jeudi 31 mai 2012

Palissades 3 ...


L’art des jardins existe mais les artistes manquent.
 (Édouard André, Traité général de la composition des parcs et jardins, 1879)



Un beau matin vous vous réveillez à la Villa Médicis à Rome ...De votre chambre, vous apercevez les parterres, les pins magnifiques ... vous vous dites "d'abord un cappuccino,  j'irai voir après"  C'est magnifique ... Seize carrés bordés de palissades, vous vous laissez aller à la rêverie quand, tout à coup, vous sursautez, vous devenez obsédé par un détail .... Les palissades ne sont pas droites ... Pas  très droites ... Pas hyper-droites ... Et pourquoi vous vous en apercevez ? Un "je ne sais quoi" a, pour des raisons de propreté et de facilité d’entretien, posé des voliges bien droites, bien alignées ... Mais on s'en fiche que les palissades soient hyper-droites, taillées au laser et bordées d'une volige pour faire propre ... ON S’EN FICHE …Virez nous ce truc et laissez nous reprendre notre promenade pleine de rêverie ...

mercredi 30 mai 2012

Palissades 2 ...

Les palissades, par l'agrément de leur verdure, sont d'un très-grand secours dans les Jardins, pour couvrir les murs de clôtures, pour boucher et arrêter la vûe dans de certains endroits; c'est par leur moyen qu'on ne découvre point tout d'un coup l'étendue d'un Jardin, qu'on en corrige, qu'on en rachète les biais et les coudes des murs. Elles servent encore à renfermer, à border les quarrés de bois, et à les séparer des autres pièces du Jardin. La forme la plus commune des palissades, est une grande longueur et hauteur tout unie, formant une muraille ou tapisserie verte, dont toute la beauté consiste à être fort garnie, surtout par le pied, peu épaisse et bien tondue des deux côtés à pied droit: on les tond ordinairement en éventails, en rideaux et en banquettes, selon la nature du lieu.
( Antoine Joseph Dezallier d’Argenville. La Théorie et la pratique du jardinage, 1709)



Les palissades, j'aime ... Qu'elles soient en Hêtre et rigoureusement taillées comme à Cordès ... Au sommet relâché comme à Willanow et peut être ici plus conforme à l'histoire ... En Buis comme à Valgenceuse ... contemporaines et en Thuyas comme à la Ballue ... J'aime ... On a dit que les palissades arrêtaient la vue, apportaient la monotonie et l'ennui ... au contraire, j'aime les palissades parce que rien n'attire le regard ... dans ces compositions, pas une fleur, pas un arbuste, pas un paysage ... RIEN! ... Le regard vague, le promeneur solitaire s'égare dans une harmonie de verdure... et dans cette architecture classique, n'en déplaise à Girardin, pourquoi ne pas citer quelques vers de maître Alphonse ...


Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces côteaux pendent des bois épais
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.


 
 


mardi 29 mai 2012

Palissades ...


Le fameux Le Nôtre, qui fleurissait au dernier siècle, acheva de massacrer la Nature en assujettissant tout au compas de l'Architecte; il ne fallut pas d'autre esprit que celui de tirer des lignes et d'étendre le long d'une règle celles des croisées du bâtiment; aussitôt la plantation suivit le cordeau de la froide symétrie ; le terrain fut aplati à grands frais par le niveau de la monotone planimétrie ; les arbres furent mutilés de toute manière, les eaux furent enfermées entre quatre murailles; la vue fut emprisonnée par de tristes massifs; et l'aspect de la maison fut circonscrit dans un plat parterre découpé comme un échiquier, où le bariolage de sables de toutes couleurs ne faisait qu'éblouir et fatiguer les yeux : aussi la porte la plus voisine pour sortir de ce triste lieu fut-elle bientôt le chemin le plus fréquenté. 
On n'avait point un parc pour s'y promener, et l'on s'entourait à grands frais d'une enceinte d'ennui; on le séparait, par un obstacle intermédiaire, de la Campagne; tandis que par un instinct secret, on s'empressait d'aller la chercher, quelque brute qu'elle pût être, de préférence à toutes les allées bien droites, bien ratissées et bien ennuyeuses.

