jeudi 31 décembre 2015

Deux ou trois choses que je sais d'elle ... Ep. 11 : Embrasse les tous, Dieu reconnaîtra le sien ...

Tu n'es pas de celles qui meurent où elles s'attachent,
Tu frottes ta joue à toutes les moustaches,
Faut se lever de bon matin pour voir un ingénu
Qui ne t'ait pas connue ...

(Georges Brassens, Embrasse Les Tous, 1960)


Le bric à brac des interventions ... les puristes apprécieront l'état 19e

IGN 1933 : Les structures permanentes ... On voit très nettement ici la rupture avec le passé (fermetures Est et Ouest)
Qualifier le jardin de Champs de "traînée" ne serait pas un vain mot : " De Pierre à Paul, en passant par Jules et Félicien,  Embrasse-les tous, Dieu reconnaîtra le sien" dirait notre ami Brassens !
J'aime beaucoup mon petit schéma ... Certes, on pourrait le détailler un peu plus ...  S'interroger sur  le concepteur du Salon de Madame par exemple ? ...Ou bien démêler ce bric-à-brac en essayant d'attribuer ce jardin de Champs-sur-Marne à Desgots, Duchêne, Destailleur ou ce pauvre anonyme du 19e siècle ... On pourrait trouver un état associant paysagiste et propriétaire ... On pourrait même établir un état historique à l'aide du Plan Mariette de 1727, du Plan Pinart de 1886 ? du Plan Soyer de 1899 ? du cliché IGN de 1933 donation à l'Etat ? ... moi j'ai bien une idée ...
A suivre ...

mercredi 30 décembre 2015

Deux ou trois choses que je sais d'elle ... Ep. 10 : Le temps est assassin ...

Gardons-nous donc, dans nos jardins, de n'être que naturels, soyons aussi un peu poétiques; associons l'ordre à la liberté, sinon c'en est fait de notre indépendance, et nous verrons bientôt peut-être une contre-révolution fougueuse, aveugle, exclusive à son tour, bouleverser ces gracieuses imitations de la nature, pour leur substituer les monotones et fastidieuses prisons du vieux jardin symétrique.
(Ludovic Vitet, De la théorie des jardins,1828)

Plan général du Domaine de Champs appartenant à Mr le Comte Cahen D'Anvers - Soyer géomètre 1899
Etat Louis Cahen D'Anvers - Soyer, géomètre - 1899(détail) 
IGN 1923 Etat Intermédiaire
IGN 1933 Etat Charles Cahen D'Anvers
Les hommes, le temps passé, les éléments s'acharnent sur Champs ... Si le temps passé et les éléments sont choses normales, un tel acharnement des hommes à vouloir changer le sens d' un jardin est assez rare ... Le jardin a  survécu, c'est déjà ça ...
En 1899, Louis Cahen D'Anvers fait dresser le plan dit Soyer ...On voit sur cet immense plan terrier que le projet des Duchêne est grosso modo en place ... 
Une photographie aérienne de 1923, sortie il y a peu de temps des trésors de l'IGN, confirme la réalisation du plan projet des Duchêne. Cette photo montre un premier appauvrissement du jardin : La vue vers l'ouest est fermée. On y voit très bien le bourrage forestier...

Ce qui disparait avec le temps ; 1- Ouverture vers l'est (après 1923). 2- Tennis (1933). 3- Axe transversal Duchêne (après 1923). 4- Prairie et lisière (à partir de 1935). 5-Groupe d'arbres (à partir de 1935)
Evolution Bosquet ouest privilgiant la vue vers l'Orangerie : Vert, l'ancien bosquet paysager. rouge, le bourrage forestier des Duchêne. Bleu le bourrage faisant fermeture (J maison du jardinier)
Pourquoi a t'on fermé cette vue ? je ne sais pas vraiment, je ne peux que supposer ... Je suppose donc que Destailleur, qui a évincé les Duchêne, finira par affirmer son style ... Il ferme la vue de l'axe principal en prolongeant "la grande percée principale jusqu'au rond-point touchant la Marne, avec le groupe des chevaux des Bains d'Apollon que je fis exécuter par Wissaux" il transforme les parterres de Diane et Appolon et construit la nouvelle Orangerie
Cette Orangerie, il cherchera à la mettre en scène ... supprimer la seconde ouverture faisant concurrence avec son œuvre est la solution évidente et de son point de vue il a entièrement raison. 
 
