lundi 26 mai 2014

Corsitude ...

U me sguardu s’appudda, ùn trovu ch’è bughjura
Hè nera la scrittura
Ùn ci hè versu
Ùn so leghja ad avà è morgu d’ùn sapè
D’ùn sapè O Savè
Hè quant’una prighjò d’ùn essa stata à a scola
Chì li manca a parola
À stu fogliu
A me penna ùn sà scriva a lettara par tè
Iè par tè, O Savè
O dì comu fà
Ùn possu dì nè palisà
Indu’ sarà
Issa culomba, cù lu me cantu da purtà
Se’ partitu O Tisò d’ùn sapè lu m’amori
Avà mi trica l’ora
A primura
Chì ti voddu stracquà i mei li parè
Hè quant’hè O SavèDa fà andà culà in l’Algeria strana
A nutizia luntana
A me pena
Quì tuttu mi s’hè spintu è morgu senza tè
Senza tè O Savè
Morgu di tè
Ùn la ti possu fà sapè
O Savè
Hè cussì ingratu d’un pudè
Carizzà quiddu fogliu è lampà li me sensi
Com’è fiori di carta da pudetti incantà
Signuzzà li me pienti intruscendu filari
Da caccianni altr’è tantu è po’ fatti vultà


(A. Di Meglio, M. Valentini, Lettara Muta, 2012)
Pierre-Louis et Marie dans les années 30. Ils ont quitté la Corse en 1925 pour s'installer à Marseille puis Versailles ...
Ils  ne retourneront en Corse que pour les vacances à partir des années 60
Ma grand-mère à Marseille à 27 ans ... très belle  
Tante Menia, la grande soeur ... elle restera en Corse, à Calvi ..., 
  Enfant, j'allais chez elle en vacances ... Très vieille, en noir, elle avait le visage buriné par le soleil ... j'avais une trouille d'elle ...
J'aime bien cette chanson du groupe corse Attalà ... elle raconte l'histoire d'une jeune fille illettrée qui ne peut pas écrire à son amour parti à la guerre ( rien que le résumé on pleure .... normal c'est Corse,  c'est douloureux) 
Elle me rappelle l'histoire de mon grand-père, Pedru-Luigi, un honnête homme respectable et respecté ... être le petit fils de Pierre-Louis c'était quelque chose, il suffisait de dire "eu so bisfigliolu di Pedru-Luigi"  ... et hop on était de la famille ... 

Jeune, mon grand-père était berger. Enfance douloureuse, orphelin de mère à 9 ans, illettré, mais parlant français ... pauvre, archi pauvre ... il transhumait à pied avec son troupeau de brebis une bonne partie de l'année, remontait du Niolu jusqu'à Macinaggiu, la pointe du Cap Corse, il campait la plupart du temps ...
Si l'on compare à la famille de ma grand-mère c'était le jour et la nuit ... originaire d'une famille bien plus aisée mais très loin d'être riche, ma grand mère, fille d'un éleveur de chevaux bovins et chèvres et d'une mère Suisse francophone (que les Corses appelaient "la française") transhumait par la route (et non à travers la montagne), ses parents voyageaient à cheval pour se rendre à Calca, un hameau près de Galeria ou ils possédaient une maison pour l'hiver ... En été, tout ce monde vivait à Albertacce, mon village d'origine. 

Ma grand-mère s'appelait Marie. Pierre-Louis aimait Marie et vice versa mais ils ne se parlaient pas (je rappelle qu'on est en Corse au début du 20e siècle) ... différence de classe aussi ... Pierre-Louis se décida un jour de demander Marie en mariage, sans jamais auparavant lui parler, juste des sourires, des signes complices ... 

La demande devait se faire par écrit ... dure épreuve pour un illettré ... comme dans la chanson, impossible de remplir la page et de déclarer son amour... Mais bon !!! ce n'est pas parce qu'on ne sait pas lire qu'on doit manquer de savoir-vivre ... un ami lui rédigea sa lettre. 
La famille de Marie refusa comme il se doit ... en fait, c'est la sœur aînée, Tante Menia, qui réussit à convaincre les parents que Pierre-Louis était un voyou, un bon à rien, un illettré, berger et de surcroit éleveur de brebis (il y a une grande rivalité entre les éleveurs de brebis et les éleveurs de chèvres ... d'ailleurs cette rivalité sera tenace entre mes grand-parents) ... Le refus d'un mariage par la famille était un grand classique... Mon grand-père, dans un élan de romantisme qui fait rêver les jeunes filles, "enleva" ma grand-mère ... l'emmena à Evisa ou ils vécurent pendant 6 mois puis revinrent au village d'Albertacce ou le mariage ne pouvait que se faire ... 
Cette belle histoire de famille était tabou et considérée comme une faute impardonnable par ma grand mère très chrétienne ... Elle me l'a racontée, elle avait 80 ans et était toujours aussi amoureuse de mon grand père... 
Quand Pierre-Louis et Marie revinrent au village, vous avez compris, ma grand-mère était enceinte, le curé se dirigea vers eux, furieux il leur dit " Je ne veux plus vous voir ensemble jusqu'au jour du mariage " 60 ans après ça faisait bien rire ma grand-mère ... comme quoi, les histoires corses sont parfois heureuses ...
Albertacce et l'église au début du 20e siècle, l'ancien clocher et le prête qui maria mes grand-parents
Le Niolu en avril dernier depuis la bergerie de mon grand-père
"Le soleil disparaissait derrière le Monte Cinto et la grande ombre du mont de granit se couchait sur le granit de la vallée. Nous hâtions le pas pour atteindre avant la nuit le petit village d'Albertacce, sorte de tas de pierres soudées aux flancs de pierre de la gorge sauvage."
(Guy de Maupassant : Un bandit corse, 1882)




Lien vers Lettara Muta de Attalà

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