Tandis que je patiente un peu, j'aperçois des gens qui
jardinent derrière une palissade. La porte s'ouvre et quelqu'un me demande si
je veux «visiter le parc».
Je comprends qu'il s'agit du jardin du Secours catholique
que j'ai vu sur la liste.
Je rentre ; là trois personnes officient : une dame, en robe
et grandes chaussettes noires s'extasie sur une fleur, car c'est aussi une
racine, l'homme qui m'a conviée à entrer: torse nu, une canette à la main, un
peu confus, et enfin le jardinier responsable.
C'est un homme assez beau, un peu âgé, décharné, sec,
d'origine kabyle sans doute.
Il est un peu accablé par tout ce qui reste à faire au
jardin. J'explique que j'ai rendez-vous à côté et que j'écris un livre sur les
jardins, ce qui suscite une certaine hilarité doublée d'intérêt.
Mais quand je fais part de mon admiration pour tout ce qui
est construit, le jardinier responsable se lève pour me faire visiter. Il me
nomme chaque plante, m'explique la construction de la cabane, l'intérêt des
toilettes sèches, pourquoi il y a une sorte de petite barrière le long d'un
carré planté, etc. Il me montre tout ce qu'il a déjà débroussaillé, se plaint
amèrement de n'avoir pas d'aide et de ceux qui viennent seulement s'amuser,
boire et prendre du bon temps. Il me convie à une prochaine rencontre qui
regroupera au moins cent personnes autour de grillades au feu de bois...
Je rentre dans la parcelle d'à côté. Les terrains sont
mitoyens mais un monde les sépare...
La parcelle de l'association Lez'arts est un havre végétal
procurant d'emblée une sensation de bien-être. Il faut aller au fond de la
parcelle pour accéder au bar qui donne devant la scène, construite cette année
pour un concert avec les Touré Kunda, où ils ont accueilli 800 personnes. Enfin
le responsable arrive. Un beau jeune homme aux yeux clairs qui porte une
coiffure avec des dreadlocks comme l'un des autres animateurs.
De nombreux Africains fréquentent le lieu. Je comprends
qu'il s'agit plus d'un enjeu d'appropriation du territoire par les habitants
que de jardinage en tant que tel. « En milieu urbain, on ne peut qu'initier
petit à petit les habitants ».
Suite à une convention avec la ville, ils ont pu financer
des postes pour faire l'accueil des enfants qui viennent avec le centre de
loisirs. Une exposition de leurs créations végétales est présentée sous un
petit préau.
Quand des gens arrivent, ils se saluent, ou se font la bise.
C'est cool, on écoute du reggae... En partant, je passe devant les plantes
qu'ils viennent d'acheter chez Truffaut. Je leur raconte l'histoire de Kokopelli
qui donne des graines pour le jardin d'insertion du 12e, et j'admire
la mare, les sculptures... On se croit ailleurs...
Je rentre dans la chaleur du soir, et je me souviens du
titre d'un livre sur les communautés en Ardèche Au fond de la forêt, l'État. Ici c'est entre les parcelles, le choc des différences
sociales.
(Ouvrage collectif, Jardiniers du bitume, 2011)
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Gustave Caillebotte jardinant au Petit Gennevilliers |
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Gustave Caillebotte, Le potager, Petit Gennevilliers (1894) |
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Gustave Caillebotte, Tournesols au Petit Gennevilliers, 1885 |
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