Je voudrais voir M.
Arne Novak pénétrer jusque dans les racines d'un arbuste même tout petit, un
ruscus, par exemple. Je souhaiterais observer M. Zdenek Nejedly occupé â
déraciner, mettons un vieux peuplier. Je pense qu'après de longs efforts ils se
mettraient debout, s'étireraient et ne prononceraient qu'un mot. Et je donne ma
tête à couper que ce mot serait : « Sacredié! ». J'en ai fait l'épreuve avec
des cydonies et je confirme que travailler sur des racines est chose fort
pénible et qu'il vaut mieux laisser les racines où elles sont : elles savent
bien pourquoi elles veulent aller si profond; je dirais volontiers qu'elles ne
tiennent pas à l'attention que nous avons pour elles. Il vaut mieux quitter les
racines et se mettre à amender la terre.
Je
sais bien qu'il existe une foule de belles professions, comme d'écrire dans les
journaux, de voter au Parlement, de siéger dans un conseil d'administration ou
de signer des paperasses officielles; mais bien que tout cela soit beau et
méritoire, on ne fait pas dans ces professions cette figure, on n'a pas cette
posture, si monumentales, plastiques et véritablement sculpturales, qui sont
celles de « l'homme à la bêche ». Monsieur, lorsque vous êtes debout dans votre
plate-bande, un pied appuyé sur votre bêche et que vous vous essuyez le front
en disant « ouf », vous avez tout l'air d'une statue allégorique; il suffirait
que l'on vous déterre avec vos racines et que l'on vous pose sur un socle,
portant une inscription comme « le Triomphe du Travail» ou « le Maître de la
Terre », ou quelque chose dans ce goût-là. Je dis cela parce que c'est
justement le moment, je veux dire le moment de bêcher.
Oui,
en novembre il faut retourner le sol et l'ameublir. Prendre la terre à pleines
bêches, c'est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de prendre
de la nourriture à pleines louches ou à pleines cuillères. La bonne terre,
comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse, ni trop lourde, ni trop
froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni trop gluante, ni trop dure, ni trop
crue: elle doit être comme du pain, ou du pain d'épices, comme un gâteau, comme
une pâte levée; elle doit s'émietter mais non pas se dissoudre; elle ne doit
pas former des blocs ni des mottes, mais quand vous la retournez à pleines
bêches, elle a loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en
grains de gruau. Et alors ce sera une terre appétissante et comestible,
cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée et tendre,
bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes qu'ils sont bons; et dans
cette vallée de larmes, il n'y a rien de meilleur, comme on le sait.
Sache,
homme jardinier, que durant ces journées d'automne, on peut encore
transplanter. Pour cela il faut commencer par creuser avec la bêche, autour de
l'arbuste ou de l'arbre, un trou, le plus profond possible; puis, on enfonce la
bêche par dessous et on appuie sur le manche, ce qui a d'ordinaire pour
résultat de casser le dit manche en deux.
Il
y a des gens, les critiques en particulier, et aussi les orateurs publics, qui
aiment bien parler de racines; ils proclament, par exemple, que nous devons
retourner à nos racines, ou que tel ou tel mal doit être déraciné complètement,
ou bien qu'il nous faut pénétrer jusqu'aux racines de quelque problème. Eh
bien, je serais heureux de les voir, s'il leur fallait déraciner, disons un
cognassier de trois ans. Je voudrais voir
M.
Arne Novak pénétrer jusque dans les racines d'un arbuste même tout petit, un
ruscus, par exemple. Je souhaiterais observer M. Zdenek Nejedly occupé â
déraciner, mettons un vieux peuplier. Je pense qu'après de longs efforts ils se
mettraient debout, s'étireraient et ne prononceraient qu'un mot. Et je donne ma
tête à couper que ce mot serait : « Sacredié! ». J'en ai fait l'épreuve avec
des cydonies et je confirme que travailler sur des racines est chose fort
pénible et qu'il vaut mieux laisser les racines où elles sont : elles savent
bien pourquoi elles veulent aller si profond; je dirais volontiers qu'elles ne
tiennent pas à l'attention que nous avons pour elles. Il vaut mieux quitter les
racines et se mettre à amender la terre.