mercredi 1 février 2012

février ...

En février, le jardinier poursuit les travaux commencés en janvier, en ce sens qu'il cultive surtout le temps. Car sachez que février est une époque dangereuse, durant laquelle un jardinier est menacé par les gelées, le soleil, l 'humidité, la sécheresse et les vents; ce mois, le plus court de tous, ce mois qui est parmi les mois ce qu'est un œuf sans germe dans une couvée, ce mois venu avant terme, ce mois qui grandit d'un jour tous les quatre ans, ce mois plein de traîtrise se distingue entre tous les autres mois par ses caprices sournois: méfiez- vous de lui. Pendant le jour il fait pousser des boutons aux arbustes et, la nuit venue, il les brûle d'une main il vous flatte et de l'autre il vous fait un pied de nez. Le diable sait pourquoi, dans les années bissextiles, on choisit pour lui ajouter un jour ce mois versatile et enrhumé, ce malicieux avorton de mois. Quand l'année est bissextile, on devrait ajouter un jour au beau mois de mai, de façon à ce qu'il en ait 32 et l'affaire serait faite. Comment pourrions-nous faire, nous autres jardiniers, pour y arriver?
La seconde tâche du jardinier, en février, consiste à rester à l'affût des signes avant coureurs du printemps. Le jardinier ne se soucie pas du premier hanneton ou du premier papillon qui d'ordinaire inaugurent le printemps dans les articles de journaux; d'abord parce qu'il n'aime pas du tout les hannetons, quels qu'ils soient, et ensuite parce que ce papillon que l'on dit le premier n'est ordinairement pas autre chose que le dernier de l'année précédente qui a oublié de mourir. Les premiers symptômes du printemps d'après lesquels se guide le jardinier sont beaucoup plus sûrs.
1° Les crocus qui poussent dans l'herbe sous forme de petites pointes trapues; un beau jour cette pointe crève (phénomène auquel personne encore n'a assisté) et. présente à la vue une sorte de brosse formée de feuilles d'un beau vert. Et voilà le premier signe printanier ;
2° Les catalogues de jardiniers, qu'apporte le facteur. Quoique le jardinier les connaisse par cœur ( ces catalogues commencent par les mots Acaena, Acantholimon, Acanthus, Achillea, Aconitum, Adénophore, Adonis, etc... litanie que chaque jardinier est capable de débiter sur le bout du doigt), il les lit soigneusement depuis Acaena jusqu'à Wahlenbergie ou Yucca, se demandant avec angoisse ce qu'il pourrait bien encore commander.
3° Les perce-neige aussi sont des messagers du printemps; au prime abord ce sont de petites pointes vert pâle qui sortent timidement de terre; ces pointes se séparent pour former deux gros pétales et l'affaire est faite. Cela fleurit environ au début de février et je vous le dis, jamais palme de triomphateur, jamais Arbre de la Connaissance ni laurier de gloire ne fut plus beau que ce blanc et délicat calice qui se balance au gré d'un vent bruineux sur sa tigelle pâle;
4° Les voisins constituent encore un symptôme infaillible de l'approche du printemps. Dès qu'ils se précipitent dans leurs jardins avec des bêches, des pioches, des sécateurs, des enduits pour les arbres et toutes sortes de poudres pour mettre dans le sol, un jardinier expérimenté devine que le printemps approche; et alors il revêt lui aussi de vieux pantalons et se précipite dans son jardin avec pioche et bêche, afin que ses voisins à lui s'aperçoivent aussi que le printemps approche et se communiquent par-dessus les palissades cette joyeuse nouvelle. 
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929).

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