vendredi 28 septembre 2012

J'ai vu Liancourt ...

Sans doute l'histoire des jardins est-elle particulièrement marquée par la notion d'ordre. C'est au jardin — au jardin seulement — que la nature est donnée à lire suivant un ordre particulier. Ailleurs, dans le paysage agricole, la nature est contredite de façon radicale. Et si le paysage n'est pas agricole on dit qu'il est sauvage, ce qui exclut la notion d'ordre. L'ordre du jardin est visuel. Il est saisissable par la forme. Le vocabulaire qui s'y rat­tache est très précis : bordures, haies, parterres, allées, marquises', etc., il vise à désolida­riser les éléments qui, dans la nature, se chevauchent confusément. Ainsi, l'ordre est-il en même temps une apparence, un contour des formes, une surface ou une architecture. Tout ce qui s'en éloigne est désordre. D'où les techniques de maintien de cet ordre : taille, tonte, élagage, désherbage, tuteurage, palissage, etc. Tout se passe comme si, jusqu'à présent, l'ordre avait été perçu seulement par l'extérieur des phénomènes — leur aspect — et comme si celui-ci ne devait jamais changer.
(Gilles Clément, Le jardin en mouvement, 1994)

Le parterre et les reste des deux bassins 
de Liancourt et son environnement
Les restes du bassin 18e siècle
Les restes du bassin 17e siècle détruit au 18e
Passe-pied en brique et banquette de gazon .... et interprétation
Après le déchaînement de mail pour sauver le jardin 17e siècle de Liancourt, j'ai décidé d'aller voir ... et comme disait quelqu'un de bien moins célèbre que moi ... vidi ... J'avais dormi à Liancourt, dans l'hôtel juste en face et je ne me souvenais pas d'avoir vu ne serait-ce qu'une particule de jardin ... Oui, je sais sur Google on voit des trucs ... mais sur place nenni ... Alors pourquoi ce déchaînement de mails pour sauver un Liancourt qui n'existe plus ? Surtout qu'il était prévu à la place du parterre (et non du jardin) .... Un jardin ... décidément il y a des trucs que je ne comprends pas. Sur place, bien sur, c'est intéressant ... c'est toujours intéressant des fouilles archéo ...  des questions pas beaucoup de réponse ...un bonheur ... Comme ce passe-pied en brique avec banquette présumée en gazon bordant une sorte de berceau ... drôle de conception ... Le bassin 17e est surprenant, il a plus l'allure d'un bassin 16e comme quoi on a encore beaucoup de travail ... et les restes de Liancourt méritent d'être étudiés intelligement ... 
Ceux qui iront voir sur place regarderont l’environnement, regarderont ce qui reste du jardin, ce qu’est devenu le jardin et trouveront peut être normal que la commune souhaite un jardin de notre temps avec des usages de notre époque… parce que franchement, je ne vois pas quoi restituer ; quoi restaurer ; quoi faire à part un jardin contemporain … Un copier/coller du plan historique? ah oui ! bonne idée ! je n'y avais pas pensé ... 

jeudi 27 septembre 2012

Et les autres ...


Vous êtes bien pessimiste dans l'avenir de l'humanité ... 
(Lionel Jospin s'adressant à moi, 1997)
Plantation de l'Orme Jospin
Pas grand-chose à dire sur les autres plantations, je dirais que la tradition telle qu’on la connait a réellement débuté avec Rocard, je me souviens d'Edouard Balladur avec un sourire malicieux  faisant piocher les membres importants de son cabinet et ponctuant d’un "pas fameux " … Mais celui qui m’a le plus étonné est Lionel Jospin avec son clone 742 de l’INRA … un Orme résistant à la graphiose (j’en ai parlé) avec Jospin il faut du solide, du symbole, du politique… et une bonne idée ...  C'était une idée magnifique mais aussi  une belle petite aventure que nous avons eue avec le responsable des pathologies forestières de l’INRA Nancy. Nous voilà,  lui, devant fournir un arbre élevé pour subir des tests et inoculations du Graphiums ulmi et moi héritant d’un arbre affreux et quasiment in-transplantable … En fait ce clone 742 est devenu l’Orme Vada … et mon collègue de l’INRA me disait que celui de Jospin avait été le premier à être planté dans un jardin … pas mal non ! Être le premier à planter une nouvelle variété … je parle de Jospin pas de moi … Mais cette histoire ne s’arrête pas là ... j’ai eu la chance et l’honneur de faire visiter le parc de Matignon à Mireille Jospin, la mère de Lionel, ce n’est rien de dire que c’était une femme admirable mais avec elle, il y avait quelque chose de pas ordinaire à Matignon … Elle ne  parlait pas du premier ministre elle parlait de son fils … et nous voilà arrivé devant le fameux orme. A coté des autres arbres de premier ministre il faisait un peu rachitique et cela n’a pas échappé à Mireille Jospin qui me dit "Mais pourquoi celui de mon fils est tout petit ?"

mercredi 26 septembre 2012

Le chêne de Pierre Mauroy ...