L'orangerie depuis Appolon - carte postale non datée
Vue sur l'Orangerie de Destailleur depuis le château
Cl. Gustave William Lemaire 1908-1910. L'axe est fermé par Destailleur.
Destailleur a pafaitement raison de son point de vue disais-je ... Du point de vue du jardin c'est loin d'être le cas .... La série d'ouvertures vers le jardin paysager sera supprimée à partir de 1902 après la mort d'Henri Duchêne " Monsieur Duchêne mourait à la fin des travaux et Monsieur Cahen d'Anvers, se gardant d'appeler son fils, me chargea de la grande percée principale ..." L'histoire est l'histoire et on la respecte ... Certes! N'empêche qu'on assiste ici à une petite catastrophe paysagère ... En supprimant les articulations avec l'ancien jardin, le projet Duchêne est ici balayé par Destailleur (et le propriétaire), le jardin se ferme et se réduit à n'être qu'un jardin à la française...
A l'exception de la terrasse, l''esprit du projet des Duchêne disparaitra après les années 1925. Est-ce par souci de symétrie et d'équilibre, la seconde fenêtre (vers l'est 1 ci-dessous) sera fermée pendant cette période ... Plus tard, vers 1930-33, la magnifique palissade du tennis (2 ci-dessous) sera transformée par un théâtre de verdure ... Le jardin ouvert se ferme  définitivement, le jardin aux détails subtils devient banal ...
Evolution Bosquet Est : Fermeture de la vue vers l'Est, suppression de la palissade du tennis
De 1933 à 1987 le jardin paysager, non géré, étouffera sous une végétation indigène non contrôlée (voir "La lutte du Vide contre le Plein à Champs-sur-Marne" 17 janvier 2012 sur ce blog) ... Ce ne sont ni le temps ni les éléments qui ont souillé Champs mais des intervenants ignares et butés dans leur certitude que le jardin paysager n'est qu'un sous-jardin, que Champs doit être "à la française" bref ! comme on entend hélas encore aujourd'hui : "Le paysager n'a rien à faire ici" ...
Je ne suis pas restitutioniste, vous le savez si vous me lisez... En revanche, je suis pour redonner une cohérence et un sens aux jardins appauvris ... et ici, à Champs, remettre le jardin paysager en scène me parait être un objectif tout à fait louable ... 
Plan Mariette, Dessin Henri Duchêne et projet Henri Duchêne avec représentation des parterres de Flore et Bacchus (flèches jaunes). Ils sont absent du le Plan Soyer de 1899.
Flèches rouges : emplacement des futurs parterres dit "Art Déco".
IGN 1923 et 1933 C.A.F 1919 -1929 en jaune les parterres de Flore de Bacchus, en rouge les petit parterres dit "Art déco" 
Et puis il y a ce parterre dit "Art déco" attribué à Achille Duchêne qui aurait été réalisé, selon l'histoire officielle avant 1910 et qui me faisait hurler au génie sur ce blog !!! En fait, je me suis fait avoir comme un bleu par une photographie mal datée en 1910, éditée sur un ouvrage collectif consacré aux Duchêne ... j'aurai dû m'en douter ... Parfois on fait confiance ... à tort. J'aurai dû également réfléchir un peu ... un photographie aérienne en oblique en 1910 aussi parfaite il y avait de quoi crier à l'imposture .... je sais maintenant que cette photo est de 1934 et de la Compagnie aérienne française qui naquit en ... 1919 !
Cl. Compagnie aérienne française - Champs : Vue aérienne du parterre de broderie - 1934 (Parut dans Beaux jardins de France d'Ernest de Ganay en 1950 puis dans un ouvrage collectif en 1998 où elle est datée de 1910)

