Le jardin régulier classique d'aujourd'hui ...
(La vie à la campagne, Les jardins d’aujourd’hui,15 mars 1914)
(La vie à la campagne, Les jardins d’aujourd’hui,15 mars 1914)
VOUS AVEZ CONSTATÉ la presque unanimité avec laquelle les préférences des Jardinistes se sont affirmées pour le style régulier. Mais dans quel esprit? Là encore leur opinion est précieuse. C'est pourquoi je leur ai posé la question suivante : Êtes-vous d'avis de rétablir autour d'une Demeure des 16e, 17e, 18e siècles un Jardin régulier dont les lignes ont été détruites, et dans quelle mesure.
Voici d'abord l'avis et les raisons de ceux qui considèrent que cette restitution, tout au moins partielle, est justifiée; mais aussi qu'une composition dans le même esprit peut être faite à défaut de documents, de traces ou d'indications.
« Je suis toujours d'avis de rétablir autour d'une Demeure de style un Jardin régulier dans le style de l'habitation. Si on retrouve des documents et que la composition de ces derniers ait une réelle valeur, il vaut certainement mieux faire une restauration. Il est préférable, toutefois, de reprendre l'ancien dessin, même d'une composition médiocre, pour éviter la critique. Dans le cas contraire, préférer une création dans l'esprit de l'époque. » (A. Duchêne.)
« Si d'authentiques documents anciens existent, il importe de faire une restauration littérale jusque dans les moindres détails, pour autant que l'état des lieux et l'espace disponible le permettent encore. A défaut de documents formels, si de suffisants indices peuvent être mis à jour, ou s'il n'est plus possible de procéder à cette reconstitution conforme aux documents, il importe de rétablir tout ce que l'on pourra remettre en place et , pour le reste, d'inventer des dispositifs qui soient rigoureusement orthodoxes selon le style et parfaitement en harmonie avec les reliques, en composant avec respect, modestie, abnégation, en mettant la plus grande érudition au service d'une fraicheur de sentiment qui ne le cède en rien à l'intelligence et à l'ingéniosité qu'une tâche aussi délicate requiert. Enfin, si les documents authentiques font défaut ou si les traces sont indéchiffrables, même si rien n'indique qu'il existât jamais de Jardins importants autour de la maison, on peut risquer peut-être, sous l'empire d'une passion archéologique, d'en imaginer de toutes pièces, en ne le faisant qu'à bon escient. » (L. van der Swaelmen.) « Oui, dans la plus large mesure, pour les Jardins du 17esiècle, tout en tenant compte de nos besoins et de nos goûts ; mais je chercherais dans la limite des possibilités à retrouver le premier tracé et à le reconstituer dans son ensemble. » (E. Touret.) « Oui, il faut rétablir le Jardin régulier l'époque, le plus complètement possible qu'il existait. » (J. Janlet.) « Conserver, entretenir et rétablir, mais ne jamais compléter (G. Wybo.)
Voici maintenant ce que pensent les Jardinistes qui croient devoir faire quelques réserves en raison des éléments nouveaux dont dispose aujourd'hui. « Mon opinion est qu’il est désirable de rétablir les lignes originales d'un vieux Jardin quand cela est possible mais ici se pose la question : dans quelle proportion les fleurs peuvent-elles être introduites dans le nouveau projet, puisqu'elles ne formaient pas partie du Jardin original. A cela, je répondrai que les fleurs sont de nos jours sont indispensables et que les anciens plans de Parterres doivent être refaits pour qu'elles y trouvent place. Les Bosquets, les Fontaines, les Terrasses et tous les autres traits de vieux Jardins peuvent être exactement restaurés » (Inigo Triggs.)
« Je suis d'avis de rétablir autour d’une Demeure des 16e, 17e et 18e, siècles, un Jardin régulier, dont les lignes ont été détruites ; toutefois, j'admets parfaitement que celles-ci ne soient pas reconstituées servilement, les croyant dans la plupart des cas perfectibles ; d'autre part, je tiendrais compte des beaux arbres existants et des futaies (L. Decorges).
« Oui, s'il n'y a pas danger de mettre à nu des extérieurs s'harmonisant mal avec l’avant plan par le fait de la suppression de plantations d'un autre caractère ; si la forme et relief du terrain s’y prêtent ; si un entretien convenable peut être assuré. » (J. Buyssens)
« Oui, si c'est une œuvre remarquable; cependant une adaptation à nos goûts et besoins est souvent nécessaire et, eu égard à la tradition, la copie absolue ne s'impose pas. Les vieux Jardins peuvent être agréables; ils le sont par l'aspect que le temps leur a octroyé, mais ils ne répondent pas toujours à nos idées actuelles, et il est quelquefois utile de les modifier quelque peu. » (A. Loizeau.)