(René-Louis de Girardin, De la composition des paysages, ou des moyens d’embellir la nature autour des habitations  en joignant l’agréable à l’utile. 1775)

Carrefours des Allées des Saisons :  La Fontaine de Flore.

Il n'y va pas de main morte notre ami René-Louis ... Pour ma part, je rejoindrai le grand Edouard André qui, cent ans plus tard, dénonçait bien sûr ces exagérations ... Cela dit, si Girardin ne connaissait les palissades qu’au travers des gravures représentant les jardins de Versailles, il y a, en effet, de quoi être effrayé ...  Pour avoir souvent parcouru le jardin de Cordès où les palissades sont probablement parmi les plus incroyables, je ne ressens pas l'ennui, bien au contraire ... Dominique Pinon, paysagiste, qui a merveilleusement étudié les jardins de Cordès parle de "jardin de déambulation". On déambule à Cordès, on se perd dans un dédale de palissades hautes de huit mètres, le rapport à l'extérieur est perdu, celui de l'échelle également ... et ne comptez  pas sur la bande de ciel bleu  pour vous indiquer le Nord ...  Le promeneur est perdu ... perdu à jamais dans ses pensées ...  intérieures ... 

Palissades de Cordès
Palissades de Cordès de la cour d'honneur vers l'entrée ... en fait ce ne sont pas des Charmilles mais des Hêtrilles ...


lundi 28 mai 2012

Pentecote ...

On dit que « le temps amène les roses » ; c'est évidemment vrai — d'ordinaire, elles se font attendre jusqu'en juin ou juillet — et, pour ce qui est de la croissance, il suffit de trois ans pour qu'un rosier vous fournisse un fort joli buisson. Mais on ferait bien mieux de dire que le temps amène les chênes, ou les bouleaux. J'ai planté quelques bouleaux en me disant : « ici, ce sera un boqueteau de bouleaux; et dans ce coin-ci se dressera un énorme chêne centenaire. » Et j'ai planté un petit chêne, et deux ans ont passé déjà et ce n'est pas encore un énorme chêne centenaire, et mes bouleaux sont loin de former un bosquet centenaire, où viendraient danser les nymphes. Bien entendu, j'attendrai encore quelques années; nous, les jardiniers, nous avons une infinie patience. J'ai dans ma pelouse un cèdre du Liban, presque aussi grand que moi. D'après des renseignements autorisés, le cèdre doit atteindre une hauteur de cent mètres avec une largeur de seize mètres. Eh bien, je voudrais vivre assez longtemps pour le voir atteindre les dimensions prescrites; il conviendrait réellement que je voie cela et que, si j'ose dire, je recueille le fruit de ma peine. Pour le moment, il a poussé de vingt-six bons centimètres; bon, j'attendrai encore.
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)

 Pentecôte - Feuillet  néerlandais - vers 1440


vendredi 25 mai 2012

Volonté Divine ...

Il faut, dit Junius, quand on veut planter un verger, choisir les emplacements dans lesquels se trouve de l'eau en quantité suffisante. Il faut qu'il ne soit point trop éloigné de l'habitation du maître, autant que faire se peut, afin de jouir à la fois de l'agrément de la vue, de la salubrité de l'air qu'il assainit et du repos qu'il procure à l'œil. La plantation des arbres ne doit point se faire confusément et sans ordre; il faut, au contraire, rapprocher tous les congénères pour éviter que les espèces trop vigoureuses n'absorbent les sucs nourriciers, et que celles qui sont délicates n'en soient privées. La distance à laisser entre chaque arbre devra être réglée d'après la nature du terrain et sa force. Il en sera parlé ailleurs, la volonté divine aidant.
(Ibn Al-Awwam, Livre d’agriculture, fin du 12e siècle)


H. De Braekeleer, Le jardinier, Musée d'Anvers



jeudi 24 mai 2012

Le Bon Jardinier 3 ...