Ce petit parterre apparaît, preuves à l'appuie cette fois, entre 1923 et 1929 ... Même si cela reste un beau geste ... il est dans le ton de l'époque ... Dois-je renier cet article sur les Duchêne et l'Art déco où je criais au génie d'Achille Duchêne ? Pas sûr !!! Pas sûr ...Parce qu'il y a deux autres parterres de part et d'autre du château, dont on ne parle jamais et qui se nomment Flore et Bacchus .... ils sont présents sur le plan Mariette et sur le projet Duchêne. Sur la photo oblique de 1919, le dessin cubiste est déjà en place, la statue de Flore est visible sur la photo de 1902 montrant l'état Duchêne ...
Le parterre de Flore en 1919 et 1929
Statue de Flore - 1902
On notera également les similitudes (dans cet exercice casse-gueule de comparaison) entre le projet de parterre de Chambord et le dessin de Champs. Duchêne a t'il ici reproduit un modèle Renaissance épuré ??? 

Comparaison du dessin du parterre de Flore et de celui du projet de parterres pour Chambord 1915
Bref ! Ce dessin est-il des Duchêne ? de 1895 ?? (et là il n'y a pas de mot pour exprimer le génie précurseur) Est-ce de Destailleur (et là il faut sérieusement étudier le bonhomme) ou bien est-ce l'œuvre d'un inconnu génial, d'un jardinier inspiré voire du propriétaire... Encore une fois , je ne sais pas ...
Petit parterre dit "Art Déco"  et parterre de Bacchus aujourd'hui
Vous avez probablement remarqué que le parterre de broderies n'est pas représenté sur le plan Soyer !!! n'était il pas terminé en 1899 ? possible ! Ce n'était quand même pas une mince affaire que de reconstituer ce jardin... Les photographies IGN nous apprennent que les travaux de Champs contrairement à l'histoire racontée ailleurs se termineront dans les années 1930.
La découverte récente de ces photographies aériennes de 1919 et de 1923 nous révèlent une fois de plus qu'un jardin ne se fait pas en une année ... Les plans datés et l'histoire des jardins en général figent le temps. On aura tendance à dire que Champs est restauré en 1895 sans préciser que la restauration se termine 40 ans plus tard ... Ainsi le parc de Matignon, daté de 1722 s'achèvera en 1744 ... Les jardins de Versailles sont réalisés à l'occasion des trois fêtes de 1664-1668-1674 ...  Pourtant les travaux dureront après Le Notre et Louis XIV et durent encore aujourd'hui...  On peut également s'interroger sur l'état des jardins de Vaux-le-Vicomte créé en 1658 lors de la fameuse fête de 1661...  ou encore sur l'état de la Malmaison en 1814 à la mort de Joséphine ... Bref ! Combien d'années faut il pour planter un jardin ??? Un jardin, et nous le voyons ici à Champs, est en perpétuel mouvement ... 
A Suivre ... 

lundi 28 décembre 2015

Deux ou trois choses que je sais d'elle ... Ep. 9 : L'amant magnifique ...

La notion de l'existence de la beauté apparaît à la seule comparaison de deux choses inégalement belles ou dont l'une seulement est belle. Dès que celte action se produit sur notre sensibilité, il en résulte un sentiment agréable qui ne doit pas être confondu avec de simples sensations naturelles de plaisir, mais qui est d'un ordre plus élevé; Ce sentiment devient actif quand il incite à la production des belles choses; on sait que la perception soudaine de la beauté a souvent fait naître dans une âme élevée un noble penchant pour les arts.

On n défini le beau « la splendeur du vrai », selon une expression attribuée à Platon. Il serait plus juste de l'appeler, avec M. Lévêque, « une force accomplissant sa loi avec toute sa puissance et tout son ordre ». L'existence de la beauté est à la fois objective et subjective. Toutes les parties de la création ne sont pas parfaites, mais tendent évidemment à un type de perfection qui constitue la beauté. Dieu a créé chaque espèce avec un type de perfection que tons les individus appartenant à cette espèce et engagés clans la « bataille de la vie », ne peuvent atteindre. II y a dans chaque être vivant un idéal qui n'a pas son principe dans notre imagination et qui est doué d'une réalité objective. Cet idéal, c'est l'être dans la plénitude du développement ordonné dont le créateur l'a rendu susceptible. On peut donc dire que l'objet est beau en lui-même, indépendamment des facultés de notre. âme qui peuvent le concevoir.