Le curé de chez nous, petit saint besogneux,
Doute que sa fumée s'élève jusqu'à Dieu.
Qu'est-ce qu'il en sait, le bougre, et qui donc lui a dit
Qu'y a pas de chêne en paradis ?
(Georges Brassens, Le Grand Chêne, 1966)


Le chêne de Hongrie
Mais cette tradition c’est quoi … quand un Premier ministre est nommé, 6 mois après on lui plante un arbre … un choix et un emplacement sont proposés au cabinet … du moins c’était comme ça jusqu’à Jospin … L’arbre de Pierre Mauroy n’entre pas dans ce schéma … Nous avions appris un beau jour de mai 1983 que le premier ministre souhaitait planter un arbre dans le parc de Matignon pour commémorer les deux ans de la gauche … je ne sais plus comment cela s’est passé pour le choix de l’arbre … un chêne de Hongrie ( Quercus frainetto). En revanche je me souviens très bien que nous avions profité de la mort d’un très vieux robinier pour le choix de l’emplacement… et donc … la date d’inauguration de l’arbre fêtant les 2 ans de la gauche est fixée au 22 mai ... ou le 21 … peu importe … ce qui est intéressant, c’est la période … planter un gros chêne de 6 mètres de haut en feuille fin mai est le suicide annoncé du jardinier … aucune chance de reprise, je me souviens aussi qu’il faisait très chaud … Bref ! La totale. Si bien qu’une semaine après l’arbre séchait … le pauvre vieux connaissait une reprise difficile… Nous sommes donc intervenus en diminuant d'un tiers le houppier et en utilisant des anti-transpirants … Et après une lutte acharnée (je n'exagère pas) il finit par repartir. Nous l’aimions bien cet arbre, il était notre protégé … mais quand c’est mal parti, c’est mal parti. Matignon a un sol calcaire, et le chêne n’aime pas … Nous avons rapidement commencé à le voir se « chloroser » je me souviens de traitements désespérés pour essayer d’inverser les choses … Quelques années après avoir quitté Matignon et n’être jamais repassé, je profite d’une visite pour retourner voir ce cher jardin … me promettant de rester plus que discret ... Je suis tranquillement la troupe, repère quelques vieux copains que j’ai côtoyé pendant plusieurs années notamment cet arbre de Judée que j’ai sauvé d’un abattage et que je soupçonne être un reste de palissade du 18e siècle … et la!! tout à coup!! le chêne de Mauroy n'est plus là … C’est plus fort que moi je hurle « Merde !! le chêne de Mauroy ??? » On me prend à part, comme une personne endeuillée, on m’explique en chuchotant qu’effectivement son état s’était empiré, que malgré tous les efforts et les soins, les jardiniers n’ont pas pu le sauver, il est mort il y a peu de temps … Ajoutant que Pierre Mauroy avait été prévenu... Une bien triste histoire ...
L'arbre de Judée

mardi 25 septembre 2012

Ainsi naquît la tradition …

La mise en place d'un arbre peut demander des opérations multiples dont l'exécution doit être d’autant plus soignée que l'arbre est plus âgé, plus coûteux et la plantation plus tardive.
Le souci de planter un arbre à la profondeur convenable doit être prédominant. Son avenir en dépend. Il faut éviter l’affranchissement des arbres greffés en pied pour garder une vigueur constante. La taille de plantation n'accepte pas de mesures précises ; elle s'efforce de réaliser un équilibre fonctionnel et repose sur la valeur active momentanée de l'appareil radiculaire.
(Léon Cuny, Le bon jardinier, 1947)
Les travaux de plantation - arboriculture fruitière

Je vais vous raconter un haut fait de l'histoire des jardins ... La vraie histoire de la plantation des arbres des premiers ministres dans le parc de Matignon … je commence par celui de Raymond Barre …  début d’un drôle de bazar qu’on a eu rapidement fait d’appeler « une tradition » … Témoignage rarissime en histoire des jardins, un des acteurs est encore vivant … Moi ! J’y étais, pas bien vieux certes mais bien présent.
Un jour de l’année 1978 on apprend que des enfants canadiens vont offrir un arbre au premier ministre …
A la question : quelle variété, quelle force, quel emplacement ? Pas de réponse … le jardinier chef de l’époque avec d’autres personnes déterminent un endroit sur la grande pelouse (un vide) bien visible du bureau du PM … comme on ne connait pas la grosseur de l'arbre, on anticipe ...  Avec, un autre jardinier nous creusons une fosse de 4 m3, (2x2x1) on évacue la terre à la brouette vers une décharge situé à 150m du lieu de plantation… un vrai bonheur de petite journée … « C’est un érable »  nous informe triomphalement un fonctionnaire de l’Hôtel … quelle variété ? Quelle grosseur ? pas de réponse … En attendant, une nouvelle terre est arrivée par camion … les mêmes bouchent le trou laissant une fosse ouverte de 1m sur 1m pour accueillir notre futur ami canadien …  La cérémonie approche … « Il ne serait pas très gros » nous rapporte prudemment ce même fonctionnaire … La tension monte … le fonctionnaire nous calmera en disant cette phrase magnifique qui restera «hé!! on aura fait le maximum » Certes … La fosse est réduite à 50cm sur 50cm … on attend … le fonctionnaire revient … un peu gêné .. « j’ai vu l’arbre, il est grand comme ça » en faisant avec les mains … C’est un jeune plant d’Acer saccharum de 30 cm … Les mêmes rebouchent complètement le trou, re-plaquent le gazon pour laisser un petit carré de terre avec un transplantoir bien nettoyé dans un seau avec un peu de terre … La cérémonie se déroule, reste en place un petit bâtonnet dépassant au milieu d’une grande pelouse … il restera un an ou deux à cet endroit et sera transplanté par la suite dans un bosquet un peu plus loin… restera également une fosse de 4m3 de bonne terre au milieu de la grande pelouse qui devrait quelque peu perturber un archéologue si jamais il fouille dans ce coin.
Ainsi naquît la tradition … 

lundi 24 septembre 2012

Le jardinier est fou ...

