, les filles cherchent à faire monter le tarif. Les dames du mercredi après-midi venues de banlieue cherchent à passer un bon moment au théâtre en matinée, suivi de fromage blanc sur une feuille de laitue. Les touristes cherchent un endroit pour s'asseoir, des escrocs cherchent des touristes, des flics cherchent des escrocs.
Dans le haut de Broadway, des vieillards assis sur des bancs cherchent un peu de soleil. De vieilles femmes chaussées de bottes de l'armée cherchent Dieu sait quoi dans les poubelles de la Sixième Avenue. Des couples qui se promènent main dans la main dans Central Park cherchent à découvrir la nature. Toujours dans Central Park, des bandes d'adolescents de Harlem cherchent des bicyclettes.
Des mères célibataires bénéficiant de l'aide sociale, en faction dans la 55e Rue Ouest, cherchent Rockefeller, mais il n'est jamais là.
Aux Nations Unies, ils cherchent une traduction simultanée. À Broadway, ils cherchent un succès. À Black Rock, ils cherchent la tendance. Au Lincoln Center, ils cherchent une signification convenable.
Dans le métro, presque tout le monde cherche la bagarre. Dans le 5 h 09 à destination de Speonk, presque tout le monde cherche le bar. Dans l'East Side, presque tout le monde cherche un statut, alors que dans le West Side, presque tout le monde cherche un régime réellement efficace.
À New York, tout le monde cherche quelque chose. Et de temps à autre, quelqu'un trouve…

(Donald Westlake, Dancing Aztecs, 1976)


lundi 3 décembre 2012

Décembre ...