II est évidemment difficile d'imaginer quel aspect prendront les jardins pour lesquels on a prévu une existence qui ne s'inscrit dans aucune forme. A mon avis, ces jardins là ne devraient pas être jugés sur leur forme mais sur leur aptitude à traduire un certain bonheur d'exister.
(Gilles Clément, Le jardin en mouvement, de la vallée au parc André Citroën, 1991)


Quand on a un filon, on l'exploite ... Le Tétranyque Tisserand! Beurk ! Plus connu sous le nom d’araignée rouge ... Après avoir lu le Bon jardinier 1947, je vous promets que ce Tétranyque qui se prend pour un titan tyrannique fera moins le fier ...
Que dit le bon jardinier ? Acaricide? Insecticide? Gaz moutarde? et bien non, je cite ... "Il ne manque pas de se développer chaque fois qu'on oublie de faire des bassinages réguliers car il aime la sécheresse"... Il n'aime pas les douches ... Comme quoi, ce gars là ne doit pas être si mauvais ...

mercredi 23 mai 2012

Le Bon Jardinier 2 ...

Les gouvernements trouveront dans la création des Cités-Jardins la solution de la plupart des grands problèmes sociaux actuels, car dans la Cité-Jardin les hommes au contact de la nature, deviennent meilleurs et plus forts.
(Ferdinand Duprat, le Bon Jardinier, 1947)

La cité jardin des ouvriers de la Société de Bonneterie de Reims de Pontfaverger (Marne)
Les maisons sont disposées autour d'une place de jeux centrale avec jardins fleuris en façade et cultures potagères du coté de la rivière qui les entoure. (F.Duprat)

Comment tracer et exemples de corbeilles en mosaïque
Bien sûr, dans le bon jardinier de 1947, on n'échappe pas à la Mosaïculture et aux Cités-Jardins ... La mosaïculture ? en 1947 ? ... Elle existe depuis plus de cent ans et on en parle encore dans cette édition, elle tiendra encore jusque dans les années 1980 ... je me souviens, quand j'étais enfant, de l'horloge en mosaïculture de la mairie de Versailles près de la gare rive gauche ... j'adorais ... Je ne sais pas si elle existe toujours... Bref! ... Les cités-jardins ? Je sais que les urbanistes en raffolent ... le coté " vous allez voir, vous allez être heureux" j'ai du mal à y croire ... que ces cités soient pour des ouvriers ou pour des milliardaires de Floride, ça m'angoisse un peu ... ça fleure bon l'ennui tout ça ... En fait, moi j'aime les villes et je rejoindrais facilement Jean Claude Nicolas Forestier qui disait : "je suis un vrai homme des villes, j'aime l'air libre et les jardins" .  Des jardins dans les villes, ça c'est sympa ... 

mardi 22 mai 2012

Le Bon Jardinier ... outil


Parmi les Chinois le jardinage est beaucoup plus estimé qu'en Europe, et tout ouvrage accompli dans ce genre est mis au nombre des grandes productions de l'intelligence humaine; ils prétendent même qu'aucun des arts ne surpasse le jardinage dans la puissance d'émouvoir les passions.
(William Chambers, Dissertation sur le jardinage de l'Orient, 1772)

Le Bon Jardinier, édition 1947
Le Bon Jardinier, édition 1947,  ça c’est un bouquin !! Le mien est dans ma famille depuis sa parution … comme vous pouvez le voir, il a bien servi. 

