vendredi 24 août 2012

Vacances ... Bretagne... l'hyperTopos

Lancelot  s'enfonça à trois lieues et demie dans la forêt, jusqu'à midi ; à cette heure précise, il rencontra, debout dans le chemin, un homme qui vint au-devant de lui. Jamais on ne vit pareille créature. Il était absolument nu, si pauvre qu'il n'avait vêtement ou haillon pour couvrir ses os ; on lui voyait le ventre aussi bien que le dos ; la misère ne lui avait pas laissé le moindre morceau de lin ou de laine, mais sa barbe avait poussé, longue et blanche, jusqu'à la ceinture, et ses cheveux lui tombaient sur les épaules. Ce qui le rendait encore plus hideux, ce mâle, c'est qu'il était velu comme une bête, sur le dos, le ventre, le buste, les pieds, les jambes, les bras ; non, il n'avait ni lin, ni chanvre pour se couvrir. Il pouvait à peine ouvrir les yeux ; il était si débile et si vieux qu'il pouvait avoir au moins deux cents ans ; de la mousse lui sortait des oreilles. Lancelot le regarda avec stupeur : il était si maigre, sa peau était si dure et si rugueuse, sous laquelle ses os saillaient ! Lancelot lui demanda depuis combien de temps il était là : 

— Il y a bien cent ans passés, répondit-il. 

Lancelot reprit : 

— Pourriez-vous, par charité, m'indiquer où passer la nuit? 

— Ma foi, non ; une grande journée à cheval ne vous mènerait à rien, bourg, village ou maison, excepté à une abbaye, qui se trouve dans cette vieille forêt antique ; mais même là, votre cheval ne pourrait vous mener aujourd'hui. Si donc vous vouliez rester avec moi, j'en serais fort heureux ; certes, j'aurais grande joie à avoir ce soir un hôte comme vous. Ne méprisez pas ce que je vous offre ! Voici la cabane où j'habite. Je vous ferai une soupe de légumes, et j'y mettrai cuire les entrailles d'un chevreuil, bien nettoyées, que des chasseurs m'ont laissées il y a quatre jours, je crois ; je les gardais pour le dimanche, et c'est dimanche aujourd'hui. Vous serez bien traité: elles sont très bonnes, ces entrailles ; presque pas de vers ; il n'y en aurait même pas du tout si c'était l'hiver. Je vous donnerai aussi beaucoup de bon pain d'orge ; j'en ai acheté avant-hier, sur ce chemin, à un pèlerin, quinze miches pour un denier que me donna un marchand qui était passé là aussi. Mais je n'ai plus le moindre denier ni la moindre maille. Acceptez, c'est de bon cœur ! Certes, vous avez beaucoup de chance, car il y a bien deux ou trois ans que je n'ai vu ni pain ni farine. Acceptez, cela vous portera bonheur! 

Mais Lancelot lui répondit : 

— Je ne te prendrai rien, j'irai à l'abbaye. Parle-moi plutôt de cette terre. 

— Seigneur, c'est Brefeni, une terre pleine de violence. La faiblesse de la seigneurie fait qu'il y a quantité de voleurs et de brigands. Il est bien étonnant que vous ayez encore votre cheval, à cheminer ainsi solitaire. Avec un bon guide, vous pourriez entrer demain en Conart ; dans ce pays-là, on est plus libre, la violence n'y règne pas ; car un roi puissant le gouverne, noble et vaillant chevalier aussi ; il inspire une grande crainte aux voleurs et aux brigands : il en a pendu des quantités aux fourches et n'importe où. Si vous pouvez arriver jusque là, grand bien vous adviendra sans doute, car il y a davantage de chevaliers. On vous y retiendra bien, et je pense que c'est ce que vous recherchez. 

 Je m'en vais, que Dieu vous garde, répond Lancelot sans plus attendre. 

Et le brave homme, qui n'en peut plus, pleure de pitié, et jette de profonds soupirs ; car il comptait lui faire beaucoup de bien. Nous l'avons souvent entendu dire : quand on est démuni de tout, un petit bienfait paraît très grand ! Ce brave homme, qui avait proposé à Lancelot de le Ioger et de partager avec lui ce que Dieu lui avait donné, pensait donc ainsi. Lancelot ne daigna pas accepter ; mais avant qu'il atteigne une terre cultivée, je crois que s'il avait pu tenir la pâture en question, il lui aurait vite fait sentir ses dents : il ne mangea pas de toute la journée, chevauchant jusqu'à vêpres.

(Anonyme, La légende arthurienne, Les merveilles de Rigomer VI: Rencontre du viel homme nu)
Le site de Locuon
Plantes sur les parois de granite
La source et la voie romaine reliant Carhaix

Ajout contemporain pour guider l'eau
 Rares sont les lieux aussi mystiques! Locuon, ce n'est pas un jardin c'est du temps passé ... Une ancienne carrière de granite de l'époque Gallo-romaine ... avec une chapelle bien plus tardive...Il y a dans cet hyper lieu toute la magie bretonne, on s'attend à croiser Uther Pendragon dans son armure Arnemetia sortir de l'eau de la source ... Pas de doute possible, à Locuon, la Légende, le Fantastique, la Création,le Divin ne sont pas loin... Mais comment ne pas penser aux jardins? Aux vieux jardins que le temps a modelé patiemment? Comment intervenir ? Pourquoi intervenir? que faire à part ne rien faire ? ...

1 commentaire:

  1. Merci pour ce joli compliment !
    C'est effectivement notre "jardin" préféré !
    Cordialement
    B Le Douaron
    Président des Amis de Locuon

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