samedi 23 avril 2016

La Danse ...

Sous février pluvieux, le long du Grand Canal, j'épouse les craintes des crêtes de l'eau à revers argenté. Les chocs d'ondes mouvantes répercutent la hâte, comme sur des dalles froides, de ce qui fut la ferveur ardente de la danse.
Telle est la panique qui secrètement suscitait l'obstination du Roi à se confondre danseur. La seule émotion d'un roi est la plus forte en vérité envers sa royauté qu'il joue, par soudaineté, à confondre : la perdant au fil des rôles de la mythologie dansée, dans l'encyclopédie du monde en théâtre représentée, il ne la perd cependant pas, la tient fort sous sa coupe, dans l'effroi.
Par les mouvements de la danse l'instituée royauté insiste, le Roi brave l'insistance, induration de Méduse.
Un roi danseur ne peut que faire redonder sa propre fiction, mais aussi lorsque Louis danse, dans les gestes codifiés se glisse la syncope aveugle. Un mutisme, comme au plus ténu d'un battement d'ailes, dans le battement des ailes lisse les ailes, appel à l'air où celui-ci se dépouille, ballet blanc dans le chatoiement. Et dans l'excès de ravissement s'insinue le néant, syncope de royauté où tout soudain bascule, d'un basculement simultané à celui du moment où l'on constate que les conditions mêmes et l'ordre basculent le Roi avec les danseurs, le Roi devenu roi danseur ou simple danseur (et ce n'est pas seulement alors cet anonymat qui fait l'insinuation soudaine du néant dans le théâtre de Versailles).
Je me demande d'où vient cette jubilation mêlée de terreur, ce ravissement lisse et cette danse très codifiée alliée à une féerie fatale, fatalité du vide et cassure, tout à coup, dans la misère sèche.
Ici la royauté est un lapsus, emportée par la manie profonde de son abolition.
Daniel Klébaner, Les Lisières de Versailles, 1984.


Les Chevaux du Bain d’Apollon par Wissaux - Champs-sur-Marne