Mais il faut convenir que nous ne possédons la notion complète du beau que si les objets correspondent à un principe interne de notre intelligence. Dans ce cas la perception et la connaissance du beau deviennent subjectives. Pour pouvoir attribuer aux objets matériels des propriétés intrinsèques de beauté, il faudrait croire en même temps à un sens spécial pour les percevoir. S'il en était ainsi, tous les hommes dans le plein exercice de leurs fonctions physiques et intellectuelles recevraient la même impression de ces objet, de même qu'ils sont également affectés par la lumière et l'obscurité, le froid et le chaud, le blanc et le noir. Or, non-seulement cela n'a pas lieu, mais les mêmes individus peuvent avoir des perceptions différentes ou le même homme sentir diversement suivant le temps, le lieu et sa disposition intérieure.

Le beau existe donc à la fois et essentiellement dans un état objectif, et dans une forme subjective, en ce qu'il n'est goûté que par des intelligences privilégiées.
(Edouard André, Traité général de la composition des parcs et jardins, 1879)


Je vous parle de ça !!!

Champs-sur-Marne - Evolution des bosquets Est de 1700 à 1923
Champs-sur-Marne - 1929  (cl. Compagnie aérienne française) 
Les bosquets Est et traces de l'ancien paddock. Notez la voûte à droite créée par la taille en rideau, le contraste entre le quinconce et le groupe d'arbres
Champs-sur-Marne 1929 - Les bosquets Est et traces de l'ancien paddock. Notez les groupes d'arbres sur le parterre, les palissades, les entrées d'allées, le parterre art déco que je pensais à tort d'être d'Achille Duchêne (cl. Compagnie aérienne française)
Champs-sur-Marne -1919  (cl. Compagnie aérienne française)
 Les bosquets Est et traces de l'ancien paddock. Notez que les palissades ne sont pas encore formées, le parterre Art déco n'existe pas encore.
Champs-sur-Marne (carte postale) vers 1940 -L'ancien paddock vu du bassin de Petit Cheval. La voûte à gauche et à droite
Champs-sur-Marne (carte postale)- avant 1923, vue depuis l'ancien tennis, groupe d'arbres et corbeilles de fleurs.
Champs-sur-Marne - 1970 - Le dernier Tilleul à avoir survécu, mort dans les années 2000

 
Champs-sur-Marne aujourd'hui - Ce secteur dévasté par la tempête de 1999 : les quelques survivants et la régénération en cours


Comment ne pas fondre en larmes d'émotion ici ? Si ce n'est pas le cas, vous êtes soit complètement hermétique aux jardins historiques, soit ignare dans l'art du ressenti ...Que s'est-il passé ? les masses d'arbres sont issues du premier jardin, celui de Desgots... Elles ont traversé le 19e siècle paysager et sont conservées dans la composition des Duchêne. Ces masses d'arbres sont à la fois des traces de composition, d'abandon et de conservation ... Ici, c'est tout ce que j'aime dans l'art des jardins : approche sensible de l'homme qui donne son âme au jardin, approche qui respecte le temps passé, approche qui admet ce que le jardin est devenu... Qui a voulu cela ? Duchêne Destailleur, Louis Cahen d'Anvers ? Le jardinier ? Je ne sais pas ... 
Malheureusement ceci n'est plus visible, le temps et la tempête de 1999 ont eu raison de la poésie ... Le jardinier tente désespérément de conserver ce geste en recomposant le temps passé ... L'histoire de ce jardin est vraiment une tragédie ... 
à suivre ...

jeudi 24 décembre 2015

Deux ou trois choses que je sais d'elle ... Ep. 8 : Jalousie ...

