Pour se servir de ces eaux-ci, la considération de leur
situation est pour un préalable, très-requise, afin de prendre avis sur leur
conduicte, présupposé que soyés asseuré de leur valeur. Car d'attirer à soi des
eaux mal-saines, ou infructueuses, ne doit entrer en l'entendement d'aucun. De
parler ici des eaux navigables, n'est aussi mon intention, estant ce la Nature
elle-mesme qui seule ordonne sur telles matières. Ou ce seroit que pour
l'abondance d'eau, la prenant en quelque bonne rivière, et par la facilité du
chemin, on fut incité d'en faire le canal tant ample, qu'il suffit à recevoir
des bateaux pour la débite des fruicts de la maison; à l'exemple des petites
rivières de Lion, d'Esteinpes, et autres, qui se deschargent dans la Seine
au-dessus de Paris.
De ces trois sortes d'eaux, la plus souhaittable est celle
de fontaine, à la-quelle, seule, nous-nous arresterons, si son abondance
fournit à toutes nos nécessités, pour la conduire diversement selon la
diversité de ses services. C'est assavoir, partie en tuiaux clos, pour le boire
ordinaire, afin d'estre nette et fresche, et partie en canal ouvert pour les
moulins, arrousemens , fourniture d'estangs et semblables services. Mais si
pour son impuissance, la fontaine ne peut faire que nous abbruver, et arrouser
quelque peu les jardins : et elle et le ruisseau, ou son défaut la rivière,
seront employés, afin d'arrouser en grand volume, et faire moudre les moulins.
Or d'autant que pour la conduicte de toutes eaux, soit à couvert, soit à
descouvert, le chemin doit estre préparé avec artifice requis, sera en cest
endroit donnée l'addresse de faire le canal ouvert, dont l'on se sert
généralement en toute sorte d'aqueducts : en attendant qu'ayant mis en évidence
les fontaines sous - terraines, avec les autres soyent conduictes en tuiaux
clos, ainsi qu'il appartient, et sera ci-après enseigné.
La première oeuvre, sera la remarque du lieu de la prinse de
l'eau, pour la faire la plus près de vous que pourrés, à ce que moins en conste
la fabrique et l'entretenement, que plus court en sera le chemin. Si le naturel
de l'assiete vous contraint de prendre l'eau hors de vostre terre, acquerrés du
seigneur de fief vostre voisin, le tiltre de telle faculté, par les plus
asseurés moyens que treuverés par conseil : afin que sans destourbier, puissiés
venir à bout de vostre entreprillse, et que pour l'avenir, muni de bon droict,
jouissiés paisiblement de vostre labeur, sans crainte de l'envie, qui communément
accompaigne ceux qui font bien leurs affaires. Ce fondement posé , le chemin
que vostre eau a à tenir, sera finement nivelé avec le grand niveau, lui donnant
tant de pente qu'il sera possible, pour vistement la faire descendre où
désirés, selon qu'il est requis. Cela sera aisé, si le naturel favorise
l'oeuvre: mais n'ayant à choisir de place pour la prinse de l'eau, mesnageant
son chemin, la prendrés en endroit d'où justement elle puisse couler ès lieux
destinés. Et moyennant que le plomb du niveau pende tant soit peu, ne doubtés
que l'eau n'aille par le canal ainsi préparé. Ceci est considérable, que tant
plus grande abondance d'eau y a-il, plus viste va-elle, voire ne s'arrestera
nullement, bien-que le chemin n'eust aucune pente, parce qu'une eau pousse
l'autre avec violence. Pour laquelle cause, plus de liberté a-on de conduire
une grande, qu'une petite eau, ceste-là, allant en canal peu ou prou pendant:
mais ceste-ci, ne peut découler que par chemin ayant raisonnable pente. Aussi
sont à noter la largeur et la profondeur du canal, pour les mesurer, par l'eau,
et par le chemin: afin que selon la grandeur ou petitesse de l'eau, grande ou
petite pente du lieu, le canal se face large ou estroict, et de mesme profond.
Encores que l'eau soit abondante, si elle est en lieu fort pendant, estroict
canal suffira pour sa contenue: et au contraire, une petite eau estant en
endroit peu pendant, requiert d'avoir le canal fort large. A la résolution de
cest avis, aidera beaucoup l'imagination du service que désirons tirer de nostre
eau. Car si ce sont grandes estendues de prairies ou autres terroirs, qu'en
désirons arrouser: si la voulons employer en moulins de remarque: ou à la
furnitnre de grands estangs , son abondance, pouvant satisfaire à ces choses,
plus large et plus profond en faudra tenir le canal , que pour rnesnages de
moindre importance. Qui sera pour toute mesure, dont à l'oeil, nostre père-de-famille
ordonnera, par son bon sens : mettant en conte les engraissemens que charrie
l'eau en temps de pluie, procédans des laveures des champs labourés, et fumés,
pour n'en perdre aucuns, ains afin de les recevoir tous, faire que le canal,
pour mince que soit l'eau, demeure plustost trop grand, que trop petit.