L’édition de 1947 n’a jamais été égalée… la dernière version en 3 volumes est plus imposante sans être pour autant plus riche ... celle de 1947 a l’avantage de porter un regard intéressant et très attachant sur la gestion des jardins avant 1947 … J’ai l’impression que, dans le bon jardinier de 1947, on parle encore de jardin... A la définition du mot "horticulture", on peut   lire : "art des jardins et du jardinage". 
On y traite le sol, la botanique, le matériel horticole, etc. ... certes … mais, il y a toutes ces rubriques que l’on ne trouve plus dans les livres d’horticulture … le défoncement de sol à une ou deux jauges, le poids des bois… mesurer la hauteur d’un arbre (sans l’abattre), comment tracer une ellipse, un ovale, faire un marcottage chinois. Publication d'une liste des variétés de pommes selon les régions (incroyable, il fallait y penser tout de même)…Ce n’est pas tout, on trouve toutes les définitions des couleurs, comment former un arbre en port libre, en Marquise simple en Marquise double … comment tailler un arbre fruitier en palmette, en cordon etc. ... etc. ...
On a même droit à un cours d’histoire et d’architecture des jardins par Ferdinand Duprat… 
Il y a un petit tableau,  celui des Distances à réserver entres les arbres d’avenues plantés en lignes … on préconise des alignements de Pins laricio, de Tulipiers, de Mélèzes … ça fait rêver … Décidément ce bon jardinier 1947 a un coté 19e siècle qui me plait bien.

Labour
Distances à réserver entres les arbres d’avenue plantés en lignes
Marcottage chinois
Poids des bois

lundi 21 mai 2012

Chapitre botanique ...


Comme chacun sait, on distingue la flore glaciaire et la flore des steppes, les flores arctique, pontique, méditerranéenne, subtropicale, marécageuse et toutes sortes d'autres, soit d'après leur origine, soit d'après le lieu où elles se trouvent et où elles croissent.

Eh bien, si vous portez le moindre intérêt à la végétation, vous verrez qu'il existe une flore particulière dans les cafés et une autre dans les charcuteries; que certaines espèces données viennent mieux dans les gares et d'autres chez les gardes-barrières. Peut-être serait-il possible, à l'aide d'une étude comparative de ce genre, de démontrer que sur les fenêtres des catholiques on trouve une flore différente de celle qui prospère sur les fenêtres des mécréants et des libres-penseurs, tandis que dans les parfumeries ne poussent que des fleurs artificielles, etc. ... Mais, étant donné que la topographie botanique est une science encore dans l'enfance, comme on dit, tenons-nous en à quelques groupes botaniques bien déterminés et caractéristiques.

1er- La flore des gares se divise en deux sous-groupes : celle des quais et celle du jardin du chef de gare. Sur les quais on trouve surtout, soit dans des paniers suspendus, soit aussi quelquefois contre les grilles ou sur les fenêtres du bâtiment, des lobelies, des pélargoniums, des pétunias et des bégonias. La flore des gares se caractérise par une floraison extraordinairement abondante et colorée. Le jardin du chef de gare est moins caractéristique, au point de vue botanique : il y pousse des roses, des myosotis, des pensées, des lobélies et d'autres espèces fort peu différentes, du point de vue sociologique.

2e - La flore de chemin de fer est celle qui se trouve dans les jardins des gardes-barrières. Elle se compose surtout de mauves et de tournesols, et aussi de capucines, d'églantines, de dahlias, et encore, parfois, de reines-marguerites; comme on le voit, ce sont, en majorité, des plantes qui se dressent au-dessus des palissades, peut-être pour réjouir la vue des mécaniciens qui passent.

La flore sauvage de chemin de fer est celle qui pousse sur les remblais; elle comprend en particulier les cierges de Notre-Dame, le serpolet et quelques autres espèces.

3e - La flore des boucheries prospère dans les étalages des bouchers, au milieu des filets découpés, des gigots, des agneaux et des saucissons. Elle comprend un petit nombre d'espèces comme l'aucuba, l'asparagus sprengeri et parmi les cactus, le cierge et l'échinopsis; chez les charcutiers il y a, dans des pots, des araucaries et même quelquefois des primevères.