Je ne suis qu'un fou, un fou d'amour
Un pauvre fou qui meurt
Qui meurt d'amour
 (Gilles Thibaut/ Johnny Hallyday, Requiem pour un fou, 1976)

Le parc de Champs après la tempête de 1999. Le jardinier est mort de maladie 8 mois après.  
Longtemps je me suis levé de bonheur … la journée du jardinier commence tôt … Mais pourquoi bon dieu le jardinier se lève si tôt ? … Pour arroser ? Biner ? Sarcler ? C’est mal le connaitre … la raison est simple …  le jardinier se lève tôt pour être le premier sur son territoire. Etre là avant les simples mortels est la première tâche du matin … A Matignon, il y avait un jardinier qui tous les matins traversait la grande pelouse pour rejoindre l’Hôtel, histoire de rappeler qui était le maitre des lieux … un beau jour, un nouveau gendarme à osé, à lui le jardinier, dire que les pelouses étaient interdites … Tout en continuant, le jardinier un sourire poli et ô combien méprisant répondait "Vous êtes au jardin, moi, je suis du jardin"… (Le jardinier rêve-t-il aussi d’un blason ?) Mais il ne suffit pas d’arriver tôt et de traverser une pelouse pour être « du jardin » il faut donner une âme, son âme au jardin pour en être l’interprète de ses moindres désirs … une sorte de messager autorisé à parler de lui à l’autre monde des vivants … mais le jardinier ne parle pas, il garde pour lui les secrets du jardin … on dit alors qu’il est bourru voire paranoïaque… Le jardinier est-il une mémoire amnésique du lieu … ? Loin de là, sa mémoire est bonne … 

jeudi 13 septembre 2012

Traces non passagères ...




(Hergé, On a marché sur la lune,1954)


Les trois états importants du parc de l'Hôtel de Matignon
Permanence des axes de circulation

Permanence des unités paysagères
Permanence des parcours évidents du jardin
 Les paysagistes utilisent les traces de composition pour créer leur nouveau jardin. Il apparait, comme ici à Matignon, que depuis le 18e siècle si le style change, le fonctionnement du jardin reste le même.
Prenons les axes de circulation, les masses boisées, les unités paysagères … l'organisation générale ... tout cela est identique sauf le style. Mais quand le promeneur du 18e siècle où celui du 21e siècle arpente le jardin, il est évident qu'il ne perçoit pas le même jardin … quel rapport entre un parterre de broderie et la grande pelouse actuelle... ? Et pourtant, on constate sur place, que le promeneur du 21e siècle (autorisé) descendra les marches de la terrasse, empruntera le grand axe au travers de la grande pelouse, arrivé à l'extrémité de celle-ci, il aura le choix entre les trois parcours … comme au 18e siècle... L'axe est à la fois dématérialisé et toujours présent ... 

mercredi 12 septembre 2012

On ne parle pas assez de Calder ...

Above all, i feel art should be happy an not lugubrious.
(Alexander Calder, Lettre à Nanette, 1964)

Alexander Calder - Mobile de pocheCadeau pour les cinquante ans de Louisa - 1955

Alexander Calder, Ferme et autres, 1940
Alexander Calder, 1967
On ne parle pas assez de Calder ... pourtant qu'est-ce que c'est bien !! il est le type même d'artiste qui a manqué et qui manque toujours à l'art des jardins ... on n'a pas l'équivalent d'un Calder ... un type doté d'une poésie, d'un imaginaire joyeux sans limite  ... Avant tout, l'art doit être toujours joyeux jamais lugubre ... qu'attendre d'autre d'un type qui s'amuse à construire des mobiles de poche ??? Miro lui écrivit en 1961 " Mon vieux Sandy, ce costaud à l'âme de rossignol qui souffle des mobiles, ce rossignol qui pose son nid à ses mobiles; ces mobile frottent l'écorce de la sphère de couleur orange où habite mon grand ami Sandy". 

mardi 11 septembre 2012

Back to Matignon ….

Un homme sort de chez lui
C'est très tôt le matin
C'est un homme qui est triste
Cela se voit à sa figure
Soudain dans une boîte à ordures
Il voit un vieux Bottin Mondain
Quand on est triste on passe le temps
Et l'homme prend le Bottin
Le secoue un peu et le feuillette machinalement
Les choses sont comme elles sont
Cet homme si triste est triste parce qu'il s'appelle Ducon
Et il feuillette
Et continue à feuilleter
Et il s'arrête
A la page des D
Et il regarde à la colonne des D-U du...
Et son regard d'homme triste devient plus gai plus clair
Personne
Vraiment personne ne porte le même nom
Je suis le seul Ducon
Dit-il entre ses dents
Et il jette le livre s'époussette les mains
Et poursuit fièrement son petit bonhomme de chemin.
(Jacques Prévert, Quelqu'un, ?)