Se doit estudier, le père-de-famille, à profitablement
disposer cest ouvrage, à ce qu'avec peu de despence il s'entretienne, et que
non-sujet à fréquente ruine, se conserve longuement en bon estat. La prinse de
l'eau en est le plus difficile article, ayant à résister à l'impétuosité des
eaux, dont souventes-fois avient, qu'elle est emportée par les ravines des
pluies. Si avés de reste de niveau, c'est à dire, si pouvés prendre l'eau tant
hautement qu'il vous plaira, et que le lieu soit rocher, pourveoirés à ceci dès
le commencement: car il ne faut que creuser la prinse de l'eau dès le rocher
pour la faire de perpétuelle durée: où parti de là, n'y aura autre chose à
réparer, que d'en oster le gravier et terrain qui en bouchent l'entrée, quand
les eaux s'engrossissent par les pluies. Et encores que pour sa durté, le
rocher couste beaucoup à tailler, si est-ce que le non-refaire rendra l'œuvre à
bon marché: et causera davantage grand repos, n'estant à tous coups en
pensement d'y remettre la main; comme il avient à toutes autres prinses d'eau,
ausquelles y a tous-jours de la besongne, et souventes-fois, est-on contraint à
les réédifier de nouveau.
S'il escheoit que pour la bassesse du lieu, il falle hausser
la prinse, afin de rarnonter l'eau la jettant dans le canal, la chose se fera à
profit, pourveu que le fonds soit rocher: dans lequel fourrera-on droictement
des gros bois, qui portans des pièces traversantes, front la prinse de l'eau.
Telle prinse durera longuement, non plus toutes-fois que le requiert la qualité
de la matière, qui sujette à pourriture, à la longue se consume: et
quelques-fois ne pouvant souffrir l'impétuosité des eaux, par icelles est le
tout renversé.
Moins encores durent les prinses d'eau, quand, par faute de
rocher, ne peuvent estre fondées que sur le sablon, ou gra¬vois, où l'on fourre
des pilotis, y entre¬lardant des pièces traversantes attachées avec crampons de
fer et grosses chevilles, car par l'insolidité du fondement, et violence des
eaux, l'artifice se déserte dans quelque temps.
D'autres, avec moins de mystère, oeuvrent en cest endroit,
ne se servans que de la pierre, dont ils composent leurs prinses en l'eau, avec
un peu de terre qu'ils y adjoustent au-dessus: mais c'est parla faveur du lieu,
qui continuellement leur fournit nouvelle matière. Et si bien telles prinses ne
coustent guières, aussi leur durée est très-petite, se ruinans presques du tout
à chaque fois que les eaux s'en-grossissent. Ainsi void-on qu'il n'y a que le
seul rocher, qui résiste contre ic temps et les eaux, pour estre de durée
requise.
Quant au canal, il est certain que le taillé dans le rocher,
surpasse tous autres, et pour la durée, et pour la conservation de l'eau, la
gardant de se perdre en chemin: mais cela n'est à souhaitter pour la longueur
de l'ouvrage, causant trop grande despence en sa fabrique. Par-quoi, suffira de
le faire passer en terre solide , plustost argilleuse que sablonneuse, ceste-là
ne consumant tant d'eau que ceste-ci. Et pourveu que le canal soit de bonne
profondeur, ne doublés de son service : à la charge aussi, d'estre tenu net,
sans souffrir que par négligence il se comble, comme à la longue de soi-mesme
il feroit, si quelques-lois l'année, il n'estoit curé. Avenant qu'en chemin se
rencontrent des vallons et enfoncemens par où passent des torrens: afin que
leurs eaux ne desrompent vostre canal, ou le comblent, quand avec violence
elles descendent des montaignes emportans de la terre, faudra, remédiant à tels
maux, bastir des ponts de maçonnerie à travers iceux vallons, pourporter vostre
eau claire et nette : passant cependant dessous les ponts, celle des torrens. Ou
au contraire, si mieux l'aimés, le lieu s'y accommodant, ferés des ponts à
travers vostre canal, pour recevoir l'eau des torrens et la rejetter en hors :
ainsi sans destourbier vostre eau fera son chemin. Si pour quelque graisse que
les eaux des torrens pourront charrier en temps de pluie elles se rendent recommendables,
comme cela avient passans par quelques bons labourages, ne mesnagerés que bien,
de les profiter en les assemblans avec celle de vostre canal. Mais en ceci irés
retenu, afin de leur donner entrée dans vostre canal, avec ce jusques-où,
qu'elles n'y puissent nuire ne rien dégaster.
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