Mais pendant que tous les parcs d'Angleterre sont ainsi en travail et en révolution, que devient la France? Elle reste impassible et stationnaire. En vain les traditions de Le Nôtre vont-elles s'altérant chaque jour ; eu vain le style régulier est-il devenu mesquin, maniéré, ridicule, Le Nôtre est toujours révéré ; son ombre tient toujours le sceptre des jardins. C'était alors parmi nous le temps des longs règnes. Voyez la musique de Lulli ; elle entre dans sa soixante et dixième année, et, comme à sa naissance, elle est pourvue d'adorateurs. Voyez les autres arts, c'est la même longévité. Ou dirait que la légèreté française s'est amendée en leur faveur. Mais le miracle va cesser : voici la philosophie qui s'avance d'un pas inquiet et turbulent ; elle parle à demi-voix de nature et de liberté, ce qui ne présage rien de bon pour les charmilles et les allées droites.
 (Ludovic Vitet, De la théorie des jardins,1828)
Pour laisser passer le regard vers le jardin paysager, les Duchêne ouvrent quatre fenêtres dans les alignements
Domaine de Champs à Monsieur Cahen d'Anvers
Projet de reconstitution du Parc à la française - Henri Duchêne - 1895
(Médiathèque du patrimoine)
Carte postale (Avant 1923) La vue vers la fenêtre Est (parterre de Diane et 1 sur plan)
IGN 1919 : La composition y est toujours visible (1 sur plan)
Vue actuelle vers le château  (3 sur plan)
Carte postale 1902 -Le parterre d'Apollon,  rien n'est encore altéré.
Remarquez la fenêtre entre les Tilleuls a et b et les ifs c et d (2 sur plan)


Etat Duchêne de l'axe central, on perçoit les fenêtres (flèches rouges et 4 sur plan) ... Vous remarquerez aussi que l'axe régulier se perd dans le paysager
( Cl. Orphelin apprentis et Achille Duchêne Le style Duchêne 1998)
C'est un geste gonflé, c'est un système d'articulations entre un ancien et un nouveau jardin hors du commun, Bref! c'est un geste génial, pas de doute là-dessus ... Les Duchêne osent déstructurer des alignements, summum de l'art des jardins réguliers, pour laisser passer le regard vers le jardin paysager ... Ce n'est pas un geste au hasard ... C'est un geste répété trois fois et complètement assumé par cette ouverture dans l'axe (4) ... Toute cette reconstitution ne serait-elle qu'une avant-scène annonçant le vrai jardin ? le paysage ? Est-ce un parcours initiatique allant du peigné vers le sauvage, de l'artifice vers le naturel ? Cela expliquerait peut-être bien mieux le respect de l'ancien modelé plutôt que cette histoire de vue du 1er étage qui n'a, à mon sens, aucun intérêt ...
Techniquement c'est assez simple, pas besoin d'explication, il me semble que les images parlent d'elles-mêmes ...Mais attention !!! Geste génial oui ! mais geste de paysagiste ... pas d'artiste ... Attendez ce qui suit, vous comprendrez ce que je veux dire ...

à suivre donc ...

lundi 21 décembre 2015

Deux ou trois choses que je sais d'elle ... Ep. 7 : L'outrage ...

Je réalisais tant bien que mal, grâce à des artifices techniques, le redressement des parterres de Diane et d'Apollon sans pouvoir, au grands désespoir de Monsieur Cahen, en faire de même pour la terrasse aux broderies avec ces allées de marronniers, le tout demeurant malheureusement avec la pente donnée qu'on ne pouvait rectifier sans trop de travail. 
(Attribué à André Walter Destailleur, non daté)

IGN 1923 - Plan de situation ;
1) Parterre de Diane (troisième terrasse en talus)
2) Parterre d'Apollon (troisième terrasse en talus)
3) Talus de la troisième terrasse 
4) Talus faisant cul de sac 
5) Muret faisant cul de sac
6) Château 
7) Parterre de broderies
8) Première terrasse
9) Deuxième terrasse
Le parterre de Diane aujourd'hui avec le talus au premier plan,
 le cul de sac à gauche devant l'if,
 le muret Destailleur au loin (bande sombre horizontale) et le Salon de Madame au fond


Parterre de Diane selon Duchêne et selon Destailleur ... ( cliquer sur les images)