Jacques Chaban Delmas

Hôtel de Tingry, Hôtel de Matignon, Hôtel du Duc de Valentinois, Hôtel de Monaco, Hôtel du Prince de Bénévent, Hôtel de Galliera, Ambassade d’Autriche-Hongrie, Ancien Hôtel de Monaco,  … et Enfin « Matignon » … tous ces noms pour un même lieu traduisent une histoire mouvementée et nous renseignent sur les propriétaires … je vous en avais parlé …
A Matignon, il y a une rupture entre 1914 et disons 1945 … Cette rupture fera que les jardiniers (et uniquement eux) vont, en fonction des usages, des végétaux, de l’architecture du jardin nommer les différents espaces  … D’abord il y a les vrais noms de jardin : Boulingrin, Tapis Vert… Un Sophora pleureur donnera son nom à une pelouse et à une allée alors que le Tulipier, pourtant sur la même pelouse que le Sophora , ne se contentera que d’une allée … etc. Trois toponymes méritent qu’on s’y arrête.
L’Allée des Peintres : C’est très amusant, le visiteur reliera systématiquement le mot « peintre » à « artiste peintre » … et l’on peut très nettement voir son esprit vagabonder imaginant une foule de peintres peignant le parc de Matignon … en fait (et je suis désolé, croyez moi) cette allée était régulièrement employée par une équipe de peintres en bâtiment qui avait son atelier au bout de cette allée … et deux à trois fois par jour les peintres la descendaient ou la remontaient pour vaquer à leurs occupations.
Le Rond du feu : Appellation étonnante, le Rond étant un nom utilisé en Grand parc ou espace forestier … Ce Rond là est minuscule, d’ailleurs il serait intéressant d’enquêter et de se demander si ce n’est pas le plus petit Rond du monde … les jardiniers l’appellent (l’appelaient ?) le Rond du feu parce que c’était l’endroit ou ils brulaient les produits de la taille des arbustes … jusque dans le milieu des années 80 … Difficile à imaginer maintenant … Je me souviens d’une colonne de fumée traversant le parc et enveloppant l’Hôtel …
Mais le plus intéressant pour le chercheur est la Pelouse du Tennis. Un jour, je demande à un jardinier « mémoire du lieu » ou ce trouvait ce fameux tennis. Il me répond qu’il n’y en a jamais eu, seulement un projet sur cette pelouse lors du passage à Matignon de Jacques Chaban Delmas voulant parait-il un tennis … Bien plus tard en effectuant des recherches, je peux lire que L’Autriche-Hongrie confia pendant la guerre 14/18 l’entretien de son Ambassade à celle des Etats-Unis … il était également précisé « l’entretien du terrain de tennis », où était-il … ? Mystère...

lundi 10 septembre 2012

Dernier tour en Corse ...

Je veux dire d'abord un mot sur les cultures courantes dans le Niolo. Ce sont celles des autres régions de la Corse d'une altitude analogue: Le canton étant jadis isolé du reste de l’ile devait se suffire à lui-même. Certes les habitants étaient sobres, de nourriture et de boisson, ils le sont encore aujourd'hui. Encore leur fallait-il assurer leur existence.
Ils semaient donc du blé et surtout du seigle jusqu'à une altitude assez élevée. Il n'est pas rare de rencontrer d'anciennes aires à battre à 15oo et 1600 mètres d'altitude, près des bergeries de la montagne. Mais, depuis la construction de la route, les habitudes ont changé. On ne laboure plus aujourd'hui que dans les environs immédiats des villages.
Parmi les cultures caractéristiques, il faut citer le lin et le tabac. La fabrication de la toile a presque entièrement disparu, mais de vieilles femmes ayant gardé les habitudes d'antan persistent à filer et à tisser, en particulier de la grosse toile pour faire des sacs et des couvertures. C'est dire que tous les ans, dans les villages on fait encore un peu de lin.
Quant au tabac, il s'agit de ce qu'on appelle l'herba corsa, dont l'odeur est caractéristique. On le cultive beaucoup dans le Niolo. La saison venue, les grandes feuilles sont étendues par terre à sécher au soleil, et aussi à la poussière.
Il y a dans le canton beaucoup de châtaigniers et l'on en plante de plus en plus. Jadis leur nombre était assez limité, mais, à l'inverse du blé et du seigle, depuis la construction de la route, le châtaignier se multiplie. Il pousse beaucoup moins rapidement que dans la Castagniccia et, sauf à Sidossi et Casamaccioli et les endroits bien abrités et bien exposés, il est loin d'atteindre la grosseur qu'on lui voit dans les autres régions de l'île.
On cultive dans le Niolo les légumes et les fruits les plus classiques, ceux des pays tempérés à cause de l'altitude. On trouve dans les jardins les haricots, petits pois, choux-fleurs; tomates, artichauts, etc. Les haricots de Calacuccia sont justement célèbres dans toute la Corse par leur grosseur et leur finesse. Quelques amandiers rappellent que le Niolo est dans une situation méridionale.
On rencontre de la vigne dans tout le canton, même à Calasima (1100m) Ce n'est pas que le raisin mûrisse complètement, surtout dans ce dernier village. On peut même dire qu'il en est rarement ainsi, mais les vignerons soigneux obtiennent un excellent vin de table. Le cépage le plus répandu est le rafaglione, qui donne un gros raisin rouge assez abondant. Mais dans les vignes il se trouve toujours quelques pieds de muscat et de malvoisie. A la récolte, qui n'a guère lieu avant le 10 ou 15 octobre, les grappes sont déposées pêle-mêle dans les paniers sans distinction de blanc ou de rouge, de muscat ou de rafaglione et les paniers versés dans la cuve. Dans le Niolo, comme dans beaucoup de villages corses, on foule encore le raisin avec les pieds.
(Charles de la Morandière, Le Niolo, 1933)