4e- La flore des restaurants comprend deux lauriers-roses devant la porte, et, sur les fenêtres, des fougères : les restaurants qui sont spécialisés dans ce qu'on est convenu d'appeler la cuisine de famille ont aussi sur leurs fenêtres des cinéraires. Dans les grands restaurants on trouve même des dracaenas, des philodendrons, des bégonias à grandes feuilles, des lataniers, des figuiers et, d'une manière générale, toute cette végétation que les comptes rendus de bals qualifiaient naguère d'une façon parfaite en disant que « l'estrade était noyée dans l'exubérante verdure d'une végétation tropicale ». Dans les cafés, seules viennent les fougères; par contre, sur les terrasses, on trouve force lobélies, pétunias, tradeskanties et parfois même des lauriers et du lierre.

Si je ne me trompe, il n'y a aucune végétation chez les boulangers et les armuriers, ni dans les magasins où se vendent les automobiles et les machines agricoles, pas plus que chez les quincailliers, les marchands de fourrures, les papetiers, les chapeliers et un grand nombre d'autres négociants. Les fenêtres officielles ou bien n'ont rien du tout ou bien n'ont que des pélargoniums blancs ou rouges; d'une façon générale, la végétation officielle dépend de la volonté ou du bon vouloir du garçon de bureau ou bien du directeur en chef. En outre, ici, c'est une sorte de tradition qui fait loi. Tandis que dans le domaine des chemins de fer abonde une végétation bigarrée, il n'y a absolument rien dans les postes et télégraphes. Les bureaux des particuliers sont, du point de vue de la végétation, plus fertiles que les bureaux de l’Etat, parmi lesquels les bureaux des percepteurs, en particulier, constituent un parfait désert.
La flore des cimetières forme, évidemment, une classe botanique à part, ainsi que la flore des cérémonies qui entoure le buste de plâtre du grand homme que l'on célèbre; à cette dernière appartiennent le laurier-rose, le palmier, le laurier, ou, en mettant les choses au pis, la fougère.
Pour ce qui est de la flore des fenêtres, il en existe deux sortes : la pauvre et la riche. Celle des pauvres est ordinairement meilleure; en outre, chez les riches, il est de règle qu'elle périsse toujours pendant qu'ils sont en villégiature.
Ce chapitre ne prétend évidemment pas épuiser la multitude des divers endroits où l'on peut trouver des plantes. Je serais heureux de constater un jour quelle sorte de gens cultive les fuchsias, à quelles professions appartiennent les amateurs de cactus, etc. ... Il est possible que se crée une flore spéciale pour le parti communiste et une autre pour le parti populiste. Grande est la richesse du monde : chaque corporation, que dis-je? Chaque parti politique pourrait avoir sa flore particulière.

(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)




vendredi 18 mai 2012

Ecoute mon lapin, tu te démerdes ...

Le jardin serait tantôt luxueux, tantôt très simple ; dans ce cas je m’abstiendrais de toute allée, et je laisserais le gazon aller jusqu’au pied de la maison. 
(Achille Duchêne, Les jardins d’aujourd’hui, La vie à la campagne du 15 mars 1914)


Achille Duchêne (1866-1947), paysagiste, concepteur du jardin français, 1925.
Autochrome de Georges Chevalier, © Musée Albert-Kahn 
Si j’aime bien Achille Duchêne, c’est pour son talent mais aussi pour ce que devait être l’homme. Les historiens en ont fait une espèce de machine implacable à produire des jardins "à la Le Nôtre" … Les quelques citations de Duchêne montrent, il me semble, un autre homme, un homme sensible, un homme de terrain… Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer Monsieur Roussel, l’entrepreneur et héritier de l’entreprise Toutin et Roussel qui travaillait avec Duchêne. Monsieur Roussel a commencé chez Achille Duchêne, ami de la famille. Il m’a raconté cette histoire …  
Alors qu’il dirigeait pour Achille Duchêne un chantier de jardin en Alsace, Roussel téléphone à Duchêne. " Je suis embêté Monsieur Duchêne, votre alignement en bordure de jardin,  et bien … il est chez le voisin" et là, Achille Duchêne lui donne une réponse qui confirme que l'homme est évidemment un immense créateur de terrain " Ecoute mon lapin (il l’avait connu enfant) tu te démerdes et tu remets cet alignement dans le jardin … " Magnifique ! Non ?

jeudi 17 mai 2012

Achille Duchêne ...


