Rien ne sert de parler; voilà déjà tous les signes qui indiquent que la nature, comme on dit, s'apprête pour son sommeil d'hiver. Les feuilles de mes bouleaux tombent l'une après l'autre d'un mouvement beau et triste à la fois; ce qui croissait, se retire dans la terre ; de tout ce qui bouillonnait de vie, il ne reste plus qu'un bâton dénudé ou un trognon suintant, un rameau ratatiné ou une tige desséchée; et la terre elle-même exhale une odeur de pourriture. Rien ne sert de parler, c'est fini pour cette année. Chrysanthème, ne recherche plus la richesse de la vie; et vous autres, ne confondez pas le dernier soleil avec le soleil joyeux de mars. Il n'y a rien à faire, mes enfants, la parade est terminée; mettez-vous bien à votre aise pour votre sommeil hivernal.
Quoi? Quoi? Qu'est-ce qui vous prend? Ne me racontez pas d'histoires. Vous appelez ça un sommeil? Toutes les années nous disons que la nature se couche pour son sommeil d'hiver mais nous n'avons jamais observé ce sommeil de près, ou, pour mieux dire, nous ne l'avons pas encore observé de dessous. Renversons les choses sens dessus dessous, pour les observer mieux; mettons la nature à l'envers pour la mieux voir, mettons-la, racines en l'air. Mon Dieu, on appelle ça un sommeil? C'est ça que vous appelez du repos? On pourrait dire que la végétation a cessé de croître à la surface parce qu'elle n'en a pas le temps; car elle a retroussé ses manches pour croître par en bas; elle s'est craché dans les mains et elle creuse dans la terre. Regardez cette chose claire dans la terre, ce sont de nouvelles racines; regardez jusqu'où elles atteignent, allez, allez. N'entendez-vous pas la terre frapper avec cette violence enragée et massive? « Mon général, la première ligne des racines a pénétré très avant en territoire ennemi; les avant-gardes des phlox ont déjà pris contact avec les avant-postes des campanules. - Bien, qu'ils s'accrochent au terrain conquis, nos objectifs sont atteints. »
Et là, ces choses blanches, tendres et grosses, ce sont de nouveaux germes et de nouvelles pousses. Regardez comme il y en a. Comme tu t'es étoffée, immortelle fanée et desséchée; comme tu te portes bien, comme tu regorges de vie. Et c'est ça que vous appelez un sommeil?
Le diable emporte feuilles et fleurs. Quelles blagues! C'est en bas, c'est sous la terre que se fait le véritable travail; c'est ici, ici, ici que poussent les nouvelles tiges; c'est d'ici à là, du premier au dernier jour de novembre, que jaillit la vie qui apparaîtra en mars; c'est ici, sous la terre, que se dessine l'immense programme du printemps. Il n'y a pas encore eu une seule minute de repos; voilà le plan, voilà les fondations déjà creusées et les canalisations en place; et nous pénétrerons encore plus avant dans la terre avant qu'elle ne gèle et durcisse. Que le printemps pose ses voûtes vertes sur le travail de pionnier de l'automne. Nous, forces automnales, nous aurons fait notre devoir.
Ce germe gros et dur sous terre, cet abcès sur le sommet des bulbes, c'est la bombe dont l'éclatement produira le printemps. On dit que le printemps est l'époque du bourgeonnement; en réalité l'époque du bourgeonnement c'est l'automne. Si nous regardons la nature, il est vrai que l'automne est la fin de l'année; mais il est presque encore plus vrai que l'automne est le début de l'année. C'est une notion commune que les feuilles tombent en automne et je ne puis vraiment pas le nier; je me contente de soutenir que, dans un certain sens, plus profond, l'automne est, à proprement parler, le moment où les feuilles poussent. Les feuilles se dessèchent parce que l'hiver arrive; mais elles se des sèchent aussi parce que le printemps arrive, parce que de nouveaux bourgeons se forment, petits comme des capsules explosives qui libéreront le printemps. C'est une illusion d'optique qui nous fait voir les arbres et les arbustes dénudés, car ils sont parsemés de tout ce qui se révélera et se développera en eux au printemps. C'est une illusion d'optique que de voir les fleurs fanées en automne, car elles sont, au contraire, en train de naître. Nous disons que la nature se repose alors qu'elle va de l'avant sans voir ni entendre. Seulement elle a fermé sa boutique et tiré les rideaux; mais derrière cette façade, elle déballe de nouvelles marchandises et les rayons se remplissent, jusqu'à plier sous le poids. Bonnes gens, c'est maintenant le vrai printemps ; ce qui. n'est pas à point maintenant ne le sera pas non plus en avril. L'avenir n'est pas devant nous, car il est déjà sous les espèces de ce germe; il est déjà parmi nous, et ce qui n'est pas à présent parmi nous, n'y sera pas non plus dans l'avenir. Nous ne voyons pas les germes parce qu'ils sont sous la terre; nous ne connaissons pas l'avenir parce qu'il est en nous. Parfois, il nous semble que nous sentons la pourriture, encombrés que nous sommes de vestiges desséchés du passé; mais si nous pouvions voir tous les rejets gros et blancs qui se frayent un chemin à travers cette vieille terre de civilisation qui s'appelle « aujourd'hui », toutes les graines qui germent en secret, tous les vieux plants qui se rassemblent et se ramassent pour former un germe vivant, qui un jour éclatera pour créer une fleur vivante, si nous pouvions voir ce fourmillement caché de l'avenir au milieu de nous, il est sûr que nous dirions que notre mélancolie et notre scepticisme sont de grandes sottises et que le meilleur de tout, c'est d'être un homme vivant, je veux dire un homme qui croit.
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)
(Josef Čapek L’année du jardinier, 1929) |