Aire à battre

Ciuttulu di i Mori

Ponte Muricciolu

Cima a i Mori

"Ainsi, quand tout est détruit ou même seulement transformé par le travail de l'homme,  ce qu'il reste d'un lieu, c'est sa partie immatérielle, la plus dure à faire disparaître, son nom." nous dit Marie-Eugène Héraud. 
Dans la très haute vallée du Niolo, région de Corse où Saint-Martin luttait farouchement contre le diable … certains toponymes nous rappellent la présence des Maures : Ponte Muricciolu, Cima a i Mori, Ciuttulu di Moriet c’est bien étonnant … Non seulement, leur présence doit remonter à plus d’un millénaire mais la région fût anéantie en 1503 par Gênes et le célèbre génocidaire Nicolas Doria … les récoltes et la forêt brulées, les villages rasés, les habitants tués où déportés … On dit que le Niolo resta une centaine d’années désertique … On ne se souvient pas des Maures au Niolo et pour cause … Comment les noms de lieu ont-ils perduré sachant que la transmission était orale ? Je ne sais pas .... Dans son ouvrage, notre randonneur amoureux du Niolo Charles de la Morandière, nous rappelle la complexité de la toponymie corse « Rien de plus difficile que de faire préciser l'appellation d'un point quelconque. Les bergers donnent en général à un ruisseau le nom du lieu qu'il traverse. Par conséquent, ce ruisseau prend successivement autant de noms qu'il traverse de lieux dits. C'est ainsi que le Rudda, beau torrent cependant, s'appelle le Laccia lorsqu'il se jette dans le Golo. D'un autre côté, des bergers m'ont donné des noms différents pour tel rocher ou tel endroit. Enfin il est fort difficile d'appliquer une orthographe précise à un nom qui n'a jamais été écrit... Et pourtant ... 




vendredi 7 septembre 2012

Huile d'olive ...

Même imperfection dans la culture des oliviers et la méthode de faire l'huile. Mêmes espoirs, plus grands encore, lorsque les améliorations désirables seront introduites. Car cet arbre est un des principaux revenus de l'île. Il constitue la richesse de la Balagne, l'opulente et « oléfiante » Balagne, dont les habitants, dit le proverbe, sont oints d'huile . Mais il y a des oliviers encore dans le Nebbio et clans le Cap, à Bastia et dans la Casinca, sur les coteaux- qui surplombent. la côte orientale. Il n'y a qu'à parcourir la province de Sartène pour être frappé des ressources qu'elle présente « elle renferme peut-être 20.000 oliviers sauvages qui, dans dix ou douze ans au pis aller, feraient un revenu annuel au moins de 40,000 Livres en évaluant à 40 sols seulement année commune le produit net de chaque pied d'arbre ». Vraiment « la Corse semble être la patrie de l'olivier, tant il y croît et s'y multiplie avec facilité... ; point de village, s'il n'est trop élevé dans la montagne, qui ne soit entouré de ses plantations : il est d'ailleurs beaucoup plus grand et plus robuste qu'en France » . Mais que font les Corses pour se montrer dignes de ce bienfait de la nature ? Rien, absolument rien. Leurs oliviers ne sont « ni greffés, ni entretenus, ni taillés, ni cultivés »: capables de produire presque sans secours une fois qu'ils ont reçu la première culture, ces arbres favorisent à merveille l'indifférence des Corses qui ne voient pas au delà de « la jouissance prochaine » .  On prétend que ce fut un gouverneur génois qui, à force de constance et même de châtiments, les « força » de greffer ceux de la Balagne. Les États de 1781 demandent dix sols de gratification « pour chaque olivier qu'on aurait greffé et par chaque olivier planté et qui aurait poussé deux années de suite, lorsqu'il y en aura eu au moins vingt » : le roi accorde (23 mars 1785). Si la pratique de la greffe se répand, la culture de l'olivier reste dans l'enfance. « Point d'engrais, point de labour au pied de l'arbre, qui permettent aux eaux de pluie de s'infiltrer à travers les terres et d'humecter les racines. Elles sont couvertes d'une croûte dure et impénétrable, telle que la sécheresse et la privation totale de culture ne peuvent manquer de la former» Rien ne nuit davantage au rendement et nos officiers, contemplant cette paresse, s'indignent. « Les Corses ne pourraient-ils au moins, remarque l'officier de Picardie, cultiver le pied de chaque olivier et en arracher les broussailles et les grosses herbes qui ne peuvent que diminuer leur nourriture ? » Car, malgré leur grosseur et leur vigueur, « ces arbres ne produisent presque rien en comparaison de ceux de la Provence » et « l'olive n'est communément pas plus grosse qu'un gros noyau de cerise ». Quant à la cueillette, elle présente un des aspects de cette économie destructive ( feu) que nous avons déjà eu l'occasion de signaler : on abat les olives en janvier et février ; mais la plupart du temps on les laisse sécher à terre sans les ramasser. « J'en demandai la raison, écrit notre officier ; on me répondit qu'il faudrait payer des femmes ou des enfants sur le pied de 20 sols par tête, tandis que les plus laborieux ne pouvaient en ramasser que pour la valeur de 12 sols. » Les olives, recueillies à différentes époques, sont entassées dans les greniers où elles s’échauffent  et elles « ne sont mises sous le moulin que lorsque la plus grande partie tombe déjà en putréfaction ». De là  le « goût âcre » et la « saveur forte » qui « repoussent » cette huile de nos tables. Mais il serait aisé d'améliorer cette situation et le gouvernement encouragea toutes les tentatives M. Thiery, directeur des vivres, ayant loué un verger d'oliviers aux portes de Bastia, fit soigner ces arbres comme en France et fabriquer l'huile avec les mêmes précautions : elle différait de bien peu de celle de France; encore s'agissait-il d'oliviers qui n'étaient pas greffés. Le mot d'ordre fut d'adopter « la méthode de Provence » et c'est celle que suivit le sieur Bertrand qui installa, en 1781, une huilerie à la provençale et reçut de ce fait une gratification de 3.000 livres. Le gouvernement envisagea un dernier moyen pour perfectionner la culture de l'olivier, qui serait d'établir à Bastia ou à Calvi des manufactures de savon. « On objectera peut-être, remarque l'abbé Gaudin, le tort que les manufactures de Marseille recevraient d'un pareil établissement...

