Il y a certainement des gens qui, en lisant ces instructives considérations, diront avec irritation : « Comment, voilà un gaillard qui nous parle de toutes les herbes qui ne se mangent pas, mais il ne mentionne même pas d'un mot les carottes, les cornichons, les choux, les choux-fleurs, les oignons, les poireaux, les radis, même pas le céleri, ni le persil, ni la ciboulette, ni le choux rouge. Qu'est-ce que c'est que ce jardinier, qui, partie par orgueil, partie par incompétence, passe sous silence ce qu'il y a de plus beau parmi tout ce qu'on peut cultiver, comme, par exemple, une planche de salade! » A ce reproche, je réponds que dans une des nombreuses périodes de mon existence, j'ai régné, moi aussi, sur quelques planches de carottes, de choux et de salades; j'agissais ainsi poussé par une espèce de romantisme, car je voulais me donner l'illusion d'être fermier. Le moment venu, il apparut que j'étais obligé de croquer tous les jours cent vingt radis, parce que personne autre dans la maison n'en voulait plus manger. La semaine d'après je nageais dans les choux, après quoi vinrent des orgies de cardon quelquefois déjà ligneux. Il y avait des semaines où j'étais obligé de mâcher de la salade trois fois par jour, pour n'avoir pas à la jeter. Je n'ai pas le moins du monde l'intention de gâter leur plaisir aux amateurs de légumes; mais, ce qu'ils ont fait pousser, qu'ils le mangent. Si j'étais forcé de manger mes roses ou de brouter les fleurs de mes muguets, je pense que je perdrais cette espèce de respect que j'ai pour elles. Un bouc peut devenir jardinier, mais un jardinier se change difficilement en bouc, pour brouter son jardin.(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)
San Francisco |
L'humour
et la poésie de mon très cher Karel traduit ici cette concurrence
voire cette opposition radicale entre le jardinier et le
maraicher ou l'agriculteur. Le jardinier n'est pas un agriculteur ...
la preuve par l'outil : l'agriculteur utilisait la houe et le
jardinier la bêche ... Jacques Peru, conservateur du musée des
cultures légumières de la Courneuve, voyait ici la marque de cette
différence. Mon père, qui était quasiment un jardinier
du Roy,
m'a dit un jour avec le plus grand mépris, "tu bêches
comme un maraicher de l'Essonne" (Pardon aux Essonniens tout en précisant que mon père descend d'une famille de Méréville)
Des outils différents entrainent des techniques différentes : la taille horticole
s'oppose au recepage ou à la taille en têtard qui sont des
techniques rurales et forestières … Qu'elles soient jardinières, paysannes ou forestières ces techniques ont façonné
les jardins et les paysages … cette concurrence, parfois violente,
est nécessaire. L'uniformisation des
techniques et des outils est l' ennemie, elle crée sous nos yeux cette dangereuse banalisation des jardins et
des paysages ...
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