Pour un parc de vaste étendue, il ne me déplairait pas de chercher des grands effets très simples qui seraient formés par la masse de groupes d’arbres dirigeant la vue sur les points intéressants du paysage à l’extérieur du parc : je chercherais encore les effets de hautes futaies ou de grandes clairières et l’introduction dans la nature de motifs d’architecture : je composerais en un mot dans l’esprit des fresques de Puvis de Chavannes.
(Achille Duchêne, Les jardins d’aujourd’hui, la vie à la campagne du 15 mars 1914)


A Duchêne, Château d'Avrilly, Parterre plongeant dans le canal, vers 1900
Projet de jardin par JC Moreux - 1950 et plan du parterre réalisé du Château d'Avrilly - vers 1900
Projet du jardin d'Avrilly - vers 1900, noter également la modernité des quatre petits parterres... Les bords du canal (en vert) sont talutés (Archives du propriétaire)


Les Boulingrins de Champs, 1905
A Duchêne -  parterre en boulingrin à Champs - 1905, JC Moreux, Hôtel particulier de M. Rouché -1929
 En Haut, Albert Laprade, Jardin pour l'hôtel de Vogüé - 1925. en Bas, Achille Duchêne, parterre Nord du château de Joyeux - 1920. Deux parterres alliant le minéral, le végétal et un relief subtil.
 Gabriel Guévrékian, jardin cubiste, à la Villa Noailles - 1925

Moi j’aime bien Achille Duchêne, non pas parce qu’il a redonné « des lettres de noblesse aux grands jardins français» comme c’est écrit un peu partout ... Dans son livre "Beaux jardins de France" Ermest de Ganay écrit à propos de Champs : "L'impression générale nous rend l'exact miroir des beaux âges classiques et les jardins de la France de jadis" Non! Ce n'est pas vrai ... Achille Duchêne n’est pas tourné vers le passé, c'est un créateur de jardins, un vrai... c'est un créateur de style nouveau, moderne...  il est de son temps, mieux c’est un précurseur. Nous savons qu'il est très fort sur grande échelle,  qu'il est à l'aise dans le régulier, le paysager, le mixte ... Pour apprécier son talent de précurseur il faut regarder les détails ...  Regardons les parterres du château d'Avrilly dans l'Allier, celui de Joyeux dans l'Ain ou bien ces petits boulingrins de Champs-sur-Marne … on est bien loin des dessins de jardins de la France de jadis … Nous sommes en plein Art déco ... Si l'on compare avec les jardins de Jean-Charles Moreux, ceux d'Albert Laprade ou bien le jardin cubiste dessiné par l'artiste Gabriel Guévrékian à la Villa Noailles, nous sommes dans la même veine créatrice ... Alors Achille Duchêne ... Revival louis-quatorzien ou artiste de son temps?

Achille Duchêne - Château de Balleroy -
Deux parterres dans une avant cour, une rupture on ne peut plus nette avec le XVIIe siècle

mercredi 16 mai 2012

Pub ...

En mai, disait mon père, arroser tous les jours c'est trop, tous les deux jours ce n'est pas assez...