 (Louis Villat, La Corse de 1768 à 1789, 1925)



Le couvent de Corbara, quelques oliviers et des traces d'anciennes cultures.


Le colon cherche  à reproduire ses propres techniques dans le pays qu’il vient de conquérir …  En général, et nous le voyons bien ici, il n’est pas tendre et un tantinet arrogant … mais c’est un autre sujet... Nous retrouvons régulièrement ce type de comportement dans les jardins anciens … intervenir sans vouloir comprendre le passé, les usages, les techniques … Je vous donne un exemple que je trouve intéressant : la taille de l’Hibiscus syriacus. Savez vous que l’on ne pratique pas la même taille aux domaines de Versailles, de Compiègne et de Saint-Cloud … Trois anciens domaines de la couronne et pourtant trois techniques différentes …  en deux mots : Versailles ne laisse qu’un rameau secondaire et le taille court, Saint-Cloud laisse quasiment tous les rameaux secondaires qui sont taillés sévèrement, Compiègne ne s’embête pas, il recèpe … ne vous emballez pas, les trois techniques se valent … il y a peu de différence de résultat et il fallait être bien tordu pour noter ce détail … Je rappelle également qu’on est pas obligé de les tailler … Pourquoi ces tailles sont différentes … ? La raison est historique et assez simple, ces trois domaines recevaient des plantes exotiques et ils ont, chacun de leur coté, évolué techniquement différemment … on reconnaitra avec beaucoup de sympathie la taille forestière pratiquée par Compiègne …   le rapport avec  les oliviers … j’y arrive, mais tout d’abord,  notez qu’il est tout de même incroyable que cela soit parvenu jusqu’à nos jours… Vous conviendrez qu’il est préférable que ces trois domaines conservent leur particularité, surtout que cette particularité de gestion se retrouve dans d’autres techniques,  d’autres usages … ( la gestion de l’orangerie par exemple) Conserver les usages et les techniques dans un jardin évite cette banalisation que l’on retrouve malheureusement ailleurs … Il apparait également important qu’un nouveau propriétaire ou gestionnaire comprenne et s’adapte à ces usages, ces techniques … le rapport avec l’huile d’olive corse qui doit ressembler à l’huile provençale ? Non vraiment, je ne vois pas … mais pas du tout …



mercredi 5 septembre 2012

Les traces de jardin …

Un jardin paysager d'envergure doit, à mon sens, être fondé sur une idée de base. Il doit par conséquent,  si l'on désire en faire une œuvre d'art accomplie, être ébauché et achevé, autant qu'il est possible, par une seule et unique main directrice. Ce concepteur unique est en droit et se doit d'utiliser les idées de beaucoup d'autres personnes, mais lui seul doit le façonner en un Tout dans son esprit, afin que ne se perde pas le cachet, reconnaissable entre tous, de l'individualité et de l'unité. Que l'on me comprenne bien toutefois : l'ensemble, dis-je, doit être fondé sur une idée de base; il ne saurait être question d'un travail confus effectué au hasard. L'idée directrice, créatrice, doit au contraire se reconnaître dans tous les détails. Celle-ci peut fort bien naître de la situation particulière de l'artiste ou de l'histoire ancienne de sa famille: elle peut tout aussi bien être déterminée par le lieu qu'il trouve. Mais je n'exige toutefois en aucune façon que l'on conçoive par avance dans les moindres détails le plan exact de l'exécution puis que l'on s'y tienne strictement. D'un certain point de vue, c'est même le contraire que je recommande. En effet, si les grandes lignes de l'ensemble sont par avance déterminées par l'idée, l'artiste doit continuellement, au cours de la réalisation s'en remettre de façon naturelle à ce que lui inspire son imagination, trouver fréquemment du nouveau, continuer à étudier sa matière en création - ce qui signifie notamment. Ici, observer la nature brute qui se présente à lui sous divers éclairages 
(Hermann von Pückler-Muskau, Instruction à propos du jardinisme paysagiste, 1834)

Le parc paysager de Verderonne au début du 20e siècle

Le jardin régulier en 1821

Cadastre 1821, supperposition des tracés régulier et irrégulier
Le jardin aujourd'hui

Les traces du jardin régulier, de gauche à droite : d'une ancienne allée maintenant partie boisée, d'un groupe de platanes anciennement grande allée, d'un groupe d'arbres issu d'un bosquet.

