Cultiver !a terre, c'est d'une part bêcher, creuser, retourner, fouiller, ameublir, aplanir, niveler et faire des ondulations, et d'autre part, s'occuper des ingrédients. Aucun pudding au monde ne peut être de composition plus compliquée que la terre de jardin. Autant que je puisse savoir, on y met du fumier, de l'engrais, du guano, des feuilles pourries, de la terre de gazon, de la terre arable, du sable, de la paine, de la chaux (de la farine pour les enfants), du salpêtre, des phosphates, de la bouse, de la cendre, de la tourbe, de l'eau; de la bière, des culots de pipe, des allumettes brûlées, des chats crevés et beaucoup d'autres substances. Tout cela se mélange, s'enfouit et se répand ; comme je l'ai dit, le jardinier n'est pas un homme qui respire les roses, mais un homme qui est poursuivi par l'idée que « cette terre voudrait encore un peu de chaux » ou bien qu'elle est lourde (comme du plomb, dit le jardinier) et qu'elle « voudrait un peu de sable ». Le jardinage devient une affaire quasiment scientifique. De nos jours une jeune fille ne pourrait plus chanter: « Sous nos fenêtres pousse un rosier. » Elle devrait plutôt chanter que sous nos fenêtres il faudrait répandre du salpêtre et de la cendre de bois de hêtre soigneusement mélangés avec de la paille hachée très fin. Les rosiers ne sont faits ; pour ainsi dire, que pour les dilettantes ; le jardinier, lui, a son plaisir enfoui plus profond, dans le sein même de la terre. Après sa mort il ne se change pas en un papillon enivré du parfum des fleurs, mais en un ver de terre qui goûte à toutes les voluptés mystérieuses, azotiques et épicées du sol.
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)
Jardin du Palais Borromée |
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