Publicité -La vie à la campagne - 15 mars 1914 


Légende de la publicité : Le petit Moto-Pompe sur brouette représenté ci-contre est fort intéressant. Il est très maniable, le poids des brancards sur les bras ne dépasse pas 10 kilos. Le jet débite 4 000 litres à l'heure. La portée horizontale est de 20 mètres, sa portée verticale est de 12 à 15 mètres. L'appareil peut servir utilement contre l'incendie. L'appareil est très simple, peu couteux et de dépense presque rien. Un diffuseur permet l'arrosage des plantes délicates et spécialement des Roseraies.




mardi 15 mai 2012

La greffe sur Sauvageon ...

Que ne fait-on faire à la greffe ? Elle se prête à l'adresse du Jardinier ; Un Sauvageon devient dans ses mains un nouvel arbre dont le fruit est fondant et doux. Il arrête cette sève dans le Sauvageon, et la contraint de se coaguler et de prendre l'espèce que lui présente l'écusson de la greffe qui est comme un ferment qui arrive, qui digère, et qui reçoit l'aliment qu'il trouve en son chemin. C'est par le moyen du rameau d'où l'on a tiré l'écusson, que les Curieux se communiquent d'un Royaume à l'autre les fruits les plus rares qui conservent leur espèce, en prenant une configuration analogue à la greffe et à l'arbre dont elle a été tirée ;  la sève est donc contrainte de passer dans un corps étranger et de produire la nouvelle espèce de la greffe en abandonnant la première qu'elle nourrissoit depuis long-tems. Il se forme autour de la greffe des racines fibreuses qui s'insinuent dans l'arbre qui porte cette greffe et qui s'étendent jusqu'en terre d'ou elle tire son aliment, ce qui fait que l'arbre greffé change la nature de son fruit en celle de l'arbre d'où la greffe a été tirée.
(Antoine-Joseph Dézalier d’Argenville, La théorie et la pratique du jardinage, 1709)

La greffe

lundi 14 mai 2012

Matignon, c’est aussi une histoire de Marquise 4 ...


Je ferai en sorte que l’on ne puisse y sentir aucune réminiscence des écoles françaises, italiennes ou anglaises, en bannissant tous les déjà vus, en accentuant le caractère topographique du cadre, mais toujours en harmonie avec le caractère de la maison.
(Achille Duchêne, Les jardins d’aujourd’hui, La vie à la campagne du 15 mars 1914)


Pierre Jahan - Parc de l'Hôtel de Matignon - Vue du premier étage - 1950




Anonyme -  Le parc de l'Hôtel de Matignon - 1958
 Benoît Deshayes, L'Internaute Magazine - Le Tapis vert aujourd'hui
Taille de forme horizontale et Marquise simple, le Bon Jardinier - 1947



1950! Le parc est restauré, on crée un Boulingrin, on restaure le portique en treillage ... On replante donc des tilleuls sur le Tapis Vert... quelques années plus tard l'alignement est à nouveau une Marquise … cette Marquise a t’elle quelque chose à voir avec celle de Duchêne? Au premier abord la réponse est oui … Sauf ! Qu’en 1950, on ne se souvient pas de l'intervention de Duchêne à Matignon... Pauvre Achille, on ne se souvenait déjà pas de lui à Vaux-le-Vicomte... Il faudra attendre la découverte des archives Duchêne pour enfin se rappeler de l'énorme créateur qu'il était... 
Si cette Marquise réapparait, c'est dû à une vision erronée des jardins réguliers et à cette sale manie de transformer les arbres en port libre vers un port en rideau ou comme ici en Marquise (Voir « Massacre en rideau » 24 avril 2012   ...)

