Des qualités requises au jardinier...
Or tout ainsi que nous choisissons pour notre jardin
les arbres jeunes, la tige droite, de belle venue, bien appuyée de racine de
tous côtés, et de bonne race : prenons aussi un jeune garçon de bonne nature,
de bon esprit, fils d'un bon travailleur, non délicat aussi ayant apparence
qu'il aura bonne force de corps avec l'âge, attendant laquelle force nous lui
apprendrons à lire et à écrire, à pourtraire et dessiner; car de la
pourtraiture dépend la connaissance et jugement des choses belles, et le
fondement de toutes les mécaniques; non que j' entende qu'il aille jusques à la
peinture, ou sculpture, mais qu'il s'emploie principalement aux particularités
qui regardent son art, comme les compartiments, feuillages, moresques et
arabesques, et autres, dont sont ordinairement composés les parterres:
commençant à profiter en pourtraiture, il faudra monter à la géométrie pour les
plants, départements, mesures, et alignement, voire s'il est gentil garçon
jusques à l'architecture pour avoir l'intelligence des membres qui font besoin
aux corps relevés, et apprendra l'arithmétique pour les supputations des
dépenses qui pourront passer par ses mains, afin qu'il ne se trompe, ou ne se
laisse tromper quand il sera besoin d'achats et fournitures de plants, ou
autres matières. Toutes lesquelles sciences, il faut apprendre en jeunesse,
s'il est possible, afin qu'étant en âge suffisant de travailler aux jardins, il
commence par la bêche à labourer avec les autres manœuvres, apprenant à bien
dresser les terres, plier, redresser, et lier le bois pour les ouvrages de
relief: tracer sur terre ses desseins, ou ceux qui lui seront ordonnés,
planter, tondre les parterres, et avec la faucille à long manche les
palissades, et plusieurs autres particularités qui regardent les embellissements
des jardins de plaisir; reste le jardin d'utilité qui provient des fruits et
des plantes qui sont mangées, ou il faut non moins d'intelligence et de travail
qu'en l' autre, la connaissance de la nature des terres fort différente, y est
encore plus nécessaire, celle des fiens* divers, de la différence des climats
et des aspects, celle des vents et de la Lune, jusques à pouvoir user de
pronostic pour prévoir les temps: il faut avoir la connaissance des plantes,
qui est une grande science; savoir leur nature, et la culture qu'elles
demandent, les saisons de semer leurs graines, de les avancer, de les
transplanter pour les faire croître, retarder et conserver, blanchir et
attendrir, et infinies autres particularités encore, qu'il faut que le
jardinier sache pour faire et pour enseigner les gens, car tant et tant de
choses ne se font pas par un homme seul ...
(Jacques Boyceau de la Bareaudière, Traité du jardinage selon les raisons de la nature et de l’art,1638)
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