Nos contemporains, tels des enfants blasés, se fatiguent vite de l'immense joujou mécanique dont la science les a dotés. En dépit de multiples commodités et agréments, ils cherchent à s'évader d'une vie de plus en plus fiévreuse, angoissante. De là le goût des sports de plein air - golf, tennis, ski - le goût du jardin, dernier refuge du rêve, cadre idéal de repos, de sérénité et de joie. Plus peut être que dans la maison il est loisible d'y réer l'irréel pour l'oubli de tous nos cauchemars modernes : les débouchés, la baisse, la crise et le reste. Évidement, à notre époque de grande pénitence, nous ne pouvons chercher ni l'étendue ni le luxe. le jardin tel que nous le comprenons maintenant est une subtile oeuvre d'art réalisable par des moyens tellement simples que nos "super modernes" dépassent la mesure, nous encouragent même à vivre dans des cubes standards posés sur l'herbe. Rien sur les murs, rien à l'intérieur des murs, rien hors les murs. Heureusement, nous n'en sommes pas encore là, mais on ne peut nier une certaine tendance. Alors que les citadins exténués de travail ont soif de campagne, les cultivateurs abandonnent la terre pour émigrer vers les administrations et les usines. Ce double courant explique toute l'évolution du jardin moderne. Il y a de plus en plus de propriétés d'agrément et de moins en moins de jardiniers. On admet encore de faire un sacrifice d'argent pour avoir d'un seul coup et rapidement un cadre agréable, mais on recule de plus en plus devant les difficultés d'entretien. On cherche donc à avoir des jardins sans "entretien". C'est pourquoi l'architecture joue un très grand rôle, un peu hélas! au détriment des fleurs, ces adorables fleurs aimées qui vous rendent esclave d'un personnel devenu difficile et introuvable. Or, aujourd'hui après les soucis d'affaires, on vient à la campagne pour, avant tout, "avoir la paix". Les temps ne sont plus où le seigneur à haute canne se promenait au milieu de toute une armée de jardiniers bêchant, sarclant, plantant une multitude de buis, d'arbres taillés ou de fleurs pour composer en commun de somptueux tapis. on ne cherche plus comme au grand siècle à prolonger à l'infini l'ampleur de son domaine. Évolution sociales, lourds impôts vous obligent au contraire. On se resserre. On a le goût de l'effacement. Volontiers on mettrait son bonheur entre dehautes murailles, loin de tous les regards indiscrets, ou bien, tels les simples, on vivrait inconnu en bordure d'une prairie avec deux pots de géraniums à sa fenêtre. Nous oscillons provisoirement entre le besoin de nous restreindre et le désir fou de jouir au maximum d'une vie beaucoup trop courte. Si les jardins de l'ancien régime ont été sacrés " jardins de l'intelligence" ceux d'aujourd'hui pourraient être baptisés les "jardins du sentiment ou de l'amour" Dans ce domaine, comme il convient, les femmes sont reines. Comme rien n'est fait de rien, ces jardins s'apparentent avec ceux créés par les civilisations sensuelles qui successivement brillèrent autour de la Méditerranée, en Perse, à Rome, au Maroc, en Espagne. Ils sont raffinés avec un mélange constant d'architecture, de végétation et d'eau. Suivant l'endroit on utilise des matériaux plus ou moins riches. Les allées sont en marbre, en faïence, en galets, en gazon, mais l'esprit est toujours le même.
(Albert laprade, Idées générales sur le jardin moderne, L'Illustration, 28 mai 1932)
Projets Laprade et Bazin - Architectes |
Jean Claude Nicolas Forestier - Jardin d'inspiration mauresque, propriété de M. Joseph Guy à Béziers |
Photographie Roger Schall - Jardin de Monsieur Jacques Rouché - Paul Vera et Charles Moreux |
On ne peut pas dire qu'il soit en pleine forme notre ami Albert Laprade ... J'aime bien les pessimistes ... j'aime les jardins de cette période ... Avec toutefois un petit bémol pour les jardins "tarte-à-la-crème-rond-point-avant-l'heure" de Laprade et Bazin ...
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