D’ailleurs, la grande pelouse n'est plus cette mise en scène voulue par Duchêne ... aux parterres de lierre parsemés de fleurs blanches on préfère maintenant des parterres de toutes les couleurs sans se soucier d’une altération dans la lecture du jardin. Et puis, notez les proportions ...  celle de la statue de Pomone au fond du Tapis Vert, bien plus imposante que la Venus, l'axe en parait bien moins profond... Et les proportions de la Marquise? ... ils sont bien petits ces arbres, là aussi, les proportions ont tendance à s'inverser, ... plus on avance dans le temps plus les arbres rapetissent … si bien que l'on se demande si cette Marquise ne va pas se transformer en un taille en forme horizontale ….

vendredi 11 mai 2012

Matignon, c’est aussi une histoire de Marquise 3 …


Je traiterais le jardin avec toute la fantaisie possible.
(Achille Duchêne, Les jardins d’aujourd’hui, La vie à la campagne du 15 mars 1914)


Charles Lansiaux - Vue de l'ambassade d'Autriche-Hongrie ( Matignon) - 1908
L'Illustration -  24 novembre 1934 - Photographie E. Granjean


René Jacques - Le parc de l'Hôtel de Matignon - 1945
L'alignement est en port libre, les bosquets sous les arbres n'existent plus, la mise en scène d'Achille Duchêne a disparu





Sur cette photographie de Charles Lansiaux en 1908, on constate que la tentative de sauvetage des arbres a échouée, des jeunes tilleuls sont replantés … 6 ans plus tard, en août 1914 la guerre commence. L’ambassadeur d’Autrice-Hongrie quittera son hôtel  et en confiera l’entretien à l’ambassade des États-Unis encore neutre. Après de multiples évènements, l’hôtel deviendra possession de la France. Celle-ci y installera la présidence du conseil en 1934. L’hôtel reprend son nom d’origine : "Hôtel de Matignon" L’alignement, quant à lui, est redevenu "libre"  La Marquise n’a pu être formée  …

 Après la deuxième guerre mondiale, toute la mise en scène de Duchêne a disparu… Il faudra attendre les années 1950 pour que le parc soit restauré, il aura connu un abandon d’une trentaine d’années … à suivre

jeudi 10 mai 2012

Matignon, c’est aussi une histoire de Marquise 2…


Quand je le pourrais, je me contenterais d’ordonner la nature.
(Achille Duchêne, Les jardins d’aujourd’hui, La vie à la campagne du 15 mars 1914)



Paul de la Tour - Parc de l'ambassade d'Autriche-Hongrie (Matignon) - 8 décembre 1904- 
Alignement en port libre
Eugène Atget - Parc de l'ambassade d'Autriche-Hongrie (Matignon) - Le Tapis Vert -1905
Transformation de l'alignement en Marquise




Eugène Atget - Parc de l'ambassade d'Autriche-Hongrie (Matignon) - Le Tapis Vert -1905
Les proportions (détail)
Eugène Atget - Parc de l'ambassade d'Autriche-Hongrie (Matignon) - Le Tapis Vert -1905
Le câble (détail)

Eugène Atget - Parc de l'ambassade d'Autriche-Hongrie (Matignon) - La Grande Pelouse et le Tapis Vert -1905

L’ambassadeur d’Autrice-Hongrie arrive à Matignon en décembre 1889. Il entamera une série de travaux dans l’Hôtel puis dans le parc où interviendra Achille Duchêne de 1904 à 1908. La petite phrase de Duchêne plus haut en dit beaucoup sur l’état d’esprit du bonhomme … ne pas tout chambouler, intervenir juste ce qu’il faut pour rendre le jardin cohérent … bref ! Comprendre le lieu et aller à l’essentiel … le vrai talent.
Ici à Matignon, Achille Duchêne travaille l’existant, il transforme l’alignement en une Marquise. Pour cela, il conserve les tilleuls en place, il les taille fortement pour obtenir des proportions de type 2/5e pour 3/5e. Il sait que cet axe qu’on appelle le Tapis vert, est l’élément principal du parc. Tout son travail dans le jardin et notamment sur la Grande pelouse sera une mise en scène de cet axe. Fidèle à sa pensée, il se contente d’ordonner le jardin … J’ai zoomé sur un câble … il est intéressant ce câble! Veut-il sauver ou bien redresser un arbre ? Je ne sais pas exactement mais il apparait évident que l’effet souhaité dépend aussi de la survie ce premier arbre … à suivre