lundi 29 juillet 2013

La Pluie Bienfaisante ...

Il faut croire que chacun de nous a en lui par hérédité un peu d'âme paysanne, même lorsqu'il ne cultive pas de pélargonium dans un pot sur le bord de sa fenêtre. Dès qu'il fait soleil depuis une semaine, nous commençons à regarder le ciel d'un air inquiet et à dire à tout venant : 

"Il faudrait de la pluie.
— Oui, répond un autre citadin. L'autre jour, je suis allé à Letnà . Tout y est sec au point que la terre se crevasse.
— Et moi, je suis allé l'autre jour à Kolin, en chemin de fer, reprend le premier, et je crois qu'il fait une sécheresse terrible.
— Il faudrait qu'il tombe une bonne pluie, soupire le second.
— Et que ça dure au moins trois jours", ajoute le premier.

Mais en attendant, le soleil darde ses rayons; Prague peu a peu commence a sentir la chair humaine échauffée; dans les tramways les gens sont excites et quelque peu hargneux.

"Je pense qu'il va pleuvoir, dit un être couvert de sueur.
           Ce serait à souhaiter, hâlette un autre.
           Il faudrait qu'il pleuve au moins une semaine, reprend le premier, pour la campagne et tout.
           Il fait trop sec", avance le second.

Josef Čapek, 1929

Pendant ce temps, la chaleur du soleil devient étouffante, on sent dans l'air une tension extrême, les nuages roulent dans le ciel sans soulager ni la terre ni les gens. Mais, tout à coup, l'orage éclate à l'horizon; un vent gorge d'eau se met a souffler, et ca y est : la pluie, tombant comme des cordes, ruisselle sur les paves, la terre respire d'une façon presque perceptible a l'oreille, l'eau bruit, cliquette, jase, tambourine aux fenêtres, tapote avec mille doigts dans les chéneaux, court en longs rubans et sonne dans les flaques, et l'homme voudrait crier de joie; il met la tête a la fenêtre, pour la rafraichir au contact de l'humidité céleste; il siffle, il fait du bruit et voudrait se mettre tout nu dans les torrents jaunâtres qui se précipitent le long des rues. Bienfaisante pluie, rafraichissante volupté de l'eau! Rachète mon âme et lave mon cœur, scintillante et froide rosée! La chaleur m'avait déjà rendu mauvais, mauvais et paresseux; j'étais paresseux et lourd, stupide, matériel et égoïste; je me desséchais de sécheresse et je m'étouffais en moi-même sous le fardeau de mon dégoût. Résonnez, baisers argentés avec qui la terre altérée accueille le choc des gouttes de pluie; bruis, rideau de pluie qui purifies tout. Aucun miracle du soleil ne se peut égaler au miracle de la bienfaisante pluie. Cours, eau souillée, dans les ruisseaux, abreuve et attendris la matière assoiffée qui nous emprisonne. Tous nous avons respiré, l'herbe, moi, la terre, nous tous c'est ainsi que nous sommes bien.
L'averse bruissante a cessé, comme par enchantement; la terre brille à travers une brume argentée ; dans les buissons, le merle éclate en chansons et fait le fou; nous aussi nous ferions bien les fous, mais, en attendant, nous sortons, tête nue, devant notre porte, pour respirer l'humidité étincelante de l'air et du ciel.

"Il est tombé une bonne pluie, nous disons-nous.
—Oui, mais il devrait en tomber davantage encore.
— Il le faudrait, mais c'était déjà une bonne petite pluie."

Une demi-heure après, il recommence à pleuvoir, en longs fils ténus : c'est la vraie pluie calme et bonne; c'est la moisson qui tombe du ciel, abondante et calme. Ce n'est plus l'averse giclante et bruyante; c'est la douche légère et tranquille qui murmure doucement. Pas une seule goutte de toi, douce rosée, ne tombe en vain. Mais voici que les nuages se déchirent et que le soleil dissipe les fils tenus; les fils se rompent, la douche s'arrête, et la terre exhale une agréable tiédeur.

"C'était une bonne petite pluie de mai, nous félicitons-nous, tout va maintenant verdoyer a souhait.
— Encore quelques gouttelettes, disons-nous, et ca sera suffisant."

Le soleil frappe a plein la terre, une sueur vaporeuse monte du sol humide, on respire péniblement, on a une sensation d'étouffement comme après un incendie. Dans un coin du ciel se prépare une nouvelle tempête, on respire une vapeur humide, quelques lourdes gouttes tombent du ciel et de quelque part ailleurs souffle un vent ivre, d'un froid pluvieux. On s'abandonne dans l'air imprègne d'humidité comme dans un bain tiède; on respire des gouttelettes d'eau, on marche a travers des rigoles, on voit dans le ciel s'amonceler des paquets de vapeur blancs et gris c'est comme si le monde entier voulait fondre en une pluie de mai, chaude et douce.
Josef Čapek, 1929


" Il devrait bien pleuvoir encore un peu", disons-nous.

 (Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)

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