Parterre de Diane en 1902 (Etat Duchêne sans boulingrin) et vers les années 1950 (Etat Destailleur avec  boulingrin)
Creusement du parterre de Diane par Destailleur, Ifs, Parterre de fleurs, muret périphérique et Boulingrin avec escaliers autour de Diane rehaussée sur un socle.
C'est un des moments très intéressants de la restauration de Champs ... doctrine contre doctrine et visiblement W.A. Destailleur a remporté la partie auprès du commanditaire ... Quel travail !!! Mais pour quel résultat ? Bien difficile à dire aujourd'hui sans pouvoir regarder in situ l'Etat Duchêne. 
Nous l'avons vu, il y a opposition entre Duchêne et Destailleur sur le niveau de la terrasse, Duchêne épouse le modelé dit "paysager", Destailleur lui reprochant de ne pas assez creuser au pied de la 2ème terrasse et ainsi provoquer une pente que vous pouvez toujours apprécier aujourd'hui aux parterres de broderies ... Destailleur (je pense que c'est lui) ajoute des ifs formés en cône et en "marmite" (terme utilisé à Champs).


Le talus de la troisième terrasse aujourd'hui avec cul de sac surprenant 

Parterre de Diane  : De gauche à droite : Projet H Duchêne1895, Plan Soyer 1899, Ign 1919. absence de cul de sac visible sur les plan 95 et 99, visible sur le cliché IGN 1919
( notez qu'aucun état n'est semblable en 20 ans)
Parterre d'Apollon  : Plan Mariette 1720, carte postale 1902 (détail) et aujourd'hui.
 Le talus est visible sur les 3 iconographies. 
Notez sur le cliché 1902 (Etat Duchêne) et 2015 (Etat Destailleur) que le talus est en hélice d'avion pour finir parfaitement plan
Talus régulier de la troisième terrasse en talus, Parterre de Diane 

Talus en hélice de la troisième terrasse en talus, Parterre d'Apollon
Il y a cette histoire de talus de la troisième terrasse et plus particulièrement celui du  parterre de Diane ... Si l'on regarde les plans de 1895 et de 1899 on n'y voit pas de cul de sac (A), celui-ci apparaît sur le cliché IGN de 1919. Est-ce Destailleur dans son "tant bien que mal" qui, ne trouvant pas de solution, se résigne à cette incongruité à l'image du parterre Apollon et de cette allée qui bute outrageusement sur le muret ? Je l'ai longtemps pensé ... 
Jusqu'à ce que je réalise que la photographie de 1902 (Parterre d'Apollon) est un état Duchêne... Sur cette photo, on y voit un talus, il est en forme d'hélice, la topographie étant différente de celle du parterre de Diane, ce talus vient mourir dans l'allée, l'articulation est parfaite.
Ce talus de la troisième terrasse a t'il pu échappé à la grande transformation du 19e et parvenir ainsi jusqu'aux Duchêne ?  Possible ... dès lors, le cul de sac du Parterre de Diane serait des Duchêne, je le pense de plus en plus ... 
Malgré le respect du modelé, les Duchêne se seraient-ils trouvés devant une impasse paysagère : soit faire plonger fortement l'ensemble du parterre de Diane en hélice d'avion pour récupérer le niveau de l'allée perpendiculaire provoquant un résultat désastreux, soit prolonger un talus horizontal créant le cul de sac malheureux au croisement des alléesUn moindre mal en quelque sorte ...
Les Duchêne, prisonniers de leur projet de restitution (l'anti-restitioniste que je suis ne cache pas ici son plaisir) auraient-ils goûté à l'amère défaite provoquée par les limites de cet exercice ??? ...  

Parterre d'Apollon, l'allée en cul de sac butant sur le muret de Destailleur. Un des gestes les plus maladroits de l'histoire des jardins ?
J'ai mis pas mal de temps à comprendre ce qu'il s'était passé sur ces deux parterres ... pour cette histoire de "cul de sac en talus", je n'arrive pas à désigner clairement le coupable de cet outrage ... Talus de Desgots ayant traversé le 19e siècle et mal remanié par Duchêne ou Destailleur ? Ou cafouillage de nos deux rivaux pataugeant et laissant une blessure bien profonde ?  
Pas très grave en soit de ne pas savoir, cela fait parti des zones d'ombre bien fréquentes en jardins historiques ... Peut-être un jour, des sondages archéologiques ou des archives plus fiables que mon analyse permettront de trancher ...

à suivre ...