Eh oui, maintenant tout est fini. Jusqu'à maintenant le jardinier a bêché, creusé, pioché, bouleversé, fumé, chaulé, répandu sur la terre de la tourbe, de la cendre et de la suie, taillé, semé, planté, repiqué, divisé, enterré des oignons et déterré des bulbes pour l'hiver, humecté et arrosé, fauché, sarclé, couvert les plantes de branchages ou courbé celles-ci vers le sol; il a fait tout cela de février à décembre, et ce n'est que maintenant, après que la neige a recouvert son jardin, qu'il prend conscience d'avoir oublié quelque chose : c'est de le regarder.
Car, sachez-le bien, il n'en a pas eu le temps. Quand, en été, il courait regarder une fleur, il lui fallait s'arrêter en route pour sarcler quelques mauvaises herbes dans son gazon. Quand il voulait se délecter de la beauté des delphiniums en fleurs, il s'apercevait qu'il fallait leur mettre des tuteurs. Au moment de la floraison des asters, il se hâtait d'aller chercher un arrosoir pour les abreuver. Quand ses phlox fleurissaient, il arrachait le chiendent. Quand c'étaient les roses, il avait le souci de les tailler ou de détruire les moisissures.
Dessin Josef Čapek
Au moment des chrysanthèmes, il se jetait sur eux, un piochon à la main, pour aérer la terre trop tassée. Que voulez-vous? Il y avait toujours quelque chose à faire. Peut-on garder les mains dans les poches et se contenter de regarder l'air qu'a le jardin?
Maintenant, grâce à Dieu, tout est fini : on pourrait bien encore faire quelques petites choses; là-bas, sur le derrière, la terre est lourde comme du plomb et voilà une centaurée que je voulais changer de place, mais laissons cela tranquille: la neige est tombée. Voyons, jardinier, que dirais-tu d'aller regarder ton jardin pour la première fois?
Cette chose noire, qui sort un peu de terre, c'est une viscaria incarnat, ce grumeau de feuilles brûlées c'est une astilbe, et ce petit manche à balai c'est un aster éricoïdes, et ceci ici, qui n'est rien du tout, c'est un trolle orangé, et là, ce tas de neige, c'est un dianthus; naturellement, un dianthus.
Brr, qu'il fait froid! On ne peut pas, même en hiver, jouir du spectacle de son jardin.
Bon, alors, faites du feu et laissons dormir le jardin sous son léger édredon de neige. Il est bon de songer aussi à d'autres choses; nous avons toute une table couverte de livres que nous n'avons pas lus : mettons-nous y ; nous avons une foule d'autres plans et d'autres soucis : attaquons-nous à eux. Pourvu que nous ayons bien tout recouvert de branchages! Avons-nous donné une couverture suffisante à nos tritomas? N'avons-nous pas oublié de recouvrir la dentelaire? Il conviendrait aussi de poser quelques rameaux sur le kalmia. Notre azalée ne va-t-elle pas geler? Et si nos bulbes de renoncules d'Asie venaient à ne pas lever? Dans ce cas, nous les remplacerions par..... Voyons un peu..... Un instant, nous allons regarder ça dans un catalogue.
Ainsi donc, en décembre, le jardin est surtout représenté par une grande quantité de catalogues d'horticulture. Le jardinier lui-même hiverne sous verre dans une serre chauffée, enfoncé jusqu'au cou, non pas dans du fumier ou des branchages, mais dans des catalogues, des prospectus, des livres et des brochures dans lesquels il apprend :
1) Que les fleurs les plus précieuses, les plus fécondes et les plus indispensables sont celles qu'il n'a pas encore dans son jardin.
2) Que tout ce qu'il a est « un peu délicat », et «gèle facilement », ou bien qu'il a planté côte à côte une fleur « qui exige de l'humidité » et une fleur «qu'il faut préserver de l'humidité », et que ce qu'il a pris grand soin de planter en plein soleil demande « l'ombre la plus complète » et vice-versa.
3) Qu'il existe trois cent soixante-dix sortes de fleurs, ou plus encore, qui « méritent une attention particulière » et « qui ne devraient manquer dans aucun jardin », ou qui, du moins, sont « des variétés nouvelles et étonnantes, laissant loin derrière elles tout ce qu'on a produit jusqu'à présent ».
Dessin Josef Čapek
Tout cela, d'ordinaire, assombrit grandement le jardinier en décembre; d'une part, il se prend à craindre qu'aucune de ses fleurs ne pousse au printemps, à cause de la gelée ou de la chaleur, de l'humidité ou de la sécheresse, du soleil ou du manque de soleil. C'est pourquoi il se creuse la tête pour combler ces effrayantes lacunes.
D'autre part, il s'aperçoit qu'en admettant qu'il périsse un minimum de plantes, il n'aura dans son jardin presque aucune de ces espèces «toutes nouvelles », incomparables, qui «sont les plus précieuses et qui ont une riche floraison », dont il vient de lire les noms dans soixante catalogues; cela aussi est une insupportable lacune qu'il faut combler de quelque manière. A partir de ce moment, le jardinier hivernant cesse tout à fait de s'intéresser à ce qu'il a, plein qu'il est de ce qu'il n'a pas, qui est quelque chose de beaucoup plus vaste, c'est évident; il se jette sur les catalogues et souligne tout ce qu'il doit commander, tout ce qui, pour rien au monde, ne doit manquer plus longtemps dans son jardin. Au cours de sa première revue, il souligne quatre cent quatre-vingt-dix plantes qu'il doit acheter coûte que coûte ; quand il en fait le compte il se refroidit un peu, et, le cœur saignant, il se met à rayer celles auxquelles il renonce pour cette fois. Cette douloureuse élimination, il lui faut la recommencer cinq fois, jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus que quelque cent vingt de ces plantes, «les plus belles, les plus fécondes, indispensables » que — poussé par une joie pénétrante — il commande aussitôt. «Envoyez-les-moi commencement mars». Mon Dieu, que ne sommes-nous déjà en mars, se dit-il avec une fiévreuse impatience. Eh bien, un dieu l'a aveuglé; en mars, il s'apercevra qu'il trouve à grand'peine dans son jardin deux ou trois places ou il est encore possible de planter quelque chose, et encore est-ce le long de la clôture, à l'ombre des cognassiers du Japon.
Dessin Josef Čapek
Quand il a fini ce travail, qui est le principal de l'hiver, avec quelque précipitation — comme on peut le voir — le jardinier commence à s'ennuyer invinciblement. Comme « c'est en mars que ça commence », il compte les jours jusqu'en mars et, comme il y en a trop, il en ôte quinze, parce que « parfois ça commence dès le mois de février ». Rien à faire, il faut attendre. Et alors, le jardinier se jette sur autre chose, par exemple, sur un sopha, un canapé ou une chaise-longue et il essaye de s'abandonner au sommeil hivernal de la nature.
Une demi-heure après, il quitte d'un bond la position horizontale, inspiré par une pensée nouvelle. Les pots de fleurs! Mais c'est qu'on peut cultiver des fleurs dans des pots! En un clin d'œil, il a la vision d'un fouillis de palmiers et de lataniers, de dracaenas et de tradeskanties, d'asperges, de fougères, de sensitives et de bégonias dans toute leur beauté tropicale ; et au milieu de tout cela pousseront quelques primevères et jacinthes précoces; du vestibule nous ferons une jungle équatoriale ; aux rampes d'escaliers pendront des sarments et sur les fenêtres nous mettrons des fleurs qui pousseront comme des folles. Le jardinier jette alors un rapide coup d'œil autour de lui; il ne voit plus l'appartement qu'il habite, mais la forêt paradisiaque qu'il va créer et il court chez l'horticulteur du coin et revient avec une pleine brassée de trésors végétaux.
Quand il apporte chez lui ce qu'il a acheté, il s'aperçoit : Que toutes ces plantes rassemblées ne donnent pas du tout l'impression d'une forêt équatoriale, mais plutôt d'une petite boutique de potier;
Dessin Josef Čapek
Qu'il ne peut rien mettre sur les fenêtres parce que — suivant les assertions fanatiques des femmes de la maison — les fenêtres sont faites pour l'aération;
Qu'il ne peut rien mettre dans les escaliers parce que, paraît-il, ça fait des saletés et que l'eau se répand;
Qu'il ne peut pas transformer son vestibule en forêt tropicale parce que — malgré ses implorations plaintives et ses jurons — les femmes ne consentent pas à laisser les fenêtres fermées pour empêcher l'intrusion de l'air glacial.
Le jardinier emporte alors ses trésors à la cave, où — se console-t-il — ils ne gèleront pas au moins; et au printemps, occupé à fouir le sol tiède au dehors, il les oublie tout à fait. Mais cette expérience ne l'empêchera pas le moins du monde, au mois de décembre prochain, d'essayer de transformer, à l'aide de pots de fleurs, son appartement en jardin d'hiver. On reconnaît là la vie éternelle de la nature.
 (Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)