C’est la chose qui me passionne le plus … rechercher dans un jardin des traces anciennes de composition. Comment les paysagistes ont utilisé un ancien dessin pour en créer un autre. Ici, à Verderonne, on ne peut pas parler de réutilisation ...  le jardin paysager s’est installé sur un jardin régulier … mais tout est encore en place … troublant d’ailleurs … par moment on imagine être en présence d’une ancienne lisière alors que nous sommes dans une anciennes allées … On a la certitude que le groupe d’arbres est création datant du jardin paysager alors que c'est le reste d’un ancien bosquet régulier … Bref! on y perd un peu son latin .... A Verderonne nous n'avons pas un jardin qui a succédé à un autre … nous avons deux jardins : un régulier et un irrégulier … entremêlés … mais sans jamais être régulier ni mixte ... je vous le disais, on y perd son latin ...

mardi 4 septembre 2012

Récréation ...


A l'école où nous avons appris l'A B C
La maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il fut doux le temps, bien éphémère, hélas.
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
Régna sur notre classe.

Avant elle, nous étions tous des paresseux,
Des lève-nez, des cancres, des crétins crasseux.
En travaillant exclusivement que pour nous,
Les marchands de bonnets d'âne étaient sur les genoux,
Étaient sur les genoux.

La maîtresse avait des méthodes avancées:
Au premier de la classe elle promit un baiser,
Un baiser pour de bon, un baiser libertin,
Un baiser sur la bouche, enfin bref, un patin,
Enfin bref, un patin.

Aux pupitres alors, quelque chose changea,
L'école buissonnière eut plus jamais un chat.
Et les pauvres marchands de bonnets d'âne, crac!
Connurent tout à coup la faillite, le krach,
La faillite, le krach.

Lorsque le proviseur, à la fin de l'année,
Nous lut les résultats, il fut bien étonné.
La maîtresse, elle, rougit comme un coquelicot,
Car nous étions tous prix d'excellence ex-aequo,
D'excellence ex-aequo.

A la récréation, la bonne fée se mit
En devoir de tenir ce qu'elle avait promis.
Et comme elle embrassa quarante lauréats,
Jusqu'à une heure indue la séance dura,
La séance dura.

Ce système bien sûr ne fut jamais admis
Par l'imbécile alors recteur d'académie.
De l'école, en dépit de son beau palmarès,
On chassa pour toujours notre chère maîtresse,
Notre chère maîtresse.

La cancre fit alors sa réapparition,
Le fort en thème est redevenu l'exception.
A la fin de l'année suivante, quel fiasco!
Nous étions tous derniers de la classe ex-aequo,
De la classe ex-aequo!

A l'école où nous avons appris l'A B C
La maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il fut doux le temps bien éphémère, hélas!
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
Régna sur notre classe.

(Georges Brassens, La Maitresse D'École, ?)

Etablissement scolaire " Brick Glass" Hibbing, Minnesota, USA, 1935

lundi 3 septembre 2012

Septembre ...

A sa manière, - du point de vue du jardinier - septembre est un mois béni et excellent; non seulement parce que c'est le mois des asters d'automne et des chrysanthèmes d'Inde, non seulement à cause de vous, dahlias lourds et écrasants : sachez, gens incrédules, que septembre est le mois d'élection de tout ce qui fleurit pour la seconde fois, c'est le mois de la seconde floraison, le mois du cep mûrissant. Tout cela, ce sont les privilèges mystérieux du mois de septembre, pleins d'une signification profonde. Pardessus tout cela, septembre est le mois où la terre s'ouvre de nouveau, de sorte que nous pouvons de nouveau planter. Il faut maintenant mettre en terre tout ce qui doit être planté pour le printemps, ce qui nous fournit à nous, jardiniers, l'occasion de courir chez les marchands, pour regarder leurs cultures et choisir des trésors pour le printemps prochain, et à moi de m'arrêter dans ma ronde autour de l'année auprès de ces spécialistes afin de leur payer mon tribut.

Le jardinier en gros est d'ordinaire un homme qui ne boit pas et qui ne fume pas, bref, un homme vertueux; il n'est connu dans l'histoire ni par de grands crimes, ni par de hauts faits politiques ou militaires; il a coutume d'éterniser son nom par la création d'une nouvelle espèce de rose, de dahlia ou encore de pomme; cette gloire -- anonyme le plus Souvent ou attribuée à un autre nom -- lui suffit. Par un étrange caprice de la nature c'est, d'habitude, un homme corpulent et fort, peut-être afin de créer un contraste bien venu avec le frêle et joli filigrane des fleurs; ou bien c'est que la nature l'a créé à l'image de Cybèle, pour figurer d'une façon sensible sa généreuse paternité. En effet, lors¬qu'il enfonce le doigt dans ses pots de fleurs, c'est presque comme s'il donnait le sein à des nourrissons. Il méprise les dessinateurs de jardins qui de leur côté le traitent de « jardinier de trognons de choux ». Sachez qu'il ne considère pas le jardinage comme un commerce, mais comme un art et une science; quand il dit d'un concurrent qu'il est bon commerçant, l'autre en est écrasé. On ne va pas chez lui comme on va chez un chemisier ou un quincaillier pour dire ce qu'on veut, payer et s'en aller. On va chez lui pour parler, lui demander le nom de ceci et de cela et lui dire que l'hutchinsia qu'on lui a achetée l'année précédente se porte à merveille, se plaindre de ce que les mertensies ont beaucoup souffert cette année et le supplier de montrer ce qu'il a de nouveau. Il faut d'abord discuter avec lui la question de savoir lequel vaut mieux du « Rudolf Goethe)) ou du « Emma Bedau » (ce sont des asters) et s'il convient de donner à la Gentiana Clusii de la glaise ou de la tourbe.

Après tous ces propos et bien d'autres, on choisit un nouvel Alyssum (bon Dieu, où vais-je le mettre?) et un petit pot sur le contenu duquel on ne peut se mettre d'accord avec le propriétaire, et, avant passé ainsi quelques heures dans une société instructive, on paye à cet homme qui n'est pas un commerçant cinq à six couronnes, et c'est tout. Et pourtant un vrai jardinier en gros aime mieux avoir affaire à vous, tourmenteur, qu'à tous ces grands messieurs qui arrivent en auto, puant l'essence, et qui lui commandent une soixantaine de plantes « des meilleures et de première qualité, n'est-ce pas? Chacun de ces jardiniers se vante que la terre de son jardin est très mauvaise, qu'il ne la fume ni ne l'arrose ni ne la recouvre pour l'hiver: il veut évidemment faire entendre par là que les fleurs ne poussent aussi bien que par inclination pour lui. Et il y a là quelque chose de vrai : dans le jardinage il faut avoir de la chance ou une espèce de grâce supérieure. Un vrai jardinier peut piquer en terre un morceau de feuille, et il en sortira une fleur. Tandis que nous, profanes, nous nous éreintons avec les semis, nous arrosons les plantes, nous soufflons sur elles, nous les gavons avec de la farine de nourrissons et, à la fin des fins, elles se fanent et périssent. Je pense qu'il y â là dedans des sortes d'incantations, de même que dans la chasse et la médecine.

Créer une variété nouvelle, voilà le rêve secret de tout jardinier  passionné. Mon cher, si je pouvais faire venir un myosotis jaune ou un pavot d'un bleu de myosotis... Que dites-vous? Que le pavot rouge est beaucoup plus joli? Ça n'a pas d'importance, mais on n'a pas encore vu de pavot bleu de myosotis. Et puis, savez-vous, on est un peu chauvin, même en matière de fleurs; si une rose tchèque l'emportait dans le monde entier sur une « Indépendance Day » américaine ou sur une « Madame Herriot » française, nous nous gonflerions d'orgueil et éclaterions d'allégresse.

Je vais vous donner un conseil d'ami : si vous avez dans votre jardin un coin de talus ou une terrasse, fabriquez-vous un rocher. D'abord un rocher, c'est très joli, lorsqu'il est recouvert de tapis de saxifrages et d'autres fleurs alpestres éclatantes de beauté; en second lieu, la construction du rocher, en elle-même, est une œuvre remarquable et attachante. Un homme qui construit un rocher s'imagine être un Cyclope qui, avec la force d'un phénomène naturel entasse blocs sur blocs, créant sommets et vallées, transporte les montagnes et dresse des pics rocheux. Lorsque enfin, courbé en deux, il a fini son œuvre gigantesque, il s'aperçoit que cela ressemble à tout autre chose qu'à la romantique chaîne de montagnes qu'il s'était représentée; que sa création rappelle plutôt un tas de détritus et de cailloux. 


Dessin Josef Čapek
Ne vous en faites pas dans un an ce tas de cailloux deviendra la plus belle des plates-bandes, tout étincelant qu'il sera de menues fleurs et couvert des plus jolis tapis. Et votre joie sera grande. Ecoutez-moi construisez-vous un crocher.

Il n'y a plus moyen de le nier : c'est l'automne Vous le reconnaîtrez à ce fait que fleurisses les asters et les chrysanthèmes d'automne - toutes ces plantes fleurissent avec une vigueur et une abondance extraordinaires; elles ne f on pas beaucoup de façons; une fleur n'est qu'une fleur …  mais en revanche, il y en a. Croyez-ma cet épanouissement de l'âge mûr est plus puissant et plus passionné que toutes les affèteries inquiètes et fugitives du printemps nouveau-né. Il y a en lui la raison et la logique de l'homme mûr : puisqu'il faut croître, croissons sérieuse ment et ayons beaucoup de miel pour que viennent les abeilles. Est-ce que cela compte, une feuille qui tombe sur cette riche floraison d'automne? Ne voyez-vous donc pas que la fatigue n’existe pas?

(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)