« La restauration d'un Jardin autour d'une Demeure des 16e, 17e et 18e siècles, a relativement la même valeur que la restauration de la Demeure. Quelquefois il est difficile de rester conséquent avec soi-même en voulant tenir compte des exigences modernes; mais, quand la division ancienne du terrain disperse plusieurs Jardins sur différents points du terrain, comme cela était souvent le cas dans les temps écoulés, il y a moyen de faire des Jardins différents, qui s'unissent au Parc et donnent, pour l'emploi pratique, ce que l'on peut désirer. » (Jonkeer H. van Sypesteyn.)
«Assez rarement il est possible de rétablir l'unité artistique entre les restes d'un Jardin régulier et la partie nouvellement créée. Si des allées séculaires peuvent encadrer des parties régulières, on peut parfois produire quelque chose de très beau. » (L. Copyn.)
« S'il s'agit d'œuvres d'art importantes et où la possibilité de reconstitution existe, le rétablissement est justifié. Mais, dans le plus grand nombre des cas, le rétablissement est condamnable. Un bon artiste peut créer quelque chose de nouveau et de contemporain, en s'appuyant sur l'art d'autrefois, de sorte qu'une nouvelle œuvre naît de l'ancienne. A l'époque du style Rococo, les artistes de ce temps n'ont pas craint de placer des autels rococo dans des dômes gothiques. Dans cet esprit, ils pouvaient créer une œuvre originale; dans l'esprit du gothique, ils ne l'auraient pas pu. » (Hoemann.)
AMÉLIORER, NE PAS DÉTRUIRE. Mais une question se pose encore : faut-il détruire un très beau Parc pour rétablir des ordonnances régulières ? L'avis de M. Vacherot, sur ce point, est qu'il ne faut pas créer sur des ruines. De son côté M. René-Edouard André propose de résoudre la question d'une façon tout à fait logique : « S'il s'agit d'une ancienne Demeure des 16e,17e ou 18e siècles, qui, à cette époque, était entourée de Jardins réguliers, dont les lignes ont été détruites, faut-il rétablir ces lignes et revenir au premier plan ? On ne peut répondre à cette question d'une façon absolue. Il nous a été donné de voir un grand nombre de propriétés dont les anciens plans conservés montraient une ordonnance régulière exécutée au 17e ou au 18e siècle et qui, plus tard, au cours du 19e siècle, ont été transformées dans le style paysager. Quelques-unes de ces propriétés, traitées par des maîtres comme Varé, Bulher, sont devenues des chefs-d’œuvre en leur genre : des allées aux courbes harmonieuses les sillonnent, des groupes d'arbres devenus magnifiques encadrent les vues soigneusement choisies, des cours d'eau, des lacs, dont les contours ont été artistement dessinés, forment des tableaux qui enchantent.
Faut-il, sous prétexte que la mode est revenue au style régulier, détruire tous ces beaux ombrages supprimer ces contours harmonieux, revenir aux lignes droites tant pour les chemins que pour les eaux? Faut-il détruire un objet d'art pour en reconstituer un autre qui ne peut peut-être faire son effet complet qu'après un long espace de temps? Mon avis est qu'il faut être plutôt conservateur en ce cas que destructeur. Qui sait si, après la grande vogue des Jardins réguliers, ne reviendra pas un nouveau regain d'actualité pour les Jardins irréguliers et si nous ne serions pas à notre tour accusés par nos successeurs d'avoir détruit un Parc magnifique créé par des prédécesseurs de grand talent? Si, par bonheur, on peut, autour d'une Demeure de style, réserver un espace suffisamment vaste pour y dessiner un nouveau cadre se rapprochant de plus près du caractère de la construction, sans cependant détruire les lignes harmonieuses du Parc irrégulier, on a trouvé une formule qui donne satisfaction à l'esprit et au goût, sans toucher à un ensemble intéressant et beau. Cette formule, qui est celle du style composite, ne doit s'appliquer que si l'on peut donner à chacun des deux styles son caractère bien déterminé dans un espace suffisant. Il ne suffit pas, en effet, pour encadrer une demeure de style, de dessiner en avant d'elle un seul Parterre de petite surface, dans lequel on multiplie la décoration florale, il faut encore que tous les abords : allée d'accès, terre plein, départ des allées de promenade, terrasses, etc., soient conçus dans un style analogue à celui de la construction, En d'autres termes, il faut pouvoir retrouver sur un espace limité, mais cependant suffisant, un cadre complet, indépendant du reste de la Propriété, de façon que la nature reprenne ses droits à une distance convenable de la construction. »
Parc du Château de l